Magazine PROF n°32
Droit de regard
Former des citoyens physiquement responsables
Article publié le 01 / 01 / 2017.
Marc Cloes enseigne aux futurs agrégés d’éducation physique dans le secondaire supérieur. Il plaide pour que ces professeurs endossent dans l’école le rôle de coordinateur de la promotion de l’activité physique.
PROF : Avec d’autres responsables de la formation en éducation physique, vous plaidez pour trois heures d’éducation physique par semaine tout au long de la scolarité obligatoire (1). Y a-t-il péril en la demeure ?
Marc Cloes : À l’heure des discussions du Pacte pour un Enseignement d’excellence, cela nous a paru indispensable. Tout le monde a deux périodes au minimum par semaine tout au long de la scolarité (deux fois 35 minutes si vous défalquez les vestiaires et les pauses). Dans le réseau WB-E au secondaire, le minimum passe à trois heures. Il faut généraliser vers le haut et pas vers le bas.
Pour les enfants et les adolescents, l’Organisation Mondiale de la Santé recommande d’ailleurs un minimum d’une heure par jour d’activité physique modérée ; peu y parviennent (2). Le Baromètre de la condition physique (3) montre que les qualités physiques des jeunes sont en baisse constante chez les 12-18 ans. Même en 1re année des études supérieures en Éducation physique, le niveau de la condition physique des étudiants diminue.
Vous souhaitez aussi une éducation physique « plus centrée sur la préparation de citoyens responsables de leur corps pour le reste de leur vie »…
L’éducation physique doit être plus ancrée socialement et préparer des adultes physiquement éduqués et capables de gérer leurs ressources motrices et physiques. Autrement dit, l’enseignant doit proposer des leçons qui ont du sens et permettre aux élèves d’acquérir des compétences mobilisables tout au long de leur vie et pas seulement dans le cadre de l’école.
Des exemples ?
Soulever un banc, une bomme, un bock… peut devenir l’occasion d’attirer l’attention des élèves sur les bons gestes qui permettent l’économie du dos. Surtout dans certaines sections comme la puériculture, la construction, les soins infirmiers, l’aide aux personnes, mais aussi pour tous les élèves qui, plus tard, pourront se passer de consulter un médecin pour une lombalgie grâce à l’acquisition de gestes qui protègent des blessures.
Ou, lorsque l’enseignant a prévu une séquence de badminton, il peut préciser à ses élèves qu’ils pourront ensuite utiliser les exercices dans un autre environnement, pour se dépenser, pour se déstresser… Il peut aussi leur indiquer des adresses de clubs, le prix d’une bonne raquette, la manière de choisir des volants…
Ainsi, il suscite l’intérêt des élèves. Si 15% se passionnent pour les compétitions sportives, il faut davantage motiver la majorité qui aime la pratique sportive sans se faire mal.
Apprendre à se tenir correctement sur une chaise ou à adopter une bonne position de marche, cela aura sans doute plus d’impact à long terme qu’avoir appris un appui tendu renversé correct, même si ce dernier permet de renforcer la musculature de maintien et développe l’habileté motrice générale.
D’autres préconisent la promotion du sport d’élite et la compétition…
C’est le cas des USA. Ce pays a aussi la médaille d’or de l’obésité. Il faut du sport de haut niveau. Mais surtout, développer l’éducation physique pour tous et pas seulement pour les bons. Le modèle canadien DLTA (développement à long terme de l’athlète) vise, lui, un style de vie actif pour tous et met en place les structures en fonction des intérêts et des possibilités de chacun.
Une petite révolution, non ?
Il s’agit de quitter un enseignement de l’éducation physique centré sur le sport pour des projets orientés vers le développement de citoyens responsables de leur corps. Cela amène le professeur d’éducation physique – ne l’appelez plus « prof de gym » – à devenir le coordinateur, la pierre angulaire de la promotion d’un style de vie actif à l’école.
À chaque enseignant de prévoir dans son cours des moments d’apprentissages qui dépassent l’acquisition d’habiletés motrices. La plupart le font, mais rarement de manière systématique. À lui de planifier – en équipe – un enseignement spiralaire, avec des piqures de rappel.
Il peut aussi communiquer à ses collègues instituteurs ou d’autres branches des activités réalisables en classe. L’Éducation physique en sortira valorisée. Et là, ça bouge : dans plusieurs écoles, nous avons testé avec des enseignants des pauses d’activités physiques scolaires (PAPS), sous la forme de jeux, de vidéos de mouvement que les enfants imitent. Certains élèves ont même créé leurs propres vidéos. Le temps « perdu » est vite récupéré : les élèves sont souvent plus productifs quand ils reprennent une activité cognitive.
Ces accents sont-ils présents dans les référentiels et les programmes ?
L’idée de former des citoyens physiquement responsables de leur corps au cours d’éducation physique n’est pas exprimée telle quelle dans les textes légaux. Toutefois, la lecture des prescrits en termes de compétences et de finalités permet aux enseignants de développer des contenus amenant cet ancrage sociétal. Reste à penser à la manière avec laquelle leurs élèves vont pouvoir s’appuyer sur ce qui leur est enseigné.
Cela implique des changements dans leur formation initiale ?
Quelle que soit la filière de formation, il y a des cours d’anatomie, de physiologie de l’effort, d’éducation à la santé. À l’enseignant d’intégrer ces connaissances de la meilleure façon didactique possible, de rendre explicites ses consignes et ses objectifs pour que les élèves les comprennent bien et y trouvent du sens.
On (re)parle d’instaurer la mixité dans les cours d’éducation physique. Une bonne chose, selon vous ?
Il y a autant d’études qui démontrent les bénéfices de cours mixtes que d’études qui en pointent les désavantages. Ce n’est pas à imposer d’emblée ; cela dépend des projets éducatifs, des groupes, de la volonté de l’enseignant. Celui-ci doit être capable de s’adapter à son public, notamment dans certains contextes culturels particuliers, pour atteindre les objectifs fixés. Si ce n’est pas fait pour rapprocher les élèves, cela ne marchera pas. Je pointe aussi un paradoxe : alors que l’on vante tant le modèle finlandais dans de nombreux domaines, pourquoi ne dit-on pas que ce système d’enseignement a préféré les cours séparés pour filles et garçons, tout en laissant des espaces de pratique communs ?
Propos recueillis par
Patrick DELMÉE et Catherine MOREAU
(1) Lire le dossier « Le Sport à l'école » de notre numéro de décembre 2008, (PROF n°1), http://enseignement.be/index.php?page=27203&id=1539
(2) 6% des 6-9 ans et 2% des 10-17 ans, selon l’enquête de consommation alimentaire 2014-2015 (Rapport 3, paru en 2016).
(3) http://www.sport-adeps.be/index.php?id=7147
En deux mots
Professeur ordinaire au Département des Sciences de la motricité de l’ULg, Marc Cloes y forme les futurs professeurs d’éducation physique. Il s’occupe ainsi de la préparation didactique spécifique. En s’appuyant sur une activité de recherche dans les domaines de l’Intervention en sport et de la promotion de l’activité physique. Et aussi sur l’éclairage international que lui apportent ses fonctions de président de l’Association Internationale des Écoles Supérieures d’Éducation Physique (AIESEP).
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