Magazine PROF n°4
Dossier Lecture : des signes aux sons et aux sens
Apprendre à lire puis lire pour apprendre
Article publié le 01 / 12 / 2009.
Spécialiste de la lecture et de l’évaluation, impliquée dans les diverses enquêtes internationales, la professeure Dominique Lafontaine ne voit pas d’amélioration notable se dessiner depuis une dizaine d’années. Des solutions existent, encore faut-il les mettre en œuvre.
En 1993 déjà, après la première enquête Reading Literacy Study menée par l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (1), Dominique et Annette Lafontaine parlaient « d’avertissement majeur. Certes, les élèves belges savent lire (…), mais ils maitrisent insuffisamment (…) les mécanismes fins de la lecture qui assurent une compréhension approfondie et donc efficace ». (2)
Quinze ans après, si la Communauté française se situe « exactement au niveau de la moyenne internationale des 45 systèmes éducatifs participant à PIRLS 2006 » (3), elle arrive en queue du peloton de pays comparables, où il y a deux fois plus de « bons » élèves (46 % contre 23 %) et deux fois moins de « faibles » (18 contre 34 %).
PROF : Depuis les premières enquêtes internationales, les choses vous paraissent-elles avoir évolué ?
Dominique Lafontaine : Je dirais que non, hélas. Jusqu’à la dernière opération d’évaluation externe pour la lecture, dans les grandes lignes le problème est toujours le même. On attend les résultats de l’enquête PISA 2009 (NDLR : en décembre 2010), qui permettront la comparaison avec PISA 2000. Nos élèves se débrouillent assez bien quand il s’agit de repérer des informations situées dans le texte, mais pour ce qui est de l’ordre de l’interprétation ou de l’inférence, ils présentent des faiblesses caractérisées. Et qui persistent.
L’accent sur cette capacité d’inférence n’est-il pas « un effet de mode » ?
Je ne crois pas. Elle fait partie de la définition communément admise de ce qu’est la compréhension d’un texte. Elle figure dans nos socles et dans tous les cadres de référence relatifs à la lecture, dans les autres pays. Il est vrai que ça n’a pas toujours été le cas. Si on remonte aux très anciennes études de l’IEA (5), ce qui était de l’ordre de l’inférence et de l’interprétation de textes était vu comme des compétences en littérature. Aujourd’hui, c’est intégré aux compétences en compréhension.
Avec des conséquences sur le niveau d’exigence…
Bien sûr. Auparavant, le niveau 4e primaire était considéré comme bon pour pouvoir se débrouiller, mais la demande sociale a évolué, et cette exigence continuera à augmenter. Le citoyen se trouve aujourd’hui face à quantité de documents plus complexes : schémas, graphiques… L’arrivée de la lecture sur écran ajoute encore à la difficulté. On peut hurler quand on voit des fautes d’orthographe, mais quelqu’un qui ne maitrise pas toutes les subtilités du participe passé, ça me tracasse moins que quelqu’un qui n’est pas capable de gérer un lien hypertexte. À supposer qu’il faille choisir, bien sûr…
Même s’il ne faut pas choisir, on note chez nous une forte proportion d’apprentissages formels, au détriment des stratégies de compréhension (4). Est-ce là que le bât blesse ?
C’est l’interprétation que j’ai toujours privilégiée. Parce que soit on suppose que nos élèves sont moins intelligents que ceux des autres pays (pourquoi serait-ce le cas ?), soit ce sont des conditions d’enseignement qui sont en cause. On ne peut pas imaginer que l’action familiale seule, dans d’autres pays, prépare à de meilleures performances. Et on sait que certains pays pratiquent un apprentissage plus systématique des stratégies de compréhension. Chez nous, même s’il y a des pistes didactiques sur le sujet, même s’il y a des hautes écoles pédagogiques qui forment à cela, c’est encore trop peu répandu dans les classes.
À l’occasion d’une analyse des pratiques en 1re et 2e primaire, les enseignants disent leur malaise à l’égard de leur formation. Seraient-ils trop peu outillés ?
En tout cas, ils le disent dans cette enquête (5). Ils sont conscients des difficultés, mais ne savent pas que faire pour y faire face. Et ça c’est vraiment inquiétant. On voit dans les évaluations externes un nombre limité d’élèves en difficulté, en 2e primaire, mais il y a un grand risque qu’ils poursuivent leur scolarité avec ces difficultés. On retrouve davantage d’élèves en difficulté en 5e primaire et plus encore en 2e secondaire ! Non seulement le temps consacré à enseigner des stratégies de compréhension est insuffisant, mais en plus, pour les élèves en difficultés, peu de choses semblent être mises en place…
Les résultats ne suivent pas alors qu’on semble savoir ce qui marche… Faut-il s’y résoudre ?
Peut-être faut-il réfl chir à un pilotage un peu plus serré, plus rapproché, au niveau d’un pouvoir organisateur ou des établissements, par exemple. Avec une mobilisation générale, des formations de tous les enseignants, qui auraient des comptes à rendre. Pour décider de changer sa pratique, il ne suffit pas de lire des documents. Il faut des relais, l’impulsion de la direction, du PO. Qu’il y ait une décision de changer les choses, en équipe. Lire et s’autoformer, c’est possible, mais ce qui se passe généralement est plus informel : un collègue conseille une façon de faire qui a porté ses fruits.
Fera-t-on l’économie du débat sur la formation des maitres ?
Je crois qu’elle est effectivement trop courte et que les collègues des hautes écoles sont aujourd’hui nombreux à le reconnaitre.
En matière de lecture, l’essentiel n’est-il pas de travailler en équipe, par niveau mais aussi entre les différents niveaux ?
C’est fondamental. Ça ne peut marcher que s’il y a un projet d’école autour de la lecture. Des recherches ont montré qu’à public égal, ça marche mieux dans les écoles où il y a des coins lecture, un journal d’école, une bibliothèque (6)… Peu importe exactement quoi : l’essentiel est qu’il y ait un projet porteur, une dynamique autour de la lecture. Et ce sont des choses relativement simples : que des élèves de 3e ou de 4e, une fois par semaine, aillent raconter une histoire aux plus petits. Ce sont des choses qui marchent. Une fois que les écoles sont dans cette dynamique, elles sont très inventives et je n’ai plus rien à leur apprendre !
Un travail interdisciplinaire aussi…
Bien sûr, parce que la lecture est une compétence démultiplicatrice. Il faut donc la travailler dans les différentes matières. Lire une carte géographique, un schéma, ce n’est pas comme lire un texte littéraire. Et ce n’est pas le prof de français qui doit travailler seul ces différentes lectures.
Pensez-vous que le seuil d’exigence fixé par les socles de compétences doive être relevé ?
Je ne dirais pas que le seuil est trop bas, mais qu’il est très difficile de dire où il se situe exactement, parce qu’en lecture, au-delà des compétences, il existe un paramètre important, le texte, qui peut être plus ou moins long ou complexe. En lecture, je dirais que c’est quand il y a une évaluation externe que les enseignants commencent à être un peu plus au clair sur ce qui est exigé. Les questions portent sur des textes et je pense que c’est sans doute une des raisons pour lesquelles les évaluations externes sont appréciées. Pour la lecture, ce ne sont pas seulement des compétences mais aussi des exemples de textes qu’il faut. Cela clarifie les attentes et ça rassure…
Propos recueillis par
Didier CATTEAU
(1) http://timss.bc.edu/isc/publications.html (cliquer sur PIRLS 2001 et 2006 dans le menu de gauche ; publications en anglais)
(2) Dans Bulletin d’Informations pédagogiques, n° 8, octobre 1993, p. 5.
(3) LAFONTAINE A. (avec la collaboration de MONSEUR C.), PIRLS. Progress in International Reading Literacy Study, Rapport final, éd. ULg, décembre 2008, p. 25.
(4) On n’a jamais fini d’apprendre à lire, avis n° 57 du Conseil de l’Éducation et de la Formation (voir bibliographie), pp. 20 à 24.
(5) Apprentissage de la lecture en 1re et 2e années primaires (lire Bibliographie sélective), p. 23.
(6) LAFONTAINE et BLONDIN (lire Bibliographie sélective), p. 235.
Les évaluations révèlent des lecteurs « peu accomplis »
En matière de lecture, nos élèves se situent en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE ou de l’Union européenne, lors des enquêtes internationales. Pourtant, ils ne regardent pas plus la télé, ne lisent pas moins, ne sont pas dans des classes plus surpeuplées, et le nombre d’élèves allochtones n’est pas en cause… Évaluations externes (1) et enquêtes ont donné lieu à des recommandations pressantes, au premier rang desquelles un rappel si utile que le Conseil de l’Éducation et de la Formation en a fait dès 1998 le titre d’un de ses avis : On n’a jamais fini d’apprendre à lire (2).
Tout n’est pas négatif. Fin de 2e primaire, 90 % des enfants répondent correctement et « savent retrouver des informations explicites dans des textes ou documents simples » (3). Pour la professeure Lafontaine, l’apprentissage initial de la lecture s’effectue d’une façon globalement satisfaisante.
Là où le bât blesse, c’est du côté de la capacité d’inférence (lire Apprendre à lire puis lire pour apprendre). Autre souci : la vitesse de lecture. Les résultats aux évaluations externes et les questionnaires des enseignants à cette occasion font dire à Dominique Lafontaine et Christiane Blondin que « leur niveau d’exigence est insuffisant en ce qui concerne la vitesse de lecture ».
Globalement, le tableau brossé par les évaluations externes révèle des lecteurs « peu accomplis ». Et la dispersion des résultats enfle encore l’inquiétude : beaucoup d’élèves aux compétences faibles, très peu aux compétences très élevées. Seule consolation : le niveau ne s’est pas dégradé de 1991 à 2000.
La solution ? Sortir de « l’impasse pédagogique » qui consiste à estimer « que l’apprentissage de la lecture concerne quasi exclusivement les deux années du primaire ». Tous les outils développés depuis y insistent…
(1) http://www.enseignement.be/index.php?page=24760&navi=2029
(2) Avis n° 57 du Conseil de l’Éducation et de la Formation. Un état des lieux, très synthétique, qui date de 1996-97.http://www.cef.cfwb.be/index.php?m=biblio_doc_view&do_id=105) .
(3) LAFONTAINE et BLONDIN (lire Bibliographie sélective).
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