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Magazine PROF n°4

 

Dossier Les relations parents-école

Partenaires dans l’éducation

Article publié le 01 / 12 / 2009.

Pourquoi existe-t-il des tensions entre les parents et l’école ? Quels sont les bénéfices, les conditions et les limites du partenariat ?

Pour Philippe Meirieu, le couple famille-école est basé sur un mariage de raison : la famille accepte de se déposséder d’une partie de ses responsabilités éducatives au profit de l’école. Le pédagogue souligne aussi l’ambivalence des rapports : « Les parents confient un mandat à l’enseignant tandis que celui-ci le reçoit d’une autre institution, transcendante par rapport à la famille ». (1)

Il faut combiner les démarches d’apprentissage car chaque enfant a ses besoins spécifiques.
Il faut combiner les démarches d’apprentissage car chaque enfant a ses besoins spécifiques.
© Serdu

Tant que le diplôme assurait la réussite socioprofessionnelle, la météo semblait clémente. Les intempéries sont nées de divers facteurs : panne progressive de l’ascenseur social, augmentation du niveau d’études des parents, souci d’exercer des « droits d’usagers ». Ou encore la montée de « l’enfant roi », dont la parole l’emporte, parfois, sur celle du professeur…

En même temps, le modèle professionnel de l’enseignant a évolué : le transmetteur de savoir est devenu celui qui adapte sa pédagogie aux élèves, travaille en équipe avec ses collègues et en partenariat avec les parents. Le Contrat pour l’École ne fait-il pas du renforcement du dialogue avec les familles l’une de ses priorités ? N’empêche, pour ces partenaires, les changements peuvent être source de tensions, de comportements défensifs, de malentendus dont il faut dégager les racines.

Quand la géométrie s’en mêle

Si école et famille partagent le désir d’investir dans l’enfance, ils n’interviennent pas dans le même champ. Selon la sociologue Danielle Mouraux, la famille est ronde : elle est dans l’affectif, l’individuel, le gratuit. L’école, carrée, fonctionne sur le cognitif, le collectif, l’évaluatif. Pour passer de l’une à l’autre, l’enfant doit se transformer en élève, c’est-à-dire nouer des relations plus professionnelles et collectives ; accepter d’être observé, évalué et certifié.

Ce passage sera plus aisé pour l’enfant d’une famille « carrée » privilégiant les valeurs scolaires que pour celui d’une famille « ronde » ou « hexagonale ». Pour Danielle Mouraux, cette dernière utilise l’école comme un instrument à son service et est volontiers critique vis-à-vis des enseignants.

Le passage est d’autant plus difficile que ces milieux ne sont pas étanches : le scolaire s’invite à la maison (devoirs, bulletins) et la famille pénètre à l’école par les pratiques socioculturelles (alimentation, heures de sommeil,…) des enfants. Des tensions peuvent naitre dans la façon dont on traite le flou créé par cette double immersion. Et monter d’un cran chaque fois que cette confusion des territoires amène à juger les contenus appris ou les modes de transmission privilégiés dans chaque milieu. Avec le risque que face à des conflits de compétences entre adultes, l’enfant se sente (mal) pris dans des loyautés contradictoires.

Une affaire de compétences

École et famille ont donc intérêt à se connaitre, à garder leur particularité sans chercher à se ressembler ni imposer à l’autre de se dénaturer. Les parents doivent admettre que l’école est une institution porteuse d’un projet collectif répondant à une commande sociale (former des citoyens épanouis, compétents, solidaires et responsables). Lors de l’inscription, les parents reconnaissent l’expertise du directeur et des enseignants dans leur métier. L’école, de son côté, doit reconnaitre les compétences des parents et renoncer à les conseiller en matière d’éducation. Même si la formation des enseignants les rend sensibles à certains « dysfonctionnements » des familles.

Pas facile à vivre au quotidien ! « On voit des parents demander sévérité et haut niveau d’exigence, puis réclamer des assouplissements, voire contester les décisions lorsque les conséquences négatives de ces attentes se font sentir sous forme d’échec ou de sanction », note le sociologue Bernard Petre (2).

Changer les regards

Par ailleurs, les parents ne sont pas égaux devant l’école. Quelle que soit leur classe sociale, ils y viennent avec leur histoire, leur passé scolaire, leurs représentations et développent donc des attentes très différentes vis-à vis de l’école. Cléopâtre Montandon, professeure honoraire en sociologie de l’éducation à l’Université de Genève, rappelle que l’institution scolaire détient le pouvoir bien réel d’instruire ou d’y renoncer, de certifier ou de refuser le diplôme, de juger, de classer, de noter de punir, de faire redoubler, de sélectionner, d’exclure des filières les plus enviables (3). À l’inverse, certaines familles (ab)usent de leurs droits d’usagers pour changer de produit ou LE produit : recours contre les décisions des conseils de classe, changement d’établissement, pressions exercées sur les enseignants…

Comme en témoignent deux consultations récentes (4), beaucoup d’enseignants déplorent ces pressions (violence symbolique ou physique) ainsi que la déresponsabilisation des parents par rapport à leurs missions éducatives. Des études l’ont montré : l’implication parentale dans le parcours scolaire a un effet significatif sur le comportement et la réussite scolaire des enfants, quelle que soit leur origine sociale. D’où l’importance de nouer des rapports sans gagnants ni perdants, où les partenaires voient clairement l’intérêt d’une collaboration. Cela suppose que l’école explique aux parents son fonctionnement et ses exigences, valorise différentes formes de partenariat tout en montrant clairement les limites. Et que les parents comprennent en quoi leur intervention fera une différence quant à la réussite et aux apprentissages de leur enfant.

Le psychopédagogue Olivier Maulini résume : « Le rapport aux familles n’est finalement pas très différent du rapport aux élèves. Là aussi, une pédagogie peut se mettre en place, à la fois active, coopérative et différenciée. Impliquer les parents dans des activités et des débats significatifs, stimuler les échanges entre l’école et la famille et entre les familles elles-mêmes, avoir les mêmes ambitions pour toutes, mais diversifier les moyens d’action : le partenariat est peut-être une idée à la mode, mais il peut aussi devenir un levier important de lutte contre l’échec scolaire ». (5)

Catherine MOREAU

(1) « De la rivalité au partage. Les parents et l’école », entretien avec Philippe Meirieu, dans Enfances & Psy, n° 21, 2003 (téléchargeable sur http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=EP_021_0023).
(2) « École et parents : une affaire de territoire ? », par Bernard Petre, dans Enfant-roi ? École et parents partenaires (voir bibliographie), p. 18.
(3) « L’école dans la vie des familles », par Cléopâtre Montandon, dans Cahiers du service de la recherche sociologique, n° 32, Genève, 1991.
(4) Téléchargeables à partir de la pagehttp://www.enseignement.be/index.php?page=24691
(5) « La place des parents à l’école, consommateurs ou partenaires ? », par Olivier Maulini, Université de Genève, laboratoire LIFE (Chantiers de l’innovation), 2001 (https://archive-ouverte.unige.ch/unige:41241).
 

Aux sources d’un malentendu

Pourquoi un taux d’échec supérieur chez des enfants de milieux défavorisés ? Bernard Delvaux, Magali Joseph et Éric Mangez, du Cerisis, ont mené une recherche (1) montrant que les familles de ces milieux, loin d’être indifférentes ou hostiles à l’école, la considèrent comme un ascenseur social très important. Mais école et familles ne partagent pas les mêmes normes pour définir le « bon parent ».

Ces familles utilisent des repères issus d’un registre domestico-pratique : propreté/saleté, apprendre/jouer, discipline/laisser-aller,… Parler de « pédagogies centrées sur la créativité de l’enfant », par exemple, ne veut pas dire grand chose puisque cela ne se réfère pas à une réalité immédiate et observable directement. Face à ces différences de repères, les familles adoptent diverses stratégies : lutte, collaboration, repli, distanciation soumise.

Pour améliorer ces relations, les auteurs proposent plusieurs axes de travail : former les enseignants à comprendre, voire à intégrer dans leur pratique, le registre domestique propre aux familles ; donner aux parents des repères pour maîtriser les normes scolaires, en mobilisant services sociaux et organismes d’éducation permanente. Ou encore construire une relation positive avec les familles dès le moment de l’inscription.

(1) Les familles défavorisées à l’épreuve de l’école maternelle. Collaboration, lutte, repli, distanciation, par Bernard Delvaux, Magali Joseph et Éric Mangez, Cerisis (UCL). http://www.enseignement.be/index.php?page=24894&navi=862&rank_page=24894

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