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Magazine PROF n°45

 

CotĂ© psy 

Peut-on toucher les élèves aujourd’hui ?

Article publié le 24 / 03 / 2020.

Le toucher est le premier sens par lequel l’enfant se construit et découvre les autres et le monde. Il reste un des outils disponibles sur le plan pédagogique ou éducatif.

Psychologue et psychothérapeute, Claire Meersseman organise aussi des formations ou supervisions, collectives ou individuelles, pour des professionnels de l’enfance et notamment pour les enseignants. Elle collabore souvent avec le service Yapaka (lire Pour en savoir plus). Elle a beaucoup travaillé pour SOS-enfants auparavant, avec à la clé une expérience considérable du travail clinique et du travail en réseau.

Pour Claire Meersseman, « le portage, la manipulation, les câlins ont de multiples fonctions permettant à l’enfant d’entrer dans une relation sociale ».
Pour Claire Meersseman, « le portage, la manipulation, les câlins ont de multiples fonctions permettant à l’enfant d’entrer dans une relation sociale ».
© PROF/FWB

PROF : Les enseignants peuvent-ils encore toucher les enfants aujourd’hui?
Claire Meersseman : L’affaire Dutroux a créé un véritable traumatisme dans l’opinion publique. À l’époque, les papas n’osaient plus toucher leurs enfants. D’autres ont malheureusement suivi et discrédité le toucher dans les classes.

Or, le portage, la manipulation, les câlins ont de multiples fonctions permettant à l’enfant d’entrer dans une relation sociale ; de se découvrir en tant qu’individu grâce à ses miroirs ; de découvrir son corps, ses limites ; de découvrir le monde. D’abord grâce au toucher et ensuite à travers tous les sens.

On retrouve cela à l’école. Les stimulations de l’élève, à travers les sens, sont un moteur de développement du cerveau et notamment de ses capacités cognitives, dès la maternelle et dans toutes les années qui suivent.

Les enseignants se substituent aux parents ?
Ils se glissent dans le modèle relationnel de dialogue, de manipulation… que les parents créent avec leur enfant. Il faut donc être à l’écoute du modèle de chaque élève, tout en mettant en place un modèle relationnel lié à son école et à sa propre individualité.

Certains enfants, certains enseignants sont plus tactiles, d’autres moins. L’expérience de l’enseignant lui permet de se mettre au diapason de l’enfant, de s’accorder, tout en restant également lui-même.

Cela nécessite d’installer la confiance entre ces acteurs. C’est difficile dans une société où les parents ont un regard sur les enseignants plus critique que légitimant.

Le toucher est-il uniquement bienveillant ?

L’enfant découvre les limites en testant les adultes, qui sont à la fois les « bons » et les « mauvais objets », à la fois dans la rondeur et la gentillesse mais aussi dans la rigueur et le carré.

En classe, il est bon de maintenir le cadre et, si le moment est à l’apprentissage, d’y rester. Cela passe par le regard appuyé, par une pression de la main... S’il répète des bêtises, l’enfant peut comprendre le rappel de la limite. Mais il faut rester attentif au sens que le regard ou le geste peut avoir pour lui. Ainsi, il est bon de mettre des mots sur son intervention, avant, pendant ou après, et d’éviter ainsi toute interprétation erronée.

Par contre, tirer l’oreille ou donner une fessée seront compris plutôt comme le côté excédé ou le manque de contrôle de la part de l’adulte. Cela nuit à la qualité de la relation et de l’apprentissage.

Le toucher est-il utile aussi sur le plan pédagogique ?
L’élève imite les gestes de l’enseignant et les reproduit. À force, il leur donne du sens. Il creuse des sentiers, qui deviennent des routes, puis des autoroutes. Lorsqu’on apprend à un élève à nager, à faire du sport, à réaliser une pratique professionnelle… on a sans doute intérêt d’abord à montrer les gestes à l’élève avant d’encadrer de façon tactile ses mouvements.

Et dans le cas d’une crise de l’élève ?
De nouveau, les compétences de l’enseignant lui permettent d’en sentir l’importance ou de déterminer le besoin de l’enfant et d’y apporter parfois un encouragement, un câlin, ou un rappel du cadre. Cela fait aussi du bien à l’élève. Si cela va plus loin, attention à ne pas se laisser aspirer par le besoin de l’élève, et à passer le relai aux éducateurs ou aux agents CPMS.

Par ailleurs, un contact avec un élève qui a eu une relation insécure d’attachement avec son ou ses parent(s) peut se révéler très désagréable pour lui et devenir contre-productif.

Est-ce compliqué ?

Travailler avec l’humain et le relationnel, à la fois dans une dimension individuelle et de groupe, n’est pas facile. À cela s’ajoute la pression de l’opinion publique et aujourd’hui des réseaux sociaux. D’où l’importance d’avoir une bonne équipe éducative et une direction soutenante qui, en cas de divergence avec les parents ou l’élève, partira d’un présupposé positif pour l’enseignant.

Les cercles de parole peuvent aider. Mais évoquer ses pratiques du toucher par exemple avec ses collègues directs peut se révéler délicat. C’est plus facile en intervision ou avec un agent du CPMS. Attention à ne laisser passer aucune ambiguïté. Sinon, la suivante peut aggraver la situation.

Et à la récréation?
Les élèves y vivent davantage leur côté pulsionnel. Parfois, on apprend les limites en se touchant, en se frottant, en se roulant par terre. À l’enseignant de parfois laisser faire et de parfois intervenir.

Notons aussi que le jeu même permet à l’enfant d’expérimenter les trois figures de la relation violente : bourreau, victime, témoin. C’est nécessaire pour son équilibre et pour savoir qu’il ne doit pas rester figé dans une des figures. Alors que l’usage actuel des écrans a comme effet pervers justement celui-là.

Prévenir la violence ou la maltraitance, c’est aussi laisser la parole aux jeunes ?
L’école est un lieu social collectif. Il est important de pouvoir y déposer des choses qui posent question et d’y réfléchir, comme ces thèmes-là ou d’autres. On les sort de leur creuset et on apporte des éléments pour opérer un décalage. J’ajouterais qu’il est sans doute important pour l’école d’amener aussi les parents - assez démunis aujourd’hui - à s’interroger, voire à réfléchir, à débattre sur ces thématiques.

Propos recueillis par
Patrick DELMÉE

Pour en savoir plus

Le psychiatre et psychanalyste Pierre Delion le rappelle dans un ouvrage de la collection Temps d’arrêt de Yapaka (1) : « Le sens tactile est le premier à faire son apparition dans le développement embryologique et fœtal de l’enfant. »

Le toucher est aussi un témoin permanent de la présence de l’autre, et de sa propre présence, donc de la construction de son individualité. Mais, s’il est important de porter bébé, de l’entourer d’une ambiance chaleureuse, il faut aussi lui laisser des moments de répit où il construit son propre monde.

À mesure qu’il grandit, le toucher se raréfie, mais le câlin reste une sorte de viatique pour la route : « L’enfant refait une mise à jour de ses capacités tactiles primitives et, réconforté par ce retour même furtif, part découvrir le monde ».

Dans ce livre, l’auteur aborde également le milieu scolaire, sans dresser de liste des gestes permis, qui ne pourrait être exhaustive ou servir de référence : « La signification de ces gestes importe beaucoup plus que leur réalité anatomique ».

Yapaka dispose également d’une collection de vidéos sur le sujet, disponibles via https://www.yapaka.be (onglets Livres, vidéos, podcasts… puis Toutes les vidéos, puis filtrer par la thématique Développement de l’enfant).

Pa.D.

(1) DELION P., Peut-on encore toucher les enfants aujourd’hui ?, 2016, Yapaka (Fédération Wallonie-Bruxelles), collection Temps d’arrêt (n°86). https://www.yapaka.be (> Livres, vidéos, podcasts…)

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