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Magazine PROF n°46

 

L'info 

Plan de prévention: « L’AMOK est une rage incontrôlable ! »

Article publié le 02 / 06 / 2020.

Rien que d’y penser, les intrusions armées dans les écoles glacent le sang des équipes éducatives. Mieux vaut donc se préparer, via des formations, un plan d’urgence, une planification ou un exercice de prévention…

Les années précédentes, à l’initiative du Cabinet 2014-2019 de la ministre de l’Éducation, Pierre Jacobs, chef de corps de la Zone de police Lesse & Lhomme et référent au sein de la police francophone pour le phénomène AMOK, a animé, plusieurs formations d’un jour pour y sensibiliser les directions d’école (1). À elles de faire le relai vers les équipes éducatives.

Le phénomène AMOK

AMOK signifie en langue malaise « rage incontrôlable », un terme étendu à toute situation de désordre. Il désigne un incident où un ou plusieurs auteurs procède(nt) de manière froide et calculée, pour faire un maximum de victimes, en se déplaçant librement dans un lieu occupé par un large public. « Une situation criminelle particulière, comparable à une prise d’otages, par exemple », selon M. Jacobs.

Les auteurs n’ont pas de profil type. Ce sont surtout des hommes seuls. Ils se suicident dans 90 % des cas. Leurs cibles sont aléatoires. Ils utilisent des armes à feu, mais pas seulement. La durée moyenne d’un incident est de 8 minutes.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Des cas sont enregistrés aux 18e et 19e siècles. Les écoles sont fréquemment visées. Surtout aux USA qui ont connu 45 incidents en 2019, mais aussi en Europe du Nord dans les années 2000 et en Amérique du Sud. Et en Belgique ? Deux personnes ont été abattues à Anvers le 11 mai 2006 ; un jeune homme a tué deux bébés et une puéricultrice, en juin 2009, dans une crèche de Termonde ; deux policières ont été agressées à Charleroi en aout 2016 ; et Liège a été endeuillée par les attaques du 13 décembre 2011 et du 29 mai 2018 (lire « Des attentats à Liège »)…

En lien avec le terrorisme

Par ailleurs, notre pays a connu le 22 mars 2016 les terribles attentats dans le métro bruxellois puis à l’aéroport de Zaventem. Faut-il, dès lors, lier AMOK et terrorisme radical ? « Au début, il n’y a pas de lien, explique l’expert. Mais ces crimes, fort proches, ont des caractéristiques communes. Des actions terroristes coordonnées et calculées en groupe, on glisse vers des actions individuelles ».

Des formations permettant d'établir des plans de prévention axés sur le phénomène AMOK d'intrusion armée ont été et seront encore organisées à l'attention des directions.
Des formations permettant d'établir des plans de prévention axés sur le phénomène AMOK d'intrusion armée ont été et seront encore organisées à l'attention des directions.
© Adobe Stock/vchalup

Le terroriste radical a une idéologie spécifique, un réseau et un soutien logistique. Il travaille seul ou en équipe. Il a des revendications ou l’attentat est souvent récupéré par un mouvement. Il prépare longuement son crime. Tout un travail d’enquête essaie de le contrer. Il génère une terreur globale.

L’intrus AMOK, lui, a des motivations diverses, pas (ou peu) de soutien extérieur, est souvent seul, sans revendications. Il agit après une longue maturation, au cours de laquelle on peut déceler des signaux.

Pour les plus jeunes auteurs, ces signaux sont souvent parallèles aux signes de l’adolescence. Dès qu’il y a une formulation de menace, elle doit être prise au sérieux et il faut dialoguer pour voir ce qu’il y a en dessous et s’il y a perte de contact avec le monde réel.

L’évaluation doit être correcte et sérieuse : le rassemblement des informations est favorisé par la bonne ambiance dans l’école. Et il faut réévaluer la menace à intervalles réguliers, car le processus est dynamique. L’idéal est de prédéterminer un groupe qui s’informe davantage pour être prêt à évaluer en objectivant son jugement.

Face aux intrus armés ?

Une intrusion armée provoque le chaos, la confusion et la panique chez les enseignants et leurs élèves, qui n’ont pas une vue claire de la situation. La charge émotionnelle est très forte. « Fuyez, si vous le pouvez, si le chemin d'évacuation est sûr, l'issue ou la sortie proche et pas dans le champ d'activité de l'auteur, etc », conseille le référent AMOK.

« Sinon, optez pour le lockdown ; barricadez-vous où vous êtes, ne tentez pas l’auteur, mettez des obstacles à sa progression en verrouillant les portes, en éteignant les lumières, installez-vous dans un coin du local peu ou pas visible, restez silencieux… »

« Les intrus avancent. Il y a plus de chances qu’ils continuent devant une porte fermée. Rassembler tout le personnel et les élèves dans une saferoom est une fausse bonne idée. En dernier recours, si on est confronté directement à l’auteur, il faut plutôt réagir que de se laisser abattre. »

La prévention

Plusieurs acteurs interviennent autour de l’intrusion : la police, les secours, les parents, les médias, les services communaux... « D’où la nécessité de faire de la prévention et de mettre en place un dialogue entre acteurs concernés, avant, pendant et après. Cette culture n’est pas très développée chez nous. Mais il faut être prêt. »

Ainsi, la prévention passe par la connaissance de l’agent de quartier ou le référent AMOK de la zone de police. La commune met en place un plan communal d’urgence, avec un fonctionnaire-ressource. À l’école de préparer un plan global de prévention (à 5 ans), et un plan d’actions global annuel, comme tout employeur doit le faire légalement. « L’idéal est de pouvoir relier ces plans, de reconnaitre les lieux, de comparer les procédures… »

« On n’est à l’abri de rien, conclut le policier. Il faut se préparer, sans tomber dans la psychose. »


Patrick DELMÉE

(1) L’actuel Cabinet de l’Éducation 2019-2024 entend faire poursuivre la tenue de ces formations en 2020-2021, et pour la suite revoir la périodicité des formations afin de les mettre en perspective avec l’ensemble des formations proposées aux chefs d’établissement.

Pour en savoir plus

• Guide pratique relatif à la prévention et à la gestion des violences en milieu scolaire. Cet ouvrage édité par la Direction générale de l’Enseignement obligatoire offre des points de repères dans des démarches de sensibilisation, de prévention ciblée et d’intervention de crise. http://www.enseignement.be/index.php?page=26937&navi=3524

• Les Services de la médiation scolaire et des équipes mobiles disposent de ressources en termes de médiation, de prévention et de gestion de crise. http://www.enseignement.be/index.php?page=4264&navi=2452 et http://www.enseignement.be/index.php?page=23747 

• Le site du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale contient des pages relative au thème du Bien-être au travail. http://www.emploi.belgique.be

• Le site yapaka.be dispose de ressources sur le traumatisme, et notamment un ouvrage de la collection Temps d’arrêt, Évènement traumatique en institution, de Delphine Pennewaert et Thibaut Loren. https://www.yapaka.be/thematique/traumatisme

Conseillers en prévention

La loi Bien-être du 4 aout 1996 (accessible via https://emploi.belgique.be/fr/themes/bien-etre-au-travail#toc_heading_2) crée un cadre relatif au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail. Chaque entreprise doit créer un service interne de prévention et de protection au travail (SIPPT) et désigner un conseiller en prévention.

Parmi leurs missions (https://emploi.belgique.be/fr/themes/bien-etre-au-travail/structures-organisationnelles/le-conseiller-en-prevention/definition), ils donnent un avis et formulent des propositions sur la rédaction, la mise en œuvre et l'adaptation du plan global de prévention et du plan annuel d'action.

Pour aider les écoles à mettre en place SIPPT et conseiller en prévention, un décret de 2009 prévoyait l’octroi de périodes complémentaires pour l’enseignement obligatoire, l’enseignement de promotion sociale et les centres PMS.

Le décret-programme du 12 décembre 2018 (https://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_02.php?ncda=45822&referant=l01) a réactivé ce mécanisme via l’octroi de moyens financiers à convertir en périodes (circulaires 6980, 7296, 7319, 7329, www.enseignement.be/circulaires).

Les directions du réseau WBE trouveront de l’aide auprès du SIPPT du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la conception de leur plan interne d’urgence.


 

La prévention AMOK : pas du toc à Liège !

Dans une ville qui a connu deux intrusions armées importantes en 10 ans, le Service de prévention communal et les services de police ont mis en place un module de sensibilisation Intrusion armée pour les écoles.

Un jour d’hiver, à 16h, les élèves de l’École fondamentale communale du Thier, à Liège, croisent en sortant plusieurs combis de policiers équipés : 25 agents et 80 enseignants, de 6 écoles, participent à un exercice de prévention AMOK organisé par le Service de prévention et la Zone de police.

En janvier 2020, 80 enseignants de six écoles ont pris part à un exercice de prévention AMOK organisé par le Service de prévention et la Zone de police de Liège.
En janvier 2020, 80 enseignants de six écoles ont pris part à un exercice de prévention AMOK organisé par le Service de prévention et la Zone de police de Liège.
© PROF/FWB

Les consignes

Philippe Houyoux, commissaire adjoint au Peloton anti-banditisme et dirigeant du Centre de Maitrise de la Violence, donne les consignes de la soirée : « Durant les trois scénarios, la priorité absolue est le run – hide – fight : fuir si possible ; donner l’alerte ; informer la police via tel numéro ; se cacher et se barricader dans le local ; se préparer à se battre si l’attaquant traverse vos défenses ».

Ensuite, il confronte les participants à plusieurs détonations de balles à blanc, explique que les policiers présents sont encadrés par des gilets rouges et observés par des gilets jaunes. Chaque scénario dure près de 15 minutes. Il s’agit d’éviter toute casse, même celle des clapets d’alarme, et d’éviter de se mettre en danger. Une personne visée par un agresseur qui tire reste immobile au sol. Un coup de sifflet termine le scénario. Puis, les participants se réunissent dans la salle de départ pour un débriefing.

« On se barricade »

16h25 : 14 groupes rejoignent chacun un local. Dans le 52, au rez-de chaussée, on entend des détonations toutes proches. On décide de fermer les tentures, de barricader la porte, de faire silence, d’avertir le téléphone indiqué. On attend... Soudain, on frappe à la porte, on essaie de la forcer. La barricade de fortune tient. Plus tard, les GSM et WhatsApp s’activent : « Fuyez », « On est sauvés », « Vous vivez toujours ? » Un poing frappe la porte : « Police. » « On ne vous croit pas ». Le sifflet retentit.

Au débriefing, M. Houyoux récapitule. 16h38 : Un intrus entre par la porte principale, puis dans une classe. Il tire 3 fois. Il monte ensuite au couloir du 1er étage. 16h39 : L’alarme incendie est déclenchée. 16h40. Le central radio est alerté. 16h42 : une dizaine de policiers et des chiens sont sur place. 16h53 : l’auteur est appréhendé. « L’enjeu est de gérer les 10 ou 15 premières minutes, explique-t-il. La priorité est d’arrêter l’auteur avant d’évacuer les personnes blessées ».

75 % des participants ont fui, 25% se sont enfermés. « La fuite doit être réfléchie, plus que pour une alerte incendie, insiste-t-il. Il faut conserver une possibilité de faire demi-tour. Si vous restez en classe, soyez le plus invisibles possible ».

Une dizaine d’appels ont touché le central téléphonique et le groupe WhatsApp s’est activé. Catherine Schroyen, responsable du Service de prévention : « Peu d’informations pertinentes. Aucune description du ou des auteurs, donnant le sexe, le type, l’âge, la hauteur, les vêtements, les armes, la localisation… Tant qu’on n’a pas fait l’exercice, difficile de comprendre tous les conseils donnés lors de la conférence de prévention qui l’a précédé ».

Face au stress

17h20 : dans le 2e scénario, 2 intrus armés entrent, l’un erre dans les couloirs, l’autre se retranche dans un local. 17h24 : premier tir. 17h25 : mobilisation des policiers qui arrivent sur le site trois minutes plus tard. 17h44 : le sifflet retentit.

L’exercice a duré 5 minutes de plus que le premier, mais cela a semblé plus long à de nombreux participants : « Le stress amène une distorsion du temps et l’oubli de certains souvenirs », commente M. Houyoux. L’enfermement dans les locaux a atteint 90 %. La communication a été meilleure, quant à la description et la localisation des auteurs.

Du côté des policiers

Pour le 3e scénario, à 18h10, des coups de feu retentissent. 18h13 : le commissariat local est averti. 18h15 : 4 policiers entrent dans l’école où résonne la sirène d’évacuation. Ils explorent, s’arrêtent à chaque angle, pointent leur pistolet et leur lampe torche, à la recherche du ou des auteurs.

18h17 : le peloton anti-banditisme arrive : même manège pour les deux escouades de 5 hommes cagoulés, casqués, armés de fusils-mitrailleurs, de boucliers,… Des détonations et des cris éclatent. Avertie par le central qui a reçu la description et la localisation d’un intrus, la première escouade l’appréhende. L’autre se rend prudemment à l’étage. Un policier crie : « Police, ouvrez ». La porte s’ouvre : un intrus armé a pris en otage plusieurs participants. Un des agents parlemente. L’évacuation des autres locaux commence. Le sifflet retentit.

« L’exercice est aussi une opportunité pour les policiers, commente M. Houyoux. lls testent les tactiques liées à l’intrusion armée et découvrent l’architecture de l’école ».

C’est la panique ?

L’exercice s’est déroulé sans élèves. Les enseignants se questionnent sur la façon de les gérer au cours d’un tel exercice. « Le Service de prévention peut vous aider à prévoir comment gérer la panique », répond Mme Schroyen. « Le but est avant tout de sensibiliser les adultes, ajoute M. Houyoux. Par ailleurs, dans un avenir proche, nous prévoyons un exercice avec des élèves du secondaire, mieux à même d’en comprendre le fonctionnement. »

Dans un coin de la salle, un médecin du CHU de Liège s’entretient avec un des participants, marqué. Mme Schroyen : « Pour conclure la soirée, cet exercice génère du stress. Si vous ne dormez pas bien cette nuit, c’est normal. Si cela continue, prévenez-nous. »

Pa.D.
 

Des attentats à Liège

Les « intrusions armées » n’ont pas épargné la ville de Liège. Le 29 mai 2018, à 10h30, un jeune homme attaque au couteau deux policières par derrière. Il les achève à l'aide d'une de leurs armes de poing. Puis, il tue le passager d'une auto. Enfin, il entre dans l'Athénée Léonie de Waha. Il tire trois fois vers la cour de récréation. Il prend comme bouclier humain une femme de ménage. Bloqué dans le sas d'entrée, il sort, blesse quatre policiers avant d'être abattu vers 11h.

La ville avait été déjà endeuillée, le 13 décembre 2011. De 12h33 à 12h40, eut lieu une attaque à la grenade et au fusil d’assaut, place Saint-Lambert, très fréquentée sur le temps de midi, aux abords du marché de Noël. Le bilan ? 125 blessés et 7 victimes, dont le tueur qui s’est donné la mort.

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