Magazine PROF n°52
L'acteur
Co-enseignement : « L’essayer, c’est l’adopter ! »
Article publié le 10 / 12 / 2021.
Institutrices à Tamines, Cindy Choffray et Sylvie Thomas pratiquent le co-enseignement, qui ne se réduit pas à « deux enseignants » dans la même classe. Explications enthousiastes.
Cindy Choffray est titulaire d’une classe de maternel à l’école fondamentale autonome Michel Warnon, à Tamines, qui est en encadrement différencié. Elle travaille étroitement avec sa collègue Sylvie Thomas, titulaire de la classe de P1-P2. Avec leur directrice, Roxane Dedobbeleer, elles nous expliquent leur façon de co-enseigner.
PROF : D’où est née cette collaboration ?
Cindy Choffray : Je suis ici depuis 5 ans. Il y a 2 ans, j’ai fait partie du projet DIFFELEC (1) lié à l’apprentissage de la lecture au cycle 5-8, mené par une équipe de l’Université de Namur. Cette année-là, j’étais à mi-temps ici et à mi-temps la personne-ressource pour le projet, dans quatre implantations, à Auvelais et à Tamines. J’avais une journée dans chacune des quatre implantations. Puis on a décidé, avec l’équipe de l’université, de regrouper mes heures dans les classes désireuses de pratiquer le co-enseignement, parce que c’est compliqué de travailler avec des gens qui n’en avaient pas envie…
Quelles étaient les réticences ?
C. Ch. : C’est vraiment propre à chacun-e. Ici, j’avais l’avantage, avec Sylvie, qu’on travaillait déjà ensemble auparavant, donc ça n’a posé aucun problème ! Avec une autre enseignante ça a été facile aussi alors que je n’avais jamais travaillé avec elle avant…
Roxane Dedobbeleer : Parce que vous avez la même philosophie de travail !
C. Ch. : Voilà ! C’était facile. Avec les autres, pourquoi ? Parce qu’elles avaient l’impression de faire déjà beaucoup. Parce qu’on ne leur avait pas demandé leur avis : parfois il suffit de ça… Certains trouvaient que ça susciterait beaucoup de travail pour les deux heures/semaine dans leur classe.
Pourtant, le dispositif amenait des moyens supplémentaires !
R. D. : Le travail collaboratif est compliqué pour certaines personnes...
C. Ch. : En plus, dans le cadre du co-enseignement, on ne me demandait pas d’enlever des élèves de la classe. On demandait qu’il y ait réellement une organisation, un échange, au niveau de la démarche, de la méthodologie, quelque chose de construit. Et pas dire : Tiens elle vient, je vais lui refiler la moitié de la classe et elle fera ce qu’elle veut pendant deux heures. L’Université de Namur avait besoin qu’on suive des fiches-outils, qu’on mette des pratiques en place, qu’on teste des outils de co-enseignement. Le but n’était pas que moi je soulage en prenant des élèves !
Sylvie Thomas : On avait des fiches-outils, mais c’était à nous de les mettre en place. Et puis il y avait des mercredis après-midi de formation, pour les personnes-ressources mais aussi pour les titulaires… Ce n’était pas de la remédiation. Il fallait aussi pouvoir remettre en question nos pratiques. Et accepter le regard de l’autre…
Et quand ça marchait, pourquoi ?
S. Th. : Ça a bien marché quand on a vraiment pris le temps de partager ce qu’on voulait faire et ce à quoi on voulait arriver. C’est quand on a vraiment maitrisé ce qu’est le co-enseignement. Pas simplement Toi tu fais un truc et moi un autre, mais quand on a construit les objectifs ensemble,… On a vraiment commencé à co-enseigner quand la confiance était établie. Alors, quel que soit le projet, ça super bien fonctionné !
Il vous a fallu combien de temps pour « maitriser » le co-enseignement ?
C. Ch. : On a étudié ça en formation. D’après les témoignages d’enseignants qui le pratiquent à l’école Sainte-Marie, à Namur (qui accueille des enfants sourds dans des classes ordinaires), il faut deux ans pour qu’un binôme fonctionne pleinement. Nous, ici, on n’avait pas besoin de ce temps-là parce qu’on travaillait déjà ensemble.
Quelles sont les caractéristiques principales du co-enseignement ?
C. Ch. : C’est travailler sur le même thème mais avec des approches différentes et en ayant partagé ces approches ensemble. Ce n’est pas faire la même chose au même moment au même endroit. Il y a toute la partie de l’iceberg qu’on ne voit pas.
R. D. : Et on voit mieux les difficultés des élèves. L’avantage, c’est qu’on a deux regards ! Et ça c’est riche…
Pour que ça marche, il faut accepter que les élèves de l’une sont aussi ceux de l’autre…
S. Th. : Bien sûr. On n’est plus seule avec nos élèves dans notre classe ! Or, on est très possessif dans l’enseignement ! Il faut dépasser ça… Ce qu’il faut dire aussi, c’est que les élèves de Cindy seront dans ma classe l’année suivante.
Pour tout ce partage, ces préparations, vous faites comment ?
C. Ch. : Les temps de midi, la messagerie, des temps de préparation individuelle, parfois les heures de concertation du vendredi.
Aujourd’hui, comment s’organise votre co-enseignement ?
C. Ch. : Tous les mardis après-midi, on réunit les enfants du 5-8, et on divise les enfants.
S. Th. : En ce moment, on travaille les contes. Chacune travaille un conte différent avec sa propre approche, et puis il y aura un travail commun sur la création d’un conte détourné…
Finalement, vous êtes rarement à deux avec tous les enfants, ce qui est l’image qu’on a du co-enseignement…
C. Ch. : Il y a différentes méthodes de co-enseignement. Ici, on fonctionne comme ça. Mais avec une autre collègue, j’étais en classe avec elle. Tantôt on faisait des ateliers et j’allais de groupe en groupe en soutien ; tantôt elle préparait une première partie de l’atelier et moi une deuxième ; tantôt on faisait des groupes de niveau, pour les lectures par exemple : on voyait le même ouvrage, mais pour les lecteurs en difficulté, le scénario de l’ouvrage était simplifié… Mais on voyait la même histoire. Avec elle, je travaillais tout le temps dans la même classe, parce qu’il y a aussi des questions pratiques.
R. D. : Il faut aussi tenir compte de la taille des classes. Cette année, avec 13 enfants dans chaque classe, c’est possible, mais l’année passée il y en avait trop pour les rassembler dans un espace réduit…
Qu’est-ce que vous mettez aujourd’hui sous l’étiquette « co-enseignement » ?
C. Ch. et S. Th. : Le partage ! De méthodologies, de regards sur les élèves, sur leurs difficultés. Ici, on est centrée sur la lecture, mais ça pourrait se faire dans d’autres domaines.
C. Ch. : Comme j’avais ces enfants avant en maternelle, on peut regarder si la situation s’améliore. Ça permet d’échanger sur chacun des enfants…
R. D. : Il y a aussi un partage des pratiques. Cette année, en P1-P2, vous avez aménagé l’espace en classe semi-flexible, par exemple.
Pour ça, il faut s’entendre, se faire confiance !
C. Ch. : Oui, et être ouvert-e à éventuellement modifier sa façon de faire, à expérimenter. C’est un peu un labo à ciel ouvert : on teste et puis on adapte.
R. D. : Pour que ça fonctionne, il faut aussi une stabilité dans l’équipe ! Et là ce n’est pas évident : on a des collègues qui ne sont toujours pas nommées après 10 ans…
À titre personnel, quel avantage voyez-vous ?
C. Ch. : Ça m’a permis d’observer les pratiques de ma collègue de P1-P2. En formation initiale, on a une seule semaine d’observation en primaire si bien qu’on a une vision très réduite de ce qui s’y passe. Ça me permet de savoir ce que mes élèves vont faire ensuite avec ma collègue. Ça m’a vraiment permis d’améliorer mes pratiques, en matière d’apprentissage de la lecture notamment.
S. Th. : L’avantage c’est le regard extérieur sur les difficultés qu’on peut rencontrer avec « ses » élèves. Et le partage des pratiques. Après 21 ans, de métier, j’étais déjà dans un mouvement de changement, et la collaboration avec Cindy est venue au bon moment. C’était l’occasion de partager. Parce que nous non plus, en primaire, on ne sait pas très bien ce qui se passe en maternelle…
Et au niveau motivation ?
S. Th. : Il faut accepter le regard des autres, dans un cadre bienveillant. Être sûre de soi, c’est bon, mais trop sûre ça ne va pas : il faut parfois se remettre en question…
Que diriez-vous à des collègues pour les convaincre ?
Toutes : Qu’il faut expérimenter.
C. Ch. : Oser, tester, se faire confiance… L’essayer, c’est l’adopter !
S. Th. : Et se donner une chance, parce qu’il ne faut pas croire que les bénéfices vont arriver dans l’heure qui suit !
Propos recueillis par
Didier CATTEAU
(1) Expérience-pilote de différenciation en lecture initiée dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’excellence, qui visait à promouvoir le co-enseignement en M3, P1et P2.
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