Magazine PROF n°10
Dossier École et écran
Maternelle : se construire par le jeu plutôt que par la télé
Article publié le 01 / 06 / 2011.
Yapaka, programme de prévention de la maltraitante, apprend aux enseignants de 3e maternelle et aux agents CPMS le Jeu des trois figures, pour contrer l’impact de la télé chronophage sur leurs élèves.
Pour Serge Tisseron, « entre la naissance et 5 ans (…), le futur adulte prend ses habitudes et fixe nombre de comportements et de préférences. C’est pourquoi plus l’enfant multiplie les expériences de jeu, et plus il s’outille à la fois physiquement, intellectuellement et socialement » (1). Or les enfants passent de plus en plus de temps devant la télévision. Selon lui, cette activité prend du temps, les empêche de jouer et a un impact sur le corps : les images focalisent l’attention, mobilisent l’énergie et incitent à l’action. Par ailleurs, face à la télé, les enfants orientent leur identification vers une des figures que sont la victime, l’agresseur et le redresseur de torts. Pour contrer cet effet, ce psychiatre imagine un jeu pour des enfants d’une 3e maternelle. Il leur demande d’évoquer des images qui les ont frappés. Le groupe en choisit une, à partir de laquelle s’imagine un scénario de cinq actions et quelques répliques, à l’aide de l’animateur. Ensuite, des volontaires jouent la scène et endossent l’habit des différents rôles successivement. Selon M. Tisseron, l’expression corporelle est le moyen de symbolisation qui a le plus grand pouvoir de rendre présentes les émotions et les sensations vécues.
Le jeu construit
Durant une année scolaire, M. Tisseron y a joué régulièrement : une petite heure, une fois par semaine, dans le cadre d’une recherche-action (2). À la suite de sa publication, ce jeu s’implante progressivement en France. Depuis septembre 2010, Yapaka, programme de prévention de la maltraitance à l'initiative du Ministère de la Communauté française, le propose aux enseignants et aux agents CPMS, dans une formation de trois jours, toujours supervisée par M. Tisseron.
Début avril 2011 avait lieu la deuxième journée d’une session de formation. Les participants, qui avaient testé le jeu, y venaient avec leurs réactions. « Le redresseur de torts est peu présent. Deux enfants ne bougent pas. Les sujets sont parfois trash. Un élève joue deux figures et pas la troisième... » Pour Diane Huppert et Vincent Magos, les animateurs, « peu importe si une figure est absente. Même s’ils restent inactifs, les enfants en tirent un bénéfice. L’invitation au jeu pourrait au contraire les confronter à un traumatisme personnel, encore impossible à aborder. Tous les sujets peuvent être abordés. En parler, c’est les détoxifier. Et le jeu, c’est faire semblant. Mais si un enfant aborde la sexualité, il faut lui expliquer que c’est un domaine réservé aux adultes et passer à une autre proposition. Jouer les trois rôles est important pour la plasticité psychique. Un blocage face à un rôle nécessite un rappel de la consigne et le choix d’un autre volontaire… »
Selon Mme Huppert, si cet outil permet de parler d’images violentes très tôt et de travailler sur le vivre-ensemble et l’empathie, il répond aussi aux objectifs des socles de compétences sur l’expression verbale, la créativité, l’engagement corporel, l’apprentissage de la culture de l’écrit, le respect des règles,… C’est un travail collectif sans dimension thérapeutique ni commentaires envers des individus. Il a des impacts sur les enfants. Ils prennent du recul pour surmonter le choc de ces images. La violence scolaire tend à se réduire. En cas de conflit, les enfants font davantage appel à un tiers adulte. Et ils reprennent gout aux jeux spontanés.
(1) Serge Tisseron, Le jeu des trois figures en classes maternelles, Ministère de la Communauté française, 2010, téléchargeable sur http://www.yapaka.be
(2) Cette recherche-action s’est déroulée en 2007-2008. Rapport téléchargeable sur https://www.yapaka.be/files/page/rapport_recherche_jeux_role_maternelle.pdf
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