Magazine PROF n°1
L'acteur
Braconnière puis garde-chasse
Article publié le 01 / 03 / 2009.
Doriane Gamme, 23 ans, a fait sa première rentrée en septembre 2008, dans une école en discrimination positive. Elle y enseigne le français et des cours centrés sur la communication, à des élèves du technique et du professionnel. Elle a connu l’échec et le passage en technique de qualification, avant de passer de l’autre côté de la barrière. Nouvelle revue, nouvelle recrue : elle est le premier « Acteur » de PROF, qui ira à la rencontre des différents métiers de l’école.
Une voix grave, mais posée. Des jeans bleus sous un top et un pull rouges qui cadrent avec la déco vermillon de l’appart de maman. Des lunettes noires rectangulaires et des cheveux châtain foncé qui lui donnent un petit air sérieux sur une peau bronzée. Une speedée qui ronge son frein ou une calme capable de passer à la vitesse supérieure et de faire le café pour ses collègues ? Passionnée de planches depuis ses 12 ans, Doriane Gamme a suivi plusieurs ateliers de théâtre pendant ses vacances avant d’entrer dans la troupe d’El Pavé Picard Binchou. Un impressionnant mélange d’enthousiasme et d’énergie, tendu vers son rêve : enseigner. Ce qu’elle fait depuis septembre 2008, à l’Institut Sainte-Thérèse, à La Louvière et Manage.
PROF : Comment s’est déroulé votre premier jour de classe ?
Doriane Gamme : C’était stressant. J’avais peur pour la discipline, pour les prépas de cours. J’ai en plus été bombardée titulaire d’une 1re différenciée. Le contact était bon. Cela s’est très bien passé. J’ai la chance d’avoir été reprise dans mon ancienne école. Les professeurs me considèrent comme leur bébé.
Quelles ont été les réactions de vos élèves ?
Positives. Mais je suis à l’aise dans le technique et le professionnel. Après un échec en 4e générale, j’ai terminé mes humanités en qualification techniques sociales. Mon travail de fin d’études de régendat, je l’ai réalisé dans un Centre de formation en alternance. Je veux revaloriser les sections qualifiantes, à propos desquelles il y a beaucoup de préjugés.
Mes 27 élèves de 3e P occupent un petit local. Il aurait fallu une caméra : du bruit incessant, ils ne me voyaient pas. Panique. Que faire ? Il ne sert à rien de crier, ou alors c’est la spirale. J’ai respiré un coup et je leur ai demandé de me donner le portrait du prof idéal, leurs désirs et leurs objectifs pour le cours. « C’est la première fois qu’on nous demande ça, Madame… »
Quelle est votre journée de travail ?
Debout à 6 h 45. Couchée vers 2 h du matin. Il y a les cours et les préparations. Même avec l’aide d’une marraine de cours qui m’aide pour les prépas et tous les trucs et astuces, et même si mes collègues me passent des choses, je suis une maniaque. Je dois tout redigérer. En plus, les jeunes profs sont invités à participer à l’École des devoirs organisée par l’Institut.
Quelles sont les raisons de vos choix de formation et de profession ?
En 4e générale, j’étais une rebelle, un braconnier. Je n’étudiais pas, je répondais. Mon échec, mon passage dans une école qualifiante, la rencontre de profs qui revalorisent leurs élèves et essaient d’en tirer un max, le passage de 2 à 8 h en français, la découverte du plaisir du théâtre et de la littérature… Tout ça m’a transformée. Et j’en suis venue à m’inscrire à la haute école. Mon frère a rigolé : « Toi, prof ? » J’ai essayé et j’ai réussi, avec le soutien de mes parents. Mon papa m’a offert un nouveau cartable pour ma rentrée.
Pensez-vous être bien préparée à enseigner ?
Oui. De plus, mon passé me permet d’anticiper les réactions de mes élèves. J’essaie d’être le prof qui bouleverse l’élève, qui comprend qu’il a des problèmes, qui lui donne de l’esprit critique et lui apprend à gérer son quotidien. Je suis en plein dans l’humain.
Et le passage entre juin et septembre ?
Je suis partie au Burkina Faso construire une école. Avant, j’avais envoyé des CV partout. Le 29 aout, toujours rien. Imaginez l’attente et l’angoisse. Et, après deux ans de kot, le retour dans l’appart de maman qui met la pression. Le 30, j’ai reçu une réponse positive, de mon ancienne école. Les jours suivants, j’en ai reçu quatre. Sur les 17 sortants de mon année, une fait l’unif et les 16 autres ont trouvé du boulot.
Aujourd’hui, je ne réalise pas encore. Je suis comme en stage. La rentrée s’est déroulée à un train d’enfer. L’AG et les attributions le lundi, et le lendemain au turbin. Téléchargement du programme sur internet. Préparation de l’urgence pour la semaine. C’est la débrouille. Et dimanche, nouveau projet : je vais signer pour un nouvel appart. En colocation. Sinon, c’est trop cher.
Que pensez-vous de la réforme du 1er degré ?
Les élèves de 1re différenciée qui réussissent le CEB doivent aller en observation. Beaucoup ne le savent pas. Certains y arriveront, mais j’ai des craintes quand je vois le niveau de mes élèves de cette classe. Certains ont d’énormes difficultés à lire et à écrire ; deux proviennent de l’enseignement spécial. S’ils obtiennent un CEB, tiendront- ils la distance ? Comment seront-ils accueillis ? Éviteront-ils un nouvel échec ?
La salle des profs ?
Je ne me sens pas encore bien dans une salle des profs. Parler des élèves et les critiquer, je n’aime pas.
La discipline ?
Avec le respect mutuel et la foi en ses élèves, ça passe. Si un élève vient me parler d’une situation difficile, je sais qu’obtenir un diplôme – et il l’aura – lui permet d’en sortir.
Une fille dans une classe de filles ?
C’est plus facile. En première, elles me considèrent comme une deuxième maman. Elles me parlent dans une heure d’aide individuelle, un outil D +. En troisième, je vole la vedette des filles minoritaires. Elles me considèrent comme une rivale. Mais lorsque j’ai proposé d’organiser un Cluedo géant pour animer la fête de Saint-Nicolas, tout le monde a dit oui.
Le métier correspond-il à vos attentes ?
Même plus. C’est plus dur que les stages. Il faut s’organiser. Mais, pour moi, c’est le paradis.
Une conclusion ?
L’enseignant doit être l’oreille de l’élève, en milieu élitiste ou non. Il doit être humain, se bouger, s’impliquer à fond. On a les vacances pour se reposer.
Propos recueillis par
Patrick DELMÉE
Vos projets ?
J’ai envie de créer une bibliothèque sur le site de La Louvière, d’y créer une journée portes ouvertes avec le soutien de ma direction et de monter une pièce de théâtre en collaboration avec Promotion Théâtre, de La Hestre.
À bout portant
Une qualité ? La générosité.
Un défaut ? Je suis bornée.
Votre passion ? Le théâtre.
Un rêve ? Obtenir un master en psychopédagogie, avoir une famille, être bien, retourner en Afrique aux prochaines vacances…
L’école idéale ? Mon école ! Elle m’a sauvée de là où j’étais.
Si vous étiez un ou une autre ? Je serais mon ancien maître de stage de Saint-Joseph, la femme idéale dans sa vie et la prof idéale.
Votre livre préféré ? Ceux d’Éric-Emmanuel Schmitt.
Votre lieu favori ? Mon cercle d’amis étudiants.
Fan de quel artiste ? Jean-Jacques Goldman.
Votre toile préférée ? Le Cercle des poètes disparus et Écrire pour exister, deux films sur des profs.
Une qualité des élèves ? Le vrai.
Un motif de satisfaction ? Le sourire de mes élèves.
Une anecdote ? Chez mes élèves, au premier cours, les « Pssst, Mamzel, viens » ou les « Madâââme » trente fois sur l’heure parce qu’ils sont perdus…
Votre état d’esprit du moment ? Tout baigne !
Une devise ? Carpe diem.
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