Magazine PROF n°17
Coté psy
Hypersexualisation : ni banaliser, ni diaboliser
Article publié le 01 / 04 / 2013.
Concours de mini-miss et mini-mister, strings pour gosses, images suggestives sur tous les écrans… Quand les désirs ou le narcissisme des adultes court-circuitent le développement de l’enfant…
En février s’est tenue au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles une journée de consensus sur « l’hypersexualisation des enfants », à l’initiative de son Comité de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Yapaka (lire ci-contre). L’occasion de mieux cerner ce qui est en jeu derrière des symptômes tels que les concours de mini-miss et mini-mister, comme nous l’explique le Dr Carine De Buck, pédopsychiatre et psychanalyste, qui a participé à la journée.
PROF : Que recouvre cette notion d’hypersexualisation ?
Carine De Buck : Pour moi, il y a deux sortes d’hypersexualisation, un terme qu’il faudrait d’ailleurs revoir (lire ci-contre). Il y a d’une part les comportements induits par l’extérieur, par l’ambiance sociétale qui prône une sexualisation précoce des enfants, que ce soit à travers la publicité, les défilés, les magazines,…
Il y a quand même dans notre société une attention pour une sexualité qui va de plus en plus du côté de la perversion. Il suffit de voir certaines publicités flirtant avec le sadomasochisme ! D’autre part, des enfants peuvent présenter des comportements qui sont la conséquence de maltraitance, parce qu’ils sont utilisés par le narcissisme des adultes, voire comme objets sexuels.
On parle d’hypersexualisation des enfants, mais le problème est clairement du côté des adultes…
Il y a un problème de repères, de valeurs dans notre société, qui connait des difficultés liées au travail, à la solitude, au nombre grandissant de familles monoparentales,…
Vous avez aussi des mamans, mais aussi des pères, qui font des enfants avec l’idée de se réparer eux-mêmes, et de vivre au travers de leurs enfants ce dont ils ont eux-mêmes été frustrés. De vivre une vie par procuration. Dans des situations telles que celles-là, marquées par la dépression parentale, par une mauvaise estime de soi, il arrive que les enfants soient pris dans les rêts de ce narcissisme.
Les enfants risquent alors d’être des « plumes au chapeau » de leurs parents. C’est ce qu’on voit dans les concours de mini-miss ou mini-mister, mais aussi chez certains parents qui inscrivent leurs enfants dans des agences de casting pour qu’ils défilent… C’est toute la question du regard de l’autre, sur ces enfants. On est fier d’avoir un enfant parce qu’il est beau, au détriment de l’intérieur. Le risque est que les besoins de l’enfant passent au second plan, derrière cette fonction qu’ils prennent de rassurer leur(s) parent(s).
On vit une sorte d’abrasement des différences, et notamment des différences de génération. Vous voyez des adultes qui s’habillent comme des adolescents. On montre son nombril, son piercing… Et ça n’aide pas les enfants, à qui il faudrait garantir des espaces où on éviterait ces confusions.
Vous en voyez les dégâts dans votre pratique ?
C’est quand même ce qui peut entrainer ou peut faire le lit de certains troubles du comportement ou de(s) difficultés dans la construction de la personnalité…
Clairement, les comportements ou les apparences hypersexualisés des enfants sont induits par les adultes. Il est évident que ce ne sont pas les enfants qui ont mis dans les rayons des magasins des strings pour gamines de 6 ans ! Ce sont les adultes qui créent ça et qui les achètent !
C’est une utilisation consumériste des enfants, dont on ne respecte pas les besoins. Regardez sur Youtube les concours de mini-miss et vous serez atterré : on leur fait mal, on les maltraite, et on lit sur le visage de ces enfants l’angoisse de ne pas gagner, parce que perdre le concours, c’est risquer de perdre l’amour de ses parents !
On peut aussi voir ça à l’œuvre autour des terrains de sport ou à propos des petits Mozart…
Oui, le processus est identique. Les enfants peuvent être victimes du narcissisme des adultes. Sauf qu’en induisant des comportements hypersexualisés, vous faites intrusion dans l’intimité de l’enfant et vous court-circuitez son développement naturel, en brûlant les étapes entre la sexualité des enfants et des adultes.
Comment distinguer ce qui est de l’ordre du développement naturel et ce qui ne l’est pas ?
Quand vous voyez une gamine maquillée et habillée pour un concours, avec des chaussures à hauts talons taille 29, vous vous rendez bien compte que l’émotion qui s’en dégage n’est pas la même que quand une fillette met la robe, les chaussures taille 40 et le rouge à lèvres de sa maman à la maison !
C’est toute l’importance fondamentale du jeu, qui chez l’enfant n’est pas une activité de loisir, mais est indispensable à sa construction psychique, parce que c’est sa façon de s’approprier le monde, de s’essayer à être au monde, par des jeux symboliques, mais en toute sécurité. S’il agit sous influence du narcissisme des adultes, l’enfant est sous l’emprise de désirs qui ne sont pas les siens…
Que peuvent faire les enseignants, les éducateurs,… s’ils sont confrontés à un comportement de cette nature ?
Avant de dire ce qu’ils pourraient faire, je voudrais évoquer la problématique de l’expression de ces comportements, qui sont souvent des façons de dénoncer des phénomènes de maltraitance. Ce que la plupart des enfants ne peuvent pas dire en mots – qu’ils sont soumis à de la pornographie, ou à la sexualité explicite des adultes, voire pire –, ils l’expriment comme ça. Les mots ne viennent d’ailleurs parfois jamais !
Quand vous voyez ces mini-miss, quand vous voyez un gosse avec de faux tatouages, un blouson de cuir et des allures de petite frappe, vous voyez bien que c’est outrancier… Ce sont des manières de sexualiser prématurément les comportements des enfants…
Le paradoxe, c’est que la société affiche une permissivité énorme, et en même temps il y a une espèce de pudibonderie à propos des enfants qui sont vus comme des anges dénués de sexualité. On les soumet à de la sexualité affichée partout et on les voit comme des anges ! Ce qui conduit parfois à des situations dramatiques d’enfants victimes de renvois scolaires pour des jeux sexuels d’une grande banalité qui n’ont rien de déviants !
Que faire, alors ?
Je pense qu’il est important d’avoir une bonne connaissance du développement de l’enfant, des étapes et des enjeux de ce développement. D’avoir du bon sens, aussi. Si on surprend un élève à se masturber, lui rappeler que ce n’est pas le lieu ; mais si ce comportement se répète, il y a lieu de s’interroger et, le cas échéant, de s’en ouvrir à la direction ou d’en référer au PMS ou à un spécialiste.
Je pense aussi qu’il est important d’être attentif aux émotions des élèves, et pas seulement à leurs résultats ou aux comportements qui s’écartent de la norme.
Et plus spécifiquement, à propos de ces comportements ou apparences hypersexualisés ?
Le danger de la médiatisation de cette question, c’est qu’on en arrive à l’excès inverse, à tout diaboliser. Il ne faut ni banaliser, ni diaboliser. Être attentif, et en cas de doute, ne pas hésiter à demander conseil, à référer au PMS ou à un tiers compétent…
Propos recueillis par
Didier CATTEAU
Yapaka en campagne
Yapaka, Coordination de l'aide aux victimes de maltraitance, a lancé une campagne sur le sujet. Son site www.yapaka.be (> campagnes puis La campagne hypersexualisation des enfants) propose notamment un livre de la collection Temps d’arrêt, une affiche et des vidéos de spécialistes.
Un terme équivoque
Comme l’indique le Dr Carine De Buck, dont vous pouvez lire l'interview dans « Hypersexualisation: ni banaliser, ni diaboliser », il faudrait sans doute redéfinir le terme hypersexualisation. L’équipe de Yapaka le reprend « car il fait l’objet d’un consensus de plus en plus large sur le plan international », mais le précise.
Ce terme « indique la pression pour pousse les enfants à entrer dans une sexualité abusive qui n’est non seulement pas de leur âge mais qui vient entraver leur processus de développement et leur propre rythme d’appropriation de la sexualité, la construction de leur vie psychique. Cette pression sur les enfants peut venir des parents et/ou des médias et plus largement d’un climat de consumérisme empreint d’érotisme ».
Temps d’arrêt
La collection Temps d’Arrêt/Lectures met à disposition des intervenants des textes de référence sur des sujets en lien au développement de l’enfant et de l’adolescent au sein de sa famille et dans la société. Chaque publication présente un état de la question, une réflexion alliant un questionnement clinique et des repères théoriques. Quatre textes composent celui qui est consacré à l’hypersexualisation des enfants. Téléchargeable au départ de http://www.yapaka.be
Cherchez l’erreur
L’affiche de la campagne est téléchargeable et plutôt percutante !
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