Magazine PROF n°25
Droit de regard
Si on partage un projet avec les élèves, ils marchent
Article publié le 01 / 04 / 2015.
Dans cette rubrique, notre invité pose un regard sur l’enseignement. La parole à Yves Vasseur, commissaire de la Fondation Mons 2015.
Pour Yves Vasseur, Mons 2015 devrait être un laboratoire pour réfléchir à une offre future des opérateurs en phase avec les « envies culturelles » des jeunes.
PROF : Selon vous, la culture est-elle prise en compte par l’enseignement comme outil de formation ?
Yves Vasseur : Même si je ne me prétends pas être le plus compétent sur ce sujet, je répondrai « Jamais assez » ! D’une manière générale, j’observe que le succès d’un projet de collaboration entre la culture et l’enseignement se mesure toujours à l’aune de la volonté des directions et des enseignants de jouer le jeu. Cela va de l’enthousiasme à l’indifférence. Nous n’avons aucune prise sur ce facteur-là.
Le résultat vient d’une alchimie : cela prend ou pas. Quand un artiste se rend en classe, par exemple (NDLR : dans le cadre d’un projet soutenu par la cellule Culture-Enseignement), les élèves expérimentent de nouvelles manières d’apprendre. C’est souvent bénéfique pour les professeurs, comme pour les artistes.
En même temps, je crois que le pire serait d’arriver avec un canevas d’obligations dans ce domaine. Si un projet est partagé avec les élèves, ils marchent. Mais quand la culture devient une matière obligatoire, cela devient peu enthousiasmant pour ces jeunes qui doivent lire tel livre, voir tel spectacle,… Cela peut créer des aprioris négatifs.
Comment avez-vous tenté de contourner ces écueils lors de l’élaboration du programme de Mons 2015 ?
L’un des grands axes a été le travail avec des jeunes. Dès la candidature de Mons comme capitale européenne de la culture, en 2008, nous avons lancé le projet J’aurai 20 ans en 2015 avec mille jeunes de 13-14 ans scolarisés à Mons. L’objectif était de les suivre jusqu’en 2015 et de leur faire découvrir de manière ludique et pédagogique les clés et les codes de la culture, pour qu’ils deviennent ensuite des ambassadeurs de l’évènement au sein de leur famille, de leurs associations, de leurs clubs sportifs.
Ce projet a pris des chemins divers. En partenariat avec une école de langues, une vingtaine d’élèves ont bénéficié pendant quatre ans d’une formation poussée en néerlandais. Ils étaient parrainés par Stef Kamil Carlens, leader du groupe musical Zita Swoon, ouvert sur différentes sortes d’art (musique, danse contemporaine,…). Ces jeunes accueillent actuellement à Mons des visiteurs venus du nord du pays, des Pays-Bas, d’Afrique du Sud…
Un autre exemple : quelque septante élèves de cinq écoles montoises, encadrés par des professionnels, ont collaboré à la création d’un serious game appelé Jump Kid. L’objectif était de les amener à comprendre que le jeu peut avoir une dimension sociale et culturelle. Jump Kid permet de découvrir le patrimoine et l’histoire de Mons. Chaque réponse à apporter en cours de partie représente un lieu dans lequel il faut se rendre physiquement selon le principe de l’alternate reality game combinant virtuel et réel.
Bref, nous avons voulu créer un climat favorable en proposant à des jeunes de s’investir. Ceux qui l’ont fait, par choix personnel, pas par obligation, sont toujours là. Et bien là.
Des projets ont-ils été menés également avec des élèves du fondamental ?
Oui, des animateurs sont allés travailler avec vingt classes primaires pour construire un carnet de voyage Mons à petits pas – le projet avait été proposé à toutes les écoles primaires du grand Mons. Chaque classe a préparé un chapitre proposant des explications (sur le beffroi, le singe, la basilique Sainte-Waudru,…) accessibles à des enfants de 8 à 10 ans. Une illustratrice a mis cela en forme.
Côté fréquentation des activités, les écoles sont-elles partie prenante ?
Encore une fois, cela dépend de la réceptivité des équipes éducatives. Pour chaque activité, un dossier pédagogique a été réalisé, il y a des visites guidées et des facilités financières. Des comédiens se sont aussi « infiltrés » dans des lieux scolaires pour jouer des extraits de spectacle et en parler.
En voulant créer un climat de créativité, en allant vers des pistes nouvelles, Mons 2015 veut être un labo pour réfléchir à la culture ?
C’est notre volonté, en effet : proposer aux jeunes de découvrir une multitude d’univers, de picorer, de zapper, de choisir,… Après l’évènement, il faudra se poser la question : quelles activités ont attiré ce public et, surtout, comment être en phase avec sa consommation culturelle en matière de lecture, de spectacles ?
Est-il normal qu’un centre culturel présente sa saison comme dans les années 60 ? Pourquoi ne pas proposer des spectacles juste après l’école ou pendant les jours blancs après les examens ? En matière culturelle, l’école fait ce qu’elle peut, avec les moyens qu’elle a pour oxygéner le cerveau des jeunes, mais il faut compléter cette offre par des « envies » en dehors du temps scolaire.
C’est une question que devront se poser l’école et les opérateurs culturels. Je me réjouis qu’un débat sur le sujet soit programmé en mai par la ministre chargée de l’Éducation et de la Culture.
Réfléchir à un modèle de lieu culturel en phase avec les jeunes d’aujourd’hui prendra du temps. Et cela dépendra de la volonté des pouvoirs publics d’accorder des moyens financiers et des opérateurs culturels de se remettre en question. Ce qui doit sous-tendre ce travail, c’est la volonté de démocratiser la culture, mais sans jamais baisser le niveau qualitatif.
Au risque de paraitre élitiste, je crois que notre rôle est de donner le meilleur. Pourquoi les jeunes de Mons et Saint-Ghislain auraient-ils moins droit aux choses les plus intéressantes, les plus belles, les plus étonnantes que ceux de Bruxelles ou de Londres ?
Un souvenir d’école vous a-t-il particulièrement marqué ?
Oui ! Cela remonte à la fin des études secondaires. Venu de l’école de Quiévrain, je suis allé à l’Athénée de Dour. Là, j’ai eu cours de français avec… mon frère ainé. Je l’avais peu connu à la maison car, plus âgé que moi, il s’était marié quand j’avais 3 ou 4 ans. Mon frère a fait découvrir à ses élèves de grands textes de la littérature.
Et puis, surtout, comme il n’y avait pas de possibilité de sortie culturelle à Dour ou à Quiévrain, il organisait un abonnement facultatif au Théâtre National, à Bruxelles, cinq ou six samedis par an. J’ai découvert là un monde dont j’ignorais tout, un monde d’images et d’émotions.
Je me souviens, en particulier, des Trois sœurs, de Tchékov, mis en scène par Otomar Krejča. J’ai été heureux et surpris par le texte, la mise en scène, les lumières. Cette expérience et bien d’autres m’ont motivé à ouvrir des espaces culturels aux jeunes dans les régions décentralisées.
Propos recueillis par
Patrick DELMÉE et Catherine MOREAU
EN DEUX MOTS
Commissaire de la Fondation Mons 2015, Yves Vasseur est licencié en journalisme, en communication sociale et études théâtrales. Il a travaillé durant une dizaine d’années à la RTBF où il a couvert – notamment - le Festival d’Avignon.
En 1985, il est devenu le coordinateur du Centre dramatique hennuyer. Ce centre a été intégré en 2001 dans le Centre culturel transfrontalier Le Manège à Mons, dont Yves Vasseur a été nommé directeur général. Le Manège propose chaque année une saison culturelle en partenariat avec cinq villes belge et françaises (Mons, Maubeuge, Jeumont Aulnoye-Aymeries et Feignies).
Yves Vasseur a écrit des pièces de théâtre, des essais et des scénarios de BD (avec Claude Renard), Yves Vasseur est aussi un adepte du sport : il a parrainé en 2010 la Zatopek Academy, à Honnelles, pour encourager la pratique de la course à pied.
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