Magazine PROF n°29
Dossier Ils ont décroché, ils ont repris pied
Sébastien Ruiz : « J’étais en décalage par rapport à mes sœurs »
Article publié le 01 / 03 / 2016.
Sébastien Ruiz a décroché après une 4e qualification. Il s’est inscrit dans un Centre d’enseignement et de formation en alternance puis a décroché les certificats de l’enseignement secondaire inférieur et supérieur en promotion sociale. Il est titulaire d’un bac en comptabilité.
PROF : Comment expliquez-vous que vous ayez arrêté l’école ?
Sébastien Ruiz : Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune. J’ai grandi dans une famille stable avec mes trois sœurs, ma mère et mon beau-père. Je voyais mon père un week-end toutes les deux semaines. Mon parcours à l’école primaire est assez bon. Ça n’était ni trop facile ni trop difficile ; travailler en classe suffisait. J’étais bon mais pas excellent. En cinquième, c’était tout de même limite mais je suis sorti de sixième avec un niveau généralement bon, sans lacunes.
Par contre la vie de famille était plus difficile et je posais pas mal de problèmes de comportement à ma famille. Ma mère m’a un jour fait faire toute une batterie de tests dans un centre psychologique spécialisé. Un des médecins à qui j’ai eu affaire a pensé qu’il valait mieux que je sois placé dans un enseignement spécialisé pour enfants difficiles. Ma mère n’étant pas d’accord, elle m’a emmené voir un psychologue pour enfants qui a trouvé l’idée du centre tout à fait inadaptée. J’ai donc entamé avec lui un travail de longue durée qui a permis à mes parents de mieux appréhender mon profil psychologique. Cela n’a certes pas éliminé le problème à domicile mais a quand même eu comme effet de l’atténuer. J’ai pu continuer mon parcours primaire normalement grâce à ça.
Et dans le secondaire, que s’est-il passé ?
Je suis allé dans une autre école et là, mon parcours scolaire et éducatif a été moins bon. Je suis passé en deuxième uniquement parce qu’on ne pouvait pas doubler sa première à l’époque. Je ne me plaisais pas trop dans cette école. Je me sentais en décalage. C’était une école avec des élèves de milieux différents, dont de la petite bourgeoisie. Je ne me faisais pas à la mentalité générale. J’ai eu beaucoup de mal à m’intégrer dans le moule culturel adolescent (mode, musique…). Il y avait donc un malaise par rapport aux autres et à leur interaction avec moi et les difficultés que je rencontrais. Je ne m’intéressais à aucun cours, je passais la plupart du temps à dormir en classe et à jouer aux jeux vidéo à la maison.
L’école avait une lecture très scolaire de ses rapports avec les adolescents. Tout était centré sur les notes. On ne m’a jamais demandé comment j’allais à l’école et pourquoi les choses ne se passaient pas bien. J’ai fait une deuxième bis dans la même école. J’avais de bonnes notes mais malgré tout mon comportement a commencé à empirer : bagarre, vandalisme et insultes aux éducatrices. En milieu d’année, je me suis battu avec un élève qui m’avait insulté et j’ai été renvoyé. J’ai pris ça avec fatalisme ; de toute façon, je n’aimais pas l’école. Une des seules choses qui m’a fait plaisir, c’est qu’un prof qui appréciait mon travail scolaire a pris ma défense au conseil de classe.
Et vous avez dû changer d’école…
Oui, il a très vite fallu en trouver une qui m’accepte en cours d’année. Je suis tombé, en deuxième générale, sur un tout autre public. Certains élèves étaient plus vieux que moi et, pour beaucoup, d’origine étrangère. J’ai terminé la deuxième sans échec. Il y avait une ambiance particulière dans cette école mais je m’y sentais moins malheureux. Puis j’ai été en troisième transition électromécanique car les autres options ne m’intéressaient pas. J’ai bossé un peu dans des cours qui m’intéressaient et j’ai réussi un des cours les plus difficiles : électromécanique. Le prof était très sévère, mais juste, ce que j’appréciais. Malgré tout j’ai raté l’année à cause du cours d’histoire et de math ; pour la deuxième session, ma mère m’avait payé des cours particuliers, mais ça n’a pas suffi : j’ai réussi l’algèbre, mais pas la géométrie. Cela a entériné mon dégout pour l’école.
L’année suivante, je suis descendu en quatrième qualification. Je n’aimais pas tout ce qui était pratique ouvrière. Je n’étais donc pas intéressé par les cours et encore moins par leurs débouchés. Je ne faisais rien, je brossais beaucoup et je m’amusais avec mes potes. Au moins, je n’avais plus l’angoisse du travail scolaire. À la fin de l’année, ma mère voyant que ma situation dans l’enseignement traditionnel ne menait à rien, m’a dit : « Tu peux arrêter l’école mais tu dois faire quelque chose ». À 17 ans j’ai donc choisi de faire un apprentissage en informatique dans un CÉFA.
Comme j’avais toujours aimé l’ordinateur, ça tombait bien ! J’allais à l’école deux jours par semaine – ça se passait bien parce que le niveau n’était pas élevé – et les trois autres jours au travail. J’étais bien intégré dans le travail mais j’y ai quand même senti les limites de mes compétences professionnelles. J’ai fait mes stages au Centre de traitement informatique de la Communauté française et ensuite à Oxfam ; dans ce dernier stage, j’effectuais un travail à la chaine peu valorisant.
Quelle étincelle vous a amené à entreprendre d’autres études ?
Au cours de ces deux années d’apprentissage, j’ai commencé à constater mes lacunes culturelles et intellectuelles. Dans ma famille, on est curieux et j’étais vraiment en décalage par rapport à mes sœurs. Après mon apprentissage, pour pallier ces lacunes, je me suis préparé à passer les tests d’admission pour la section CESS d’une école de promotion sociale. J’ai échoué mais je me suis rabattu sur les cours menant au CESI, que j’ai terminés après un an.
Dans cette école, les choses sont assez particulières. Le rapport avec les profs est en général assez bon car la plupart des gens qui sont là le sont parce qu’ils le veulent. Ils se permettent donc d’exiger beaucoup de nous dans l’optique de nous préparer à l’université. Il y a donc une grosse partie du travail qui doit être effectuée à domicile. Heureusement on a cours que des demi-journées, ce qui nous laisse beaucoup de temps libre pour faire ce travail. De plus les profs, sachant qu’ils ont affaire à des personnes adultes qui ont parfois des situations assez difficiles, peuvent faire preuve de compréhension et être à l’écoute en cas de problème.
Et vous avez réussi…
…le CESI et la première année en section CESS. J’ai eu plus de mal pour ma dernière année et j’ai dû recommencer certains cours. C’était un des autres avantages de cette école : en cas de réussite d’un module de cours, il ne faut pas le repasser si on rate l’année.
J’ai finalement terminé l’année avec distinction. Nous étions au total une petite dizaine à être diplômés pour cette session. Il faut savoir que pour la section CESS, environ deux-cents personnes passent les tests d’entrée, cinquante sont admises comme élèves et environ une demi-dizaine sortent diplômées.
Après cela, j’ai essayé l’univ’ mais ça ne me plaisait pas. Pendant trois ans j’ai travaillé, j’ai un peu voyagé et j’ai aussi fait une petite dépression. Après cela, j’ai commencé une formation pour avoir un diplôme de gestion de base, puis j’ai fait un bac en compta et maintenant, je fais une formation pour préparer le test d’entrée à la police.
Qu’est-ce qui vous aurait permis de ne pas décrocher ?
Au final, même avec le recul, il m’est difficile de savoir ce qui m’aurait permis de ne pas décrocher. Il n’est pas évident de réaliser à 12 ans qu’on doit étudier pour pouvoir s’offrir des opportunités bien plus tard dans la vie. Il suffit de coupler ça à un esprit un peu rebelle qui a du mal à accepter l’autoritarisme d’un parcours obligatoire et il y a de fortes chances d’obtenir l’échec scolaire.
Il arrive aussi que cet état d’esprit soit accentué par la médiocrité de certains profs, ou au contraire atténué par la qualité et la passion d’autres. C’est un peu une question de chance finalement. Ce qui m’a peut-être manqué à cette époque, c’était une approche psychologique de la part l’école. C’est-à-dire qu’un dialogue s’instaure en vue de comprendre les difficultés rencontrées et l’état d’esprit de l’élève. Il en aurait peut-être suivi une réorientation, sans pour autant que ça soit dévalorisant, dans une école à pédagogie alternative. Ce qui m’aurait probablement mieux convenu mais qui n’était pas courant alors. Le problème est que pour pouvoir dialoguer avec un élève, il faut du temps et des moyens, et donc de l’argent.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
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