Magazine PROF n°20
Coté psy
Dormez, c’est bon pour la mémoire
Article publié le 01 / 12 / 2013.
Le sommeil ne met pas la mémoire en veilleuse. Au contraire, bien dormir consolide les apprentissages. Voilà ce que révèlent des recherches relativement récentes sur les mécanismes cérébraux.
De l’enfant qui bâille à se décrocher la mâchoire, de l’ado à l’air vaseux qui avoue avoir chatté jusqu’à plus d’heure, vous n’attendez pas l’attention et le travail nécessaires pour acquérir de nouveaux apprentissages. Et le message revient régulièrement : même s’il existe de petits et gros dormeurs, l’on recommande entre 11 et 13 h de sommeil pour des enfants de 3 à 5 ans, entre 9 et 11 pour des 6-12 ans et entre 8h30 et 9h30 pour des ados.
Dormir pour récupérer, donc. Mais pas seulement. « Longtemps, on a pensé que l’apprentissage se produit online. Mais on a découvert que cette activité ne s’arrête pas dans le cerveau qui travaille off line, continuant à encoder et à consolider l’info. Et dans ce chantier-là, le sommeil joue un rôle très important », explique le neuropsychologue, Philippe Peigneux, professeur à l’Université libre de Bruxelles.
Quelques balises d’abord : le sommeil n’est pas un long fleuve tranquille. Il fait alterner une phase de sommeil lent (léger, puis profond) où la plupart des fonctions sont ralenties et une autre, de sommeil paradoxal où, si les muscles sont au repos, l’activité cérébrale est plus proche de l’éveil. Si cette alternance se répète à plusieurs reprises, la durée des phases varie : le début de la nuit comporte beaucoup de sommeil lent permettant de récupérer de la fatigue accumulée pendant la journée ; ensuite, le sommeil paradoxal prend progressivement davantage de place.
À chaque phase son travail
Durant chacune de ces phases, le cerveau réactive les informations encore fragiles et non fixées emmagasinées dans la journée ou la veille, et les consolide dans la mémoire à long terme. Cependant, des recherches récentes s’appuyant sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (une technique d’imagerie médicale permettant d’obtenir des vues en deux et trois dimensions de l’intérieur du cerveau) suggèrent que durant le sommeil, il s’y produit une sorte de spécialisation des tâches.
Concrètement, le sommeil lent, phase où l’on observe des ondes lentes et amples ralenties et des bouffées d'activité de fréquence très élevée, favorise la consolidation des apprentissages de type spatial et explicite (c’est-à-dire les faits et les évènements que nous apprenons de manière consciente).
Pour arriver à cette constatation, Philippe Peigneux, qui a mené des recherches sur l'interrelation entre processus cognitifs et états de veille, a demandé à des volontaires de se déplacer dans une ville virtuelle. Puis, il a observé leur activité cérébrale durant la nuit qui a suivi cet apprentissage (1). (Bonne) surprise : au réveil, ces personnes atteignaient des performances bien meilleures que la veille.
L’observation des mécanismes cérébraux a permis d’affiner les choses. Durant le sommeil lent, les connaissances ne sont pas directement encodées dans la mémoire à long terme dans le cortex (l’écorce enveloppant). Elles font d’abord étape dans une structure du cerveau appelée l’hippocampe, petite structure située en profondeur du lobe temporal du cerveau. L’avantage ? Les hippocampes permettent un stockage rapide de nouvelles associations avec leur contexte d’apprentissage. Et les réactivations durant le sommeil lent favorisent le transfert de ces informations vers d’autres structures du cortex où elles seront sont moins exposées à des interférences ( c’est-à-dire à des connaissances antérieures, semblables ou contradictoires qui peuvent perturber la mémorisation) (2). Elles sont donc mieux consolidées, plus stables et moins dépendantes du contexte. Dans l’expérience précitée, plus l’activité de l’hippocampe avait augmenté au cours du sommeil lent, meilleures étaient les performances des personnes après le réveil.
Par contre, d’autres travaux d’imagerie cérébrale, ont montré que la phase du sommeil paradoxal pourrait s’occuper plutôt de la mémoire procédurale ou implicite (c’est-à-dire les compétences acquises ou stockées inconsciemment). Cela expliquerait, notamment, que cette phase est particulièrement longue chez les nourrissons qui doivent acquérir des capacités motrices ou perceptives. Et dans cette phase-là, les informations empruntent des circuits cérébraux différents : la consolidation se ferait directement au niveau des structures du cortex, sans passer par l’hippocampe. Précisons que les écrits scientifiques restent contradictoires et que d’autres études suggèrent que les deux états de sommeil coopèrent pour certaines tâches.
Le cerveau fait le tri
D’autres recherches ont abouti à une autre constatation : le sommeil permet aussi d’oublier des informations inutiles. Cet oubli favorise l’acquisition de nouveaux apprentissages. Il serait aussi indispensable à la mémoire à court terme.
Reste évidemment à savoir comment le cerveau fait le tri entre les informations à oublier et celles qui sont à consolider. Des chercheurs des Universités de Caen et de Liège ont présenté à des volontaires un ensemble de mots dont certains devaient être retenus et d’autres oubliés avant de les faire dormir ou de les priver de sommeil (3). Un test effectué trois jours plus tard a montré que contrairement à ceux qui avaient passé une nuit blanche, les personnes qui avaient dormi avaient oublié un grand nombre de mots « inutiles ». Les neuropsychologues ont pu observer que durant l’apprentissage (en plein jour), l’activité de l’hippocampe était plus forte lorsque ces personnes devaient retenir un mot que lorsqu’il s’agissait de l’oublier.
Ces recherches récentes demandent évidemment à être vérifiées et affinées. Mais ce qui est avéré, c’est que durant le sommeil, le cerveau traite les multiples informations récemment acquises, les organise et les fixe pour les mettre à notre disposition le lendemain.
Pour fixer les apprentissages, dormez dessus
La conclusion semble assez claire : rien de tel que le sommeil pour fixer les apprentissages dans la mémoire à long terme. « Aux étudiants qui ont coutume de travailler jusqu’aux petites heures et de se lever dès l’aube avant un examen, aux élèves qui ingèrent la matière d’un contrôle à la dernière minute dans le bus, je dirais : vous en connaissez peut-être assez pour obtenir la moyenne ; mais ces connaissances-là ne sont pas bien fixées dans votre mémoire à long terme », explique Philippe Peigneux. Et d’ajouter : « On observe qu’en 30 ans, on a perdu plus d’une heure et demie de sommeil en moyenne ». Le manque de sommeil se fait souvent sentir chez des adolescents bien plus sollicités qu’autrefois par l’utilisation des réseaux sociaux, l’accès à l’ordinateur et l’habitude de garder le GSM allumé et à portée de main durant la nuit. « Or, précise encore Philippe Peigneux, à l’adolescence, la zone du cortex frontal, région cérébrale est associée au sommeil de récupération, n’est pas encore totalement achevée ».
Catherine MOREAU
(1) http://bit.ly/1baen8J (article en anglais)
(2) http://1.usa.gov/1fSm358
(3) http://bit.ly/1774E3X
La mémoire, des mémoires
L’on distingue habituellement mémoire à long terme et mémoire à court terme (ou mémoire de travail). Cette dernière permet de maintenir présentes à notre conscience les informations dont nous avons besoin en temps réel pour parler, calculer, réfléchir. C’est, par exemple, celle qui permet de nous souvenir d’un numéro de téléphone en le composant, de manipuler des connaissances pour résoudre des problèmes.
La mémoire à long terme, elle, se divise en deux catégories : la mémoire déclarative (ou explicite) et la mémoire non déclarative (implicite ou procédurale).
La mémoire explicite repose sur l’enregistrement de connaissances culturelles ou générales. Ces connaissances peuvent être acquises grâce à des apprentissages (on parle alors de mémoire sémantique) ou par des évènements vécus consciemment, localisés dans le temps et l’espace (mémoire épisodique). La différence ? Si l’on sait que Rome est la capitale de l’Italie, on serait bien en peine de savoir à quel moment précis on l’a appris. Par contre, qui ne se souvient pas de l’endroit où il se trouvait et de ce qu’il faisait au moment où il a été informé des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis?
Quant à la mémoire implicite, elle désigne les compétences apprises de manière inconsciente et stockées (faire du vélo, construire une phrase structurée par exemple).
Ces systèmes interagissent entre eux et dépendent de régions cérébrales distinctes.
Pour en savoir plus
• CENTRE DES SCIENCES DE MONTRÉAL, Le sommeil de A à Z, http://www.lesommeil.ca
• UNAF, réseau Morphée et Académie de Paris, Sommeil de l’enfant et de l’adolescent, http://bit.ly/19MMpND ou disponible en prêt.
• V.L.F., Les cycles du sommeil, DVD, 2009, http://bit.ly/196Y7Wr
• DORIANE Films, La mémoire au quotidien, 1996, http://bit.ly/1fCx22z
• DELANNOY C., Une mémoire pour apprendre, Paris, Hachette Éducation, 2007.
• EUSTACHE F., DESGRANGES B., Les chemins de la mémoire, Paris, Le Pommier, 2010.
• LIEURY A. Mémoire et réussite scolaire, Paris, Dunod 2004.
• CNDP, J’ai la mémoire qui flanche, émission C’est pas sorcier, 2000, http://bit.ly/15sThlM
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