Magazine PROF n°21
Libres propros
Ancrer la formation des enseignants aussi sur la recherche !
Article publié le 01 / 03 / 2014.
Notre rubrique Libres propos donne la parole à un spécialiste de l’éducation, en lui demandant de faire part à nos lecteurs d’un message, important selon lui, à leur transmettre aujourd’hui. La contribution du professeur Léopold Paquay, décédé quelques jours après la rédaction de ce texte, revêt une dimension toute particulière. Il y évoque la formation des enseignants.
Étant donné l’évolution rapide du métier d’enseignant et du contexte qui l’entoure, un consensus se dessine quant à la nécessité de renforcer la formation des enseignants afin de permettre à ceux-ci de faire face aux nombreux défis auxquels ils sont confrontés au quotidien, d’aider encore davantage les élèves à apprendre, mais aussi de justifier leur pratique et de développer des projets collectifs en utilisant le lexique du métier…
Si telle est bien la visée de former des enseignants professionnels, il pourrait être intéressant d’exploiter davantage la richesse des connaissances qui ont progressivement été accumulées dans le cadre des recherches scientifiques dans le domaine de l’éducation, et d’ancrer davantage la formation dans celles-ci comme cela se fait davantage dans d’autres pays et particulièrement en Finlande.
La recherche pôle de formation
Que signifie ancrer la formation des enseignants sur la recherche ? D’abord, les concepteurs de nouveaux curricula et les équipes de formateurs gagneront à prendre en compte les résultats des recherches à propos de l’acte d’enseigner et à propos des dispositifs de formation et d’accompagnement des enseignants. Les connaissances scientifiques et expertes accumulées mondialement depuis plusieurs décennies sur ces deux thèmes sont impressionnantes. Nous en avons sélectionné quelques-unes dans le Cahier de recherche du Girsef n° 90 (1). Se baser sur ces connaissances permettra de sortir des sentiers battus et de concevoir des curricula et des dispositifs innovants dont on pourra ultérieurement expliciter les fondements lors d’audits d’évaluation de la qualité.
Deuxio, il importe aussi de repenser les contenus de la formation en faisant une plus grande place aux savoirs issus de la recherche qui aident les enseignants à donner sens à leur pratique ; entre autres, les savoirs clés en didactique, en psychologie de l’apprentisssage, en sociologie de l’éducation et autres savoirs importants des sciences humaines et sociales. Il est essentiel en formation à l’enseignement d’articuler théorie et pratique. Mais comme le montre Pierre Pastré (2), l’apprentissage d’un métier ne se réalise pas uniquement au moment de l’action (les stages en classe), mais au moment du debriefing, c’est-à-dire lorsque, seul ou accompagné, le stagiaire réfléchit aux sources des problèmes rencontrés.
Or, on oublie trop souvent que ces retours sur l’action sont l’occasion de reconceptualiser les situations difficiles; et c’est précisément alors que la théorie devient utile. Par exemple, un enseignant confronté à un problème de démotivation de la part de certains élèves pourra recourir aux savoirs théoriques développés en psychologie de l’éducation quant aux leviers de la motivation, reconceptualiser les situations vécues en conséquence et ouvrir ainsi de nouvelles pistes d’intervention. Des enseignants ainsi formés deviennent des utilisateurs éclairés des produits de la recherche en éducation. Et ils sont outillés pour questionner leurs pratiques en référence avec les résultats des recherches (par exemple quant à l’inutilité du redoublement).
Tertio, on initie également les étudiants à une démarche de recherche. Tout particulièrement, à travers un mémoire de recherche ou un portfolio, l’étudiant peut acquérir une méthodologie qu’il pourra peut-être utiliser par la suite lorsque, «praticien-chercheur», il développera des projets innovants et collaborera à des recherches. Mais on peut surtout attendre que les futurs enseignants apprennnent ainsi une attitude critique par rapport aux « savoirs » qu’ils enseignent et aux principes didactiques et pédagogiques auxquels ils se réfèrent.
Ses impacts
Le choix d’ancrer la formation des enseignants aussi sur la recherche a de nombreuses conséquences. Pointons-en deux.
Il s’agit de mettre en place à terme un master réellement professionnalisant où les savoirs issus de la recherche ont une place consistante. Dans le scénario sans doute le plus réaliste d’un bachelier de 3 années débouchant sur la possibilité d’enseigner, suivi de deux années de master pouvant être réalisées en cours d’emploi, il est capital que les étudiants, dès leur première année de formation, soient confrontés à des savoirs clés issus de la recherche et qu’ils puissent en percevoir la pertinence pour la pratique.
Il importe donc, en ce qui concerne la formation des enseignants du fondamental, que les formateurs, les chercheurs des Hautes écoles et des Universités et les relais du terrain définissent en commun un ensemble limité de savoirs clés (knowledge base) à faire acquérir en profondeur par les étudiants au long de leur formation ; et qu’ils explicitent des dispositifs permettant aux étudiants d’acquérir ces savoirs de façon contextualisée et des dispositifs pour qu’ils prennent l’habitude de mobiliser ces savoirs en situation professionnelle, particulièrement lors des activités d’analyse de pratique professionnelle.
De plus, les formateurs d’enseignants seront évidemment invités à développer les compétences requises pour faire acquérir aux étudiants les savoirs clés issus de la recherche et pour les initier aux démarches de recherche. Mais une formation, même intensive, des formateurs ne suffit pas ! À terme, tous les formateurs d’enseignants gagneraient à participer à des recherches collaboratives et autres, en didactique et dans les divers domaines des sciences de l’éducation et de la formation. Au-delà de l’enrichissement personnel qu’ils pourront y trouver, les retombées pour leurs étudiants seront essentielles : les formateurs, en effet, constituent les interfaces, les médiateurs nécessaires entre la recherche et les futurs enseignants en formation.
En conclusion, pour mettre en place un curriculum de qualité pour former des enseignants professionnels, une priorité se dégage : ancrer davantage la formation initiale des enseignants sur la recherche.
Léopold PAQUAY
(1) https://cdn.uclouvain.be/public/Exports%20reddot/girsef/documents/cahier_90_Paquay_final.pdf
(2) PASTRÉ P., La didactique professionnelle. Approche anthropologique du développement chez les adultes. Paris, PUF, 2011.
En deux mots
Psychopédagogue et formateur d'enseignants, Léopold Paquay était professeur émérite à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université catholique de Louvain. Il avait également formé de futurs enseignants à l’Institut des Dames de Marie, à Bruxelles, et à l’Ecole normale catholique du Brabant wallon. Membre-fondateur du Groupe interdisciplinaire de recherches sur la socialisation, l’éducation et la formation (Girsef), il a publié de nombreux ouvrages et articles sur la formation et l’évaluation des enseignants. Il a aussi enseigné à la FOPA (Formation ouverte pour adultes) qui décerne un master en Sciences de l’éducation.
Bibliographie
• PAQUAY L., ALTET M., CHARLIER E. & PERRENOUD P. (Dir.). Former des enseignants-professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences? Bruxelles, De Boeck. (4e édition revue et actualisée), 2012.
• PAQUAY L., VAN NIEUWENHOVEN C. & WOUTERS P. (Eds.), L’évaluation, levier de développement professionnel ? Bruxelles, De Boeck, 2010.
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