Magazine PROF n°21
Coté psy
La mixité n’est pas neutre
Article publié le 01 / 03 / 2014.
Voilà un demi-siècle que filles et garçons se côtoient dans les classes. Est-il gagné pour autant, le pari du vivre ensemble et égaux dès l’école maternelle ?
Jetez donc un regard sur la cour de récréation : dès 4 ans et demi, les enfants passent bien davantage de temps à jouer avec des élèves du même sexe qu’avec ceux du sexe opposé. Et bon nombre de chercheurs l’ont observé : les garçons jouent en plus grands groupes, utilisent davantage d’espace, ont des rapports plus hiérarchisés où la domination physique joue un certain rôle.
Les attitudes «déviantes » par rapport aux rôles de sexe – des garçons jouant aux Barbies, par exemple – sont mieux acceptées quand il s’agit de filles. Normal ? Ces relations disjointes traduiraient la nécessité de se construire d'abord en rapport d'appartenance à un sexe, d’identité de genre. On ne peut manquer toutefois de se demander quelle est la part des modèles culturels, des normes, des interdits intériorisés dans cette conscience de genre très précoce. « Les stéréotypes n’expliquent pas la réalité mais, parfois, ils la créent », explique Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB. (1)
Filles obéissantes, garçons turbulents
Car ils ont la vie dure, les stéréotypes ! Aux filles, on associe volontiers l’obéissance, la discipline, l’attention, le respect de la norme…. – des attitudes conformes aux exigences du système scolaire. Plusieurs études ont démontré aussi que des enseignants ont des attitudes, des attentes, des interactions (inconscientes) différentes en fonction du sexe des élèves.
Ainsi, les garçons seraient plus interrogés sur des questions cognitives alors que les filles seraient sollicitées davantage sur un rappel du cours précédent. Dans la suite de la scolarité, la mixité renforcerait les stéréotypes, en particulier dans certaines matières. Au cours de sciences, les élèves (les enseignants aussi, parfois) trouvent normaux la dominance des garçons et l’effacement des filles quand il s’agit de réaliser un montage électrique ou une expérience.
Mais la sociologue Marie Duru-Bellat, qui a exploré la recherche sur les effets de la mixité, le souligne : il y a plus qu’une adaptation passive ou une soumission aux stéréotypes car dans la classe, les élèves auront tendance à mettre en œuvre des comportements cohérents avec leur identité : certaines filles montrent de l’appréhension devant une dissection ou refusent de se salir ou de se protéger les cheveux pour une manipulation, par exemple (2).
À l’adolescence, en particulier, certaines composantes de cette identité de genre sont en porte-à-faux avec ce que l’école propose. Par exemple, ce n’est pas forcément « cool » ni « viril » vis-à-vis des « potes » d’être un « bon » élève, intello, docile et performant. Cela semble s’observer plus fréquemment dans des écoles de milieux socioéconomiques plus défavorisés. Confrontés à une plus grande réussite des filles, des garçons en échec seraient tentés de se réfugier dans des comportements qualifiés de « masculins ».
Recréer un temps « entre soi » ?
Des classes non-mixtes pourraient-elles améliorer la situation ? Le débat revient régulièrement. Le neuropsychiatre et psychanalyste Philippe Van Meerbeeck a avancé l’idée de créer des classes non mixtes au début de l’adolescence, lorsque le décalage de maturité entre filles et garçons, souvent observé, peut être source de difficultés. Offrir un temps initiant où l’on parle « entre soi » avant d’être confronté à l’autre sexe permettrait de se consacrer plus sereinement aux apprentissages (3). Mme Duru – Bellat propose de maintenir la mixité, en favorisant des moments non mixtes, comme les cours d’éducation sexuelle.
La non mixité réduirait-elle le retard scolaire des garçons constaté dès la fin du cycle de base et qui se prolonge sur toute la scolarité ? Permettrait-elle de meilleurs résultats et une orientation plus importante des filles dans les branches scientifiques? Eviterait-elle le contingentement des élèves dans des filières perçues comme réservées aux filles ou aux garçons (ce qui recrée presque de fait la non mixité) ?
Difficile de répondre. Mais des études ont montré que les différences de réussite entre garçons et filles varient fortement d’un pays à l’autre et d’une école à l’autre. Les filles réussissent d’autant mieux que la société dans laquelle elles vivent promeut l’égalité des sexes. Et des écoles, souvent dans des milieux plus privilégiés, arrivent à promouvoir des valeurs – compétition, excellence… – qui parlent davantage aux garçons. Et là, l’écart entre garçons et filles au sein des classes s’amenuise.
Catherine MOREAU
(1) KLEIN O., « Il faut peut-être redéfinir autrement la mixité », interview dans Le Soir, 22 janvier 2014.
(2) DURU-BELLAT M., « Ce que la mixité fait aux élèves », dans Revue de l’OFCE, n°14, juillet 2010. http://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2010-3-page-197.html
(3) VAN MEERBEECK P., Ainsi soient-ils ! À l’école de l’adolescence, Bruxelles, De Boeck, 2012.
Filles et garçons : une même école ?
L’Enseignement à distance de la Fédération Wallonie-Bruxelles a construit un module pour intégrer l’égalité entre filles et garçons dans la formation initiale et en cours de carrière des enseignants. Filles et garçons : une même école ? mise sur la capacité d’un enseignant conscient des stéréotypes sexistes de changer les mentalités. Pour chaque niveau d’enseignement (maternel, primaire, secondaire et supérieur), le module explore différents environnements (institutionnel, pédagogique, relationnel,…) et propose des pistes pédagogiques concrètes. On y trouve aussi un grand nombre de références et de définitions, des exemples d’activités, des réflexions d’enseignants sur des questions de genre, des questionnaires destinés aux élèves, des documents vidéo,… http://www.egalitefillesgarcons.be (Ce module est en cours d’actualisation. Il davrait être finalisé et remis en ligne fin janvier 2018. Infos : alexandra.adriaenssens@cfwb.be)
Mixité : à revoir ?
Faut-il remettre en cause la mixité installée dans les écoles depuis un demi-siècle? Coup d’œil au-delà des frontières.
L’Irlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande comptent beaucoup d’écoles et de classes non-mixtes ; les États-Unis, le Royaume-Uni,… en ont recréé.
Efficace ? Des recherches (1) ont exploré, dans ces pays, l’impact d’une éducation non mixte sur les résultats scolaires, les orientations et options choisies, le développement personnel et social,… Le bilan : des résultats variés, voire contradictoires, reflétant sans doute la difficulté de distinguer les effets attribuables à la non-mixité et ceux provenant d’autres facteurs.
Certaines études montrent ainsi que les filles d’écoles mixtes adoptent des attitudes plus favorables envers les matières « masculines » (maths, physique), mais d’autres suggèrent qu’à la sortie d’écoles non mixtes, elles s’orientent plus volontiers vers ces matières dans l’enseignement supérieur. Côté développement personnel et social, il semble que les élèves des écoles mixtes voient de façon plus positive leur école et les différents aspects de leur enseignement. Mais quand on aborde la perception et l’image que les élèves ont d’eux-mêmes, la balance ne penche d’aucun côté.
(1) SMYTH E., « Non-mixité à l’école : que nous dit la recherche actuelle ? », dans Revue française de pédagogie, n°171, avril-mai-juin 2010.
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