Magazine PROF n°22
Droit de regard
« Une école gratuite et de qualité, c’est un droit »
Article publié le 01 / 06 / 2014.
Dans cette rubrique, notre invité développe le regard qu’il pose sur l’enseignement. La parole est à Delphine Chabbert, de la Ligue des Familles.
Au sein de la Ligue des Familles, Delphine Chabbert est responsable du département « Études et actions politiques », qui produit des analyses sur les priorités de la Ligue, parmi lesquelles l’école.
PROF : Le Mémorandum de la Ligue (1) plaide pour une école gratuite et de qualité. Tout le monde en rêve, non ?
Delphine Chabbert : Une école gratuite et de qualité, c’est un droit, constitutionnel. C’est une obligation pour une société démocratique. Je ne suis pas sûre que tout le monde entende la même chose derrière le mot qualité et donc fasse le même rêve. Par contre, la plupart des gens s’accordent à rêver des mêmes chances de réussite pour tous.
L’école est une des préoccupations majeures des parents. La Ligue travaille souvent sur cette thématique. À chaque fois, elle se pose la question de la valeur ajoutée qu’elle peut apporter. Sur le cout de la scolarité, nous éditons chaque année, en aout, une enquête. L’école est loin d’être gratuite. Mais ce cout ne doit pas entraver les chances de réussite scolaire.
Les analyses PISA montrent qu’en Wallonie et à Bruxelles, ce cout renforce les inégalités et freine la réussite : les parents qui en ont les moyens font appel aux cours privés. Or, une école gratuite, c’est possible. En Flandre, dans le fondamental, elle l’est. Et, en aout dernier, notre travail a débouché sur une petite avancée : la ministre de l’Enseignement obligatoire a annoncé un « Plan gratuité » et la mise en place progressive d’un système de notes de frais mensuelles, pour que les parents y voient plus clair dans les dépenses scolaires.
Par ailleurs, si une école permet un voyage scolaire de fin d’année à plus de 400 €, plusieurs années de suite, c’est une façon de trier ses élèves. Un décret annule bien un voyage s’il n’obtient pas l’inscription de 90 % des élèves de la classe, mais il a un effet pervers… Imaginez la pression des élèves et de leurs parents sur les non-inscrits. Il faut donc plafonner le montant des voyages scolaires.
La Ligue revendique aussi un travail sur les rythmes scolaires.
En général, le papa et la maman travaillent tous les deux et ont du mal de ramener leur enfant qui finit l’école vers 15 h 30. De plus, depuis trente ans, toutes les études montrent que le rythme scolaire s’accorde peu avec les rythmes biologiques de l’enfant.
Nous proposons de refondre l’extra-scolaire dans la journée en rallongeant le temps de midi, et de placer une période d’apprentissage jusque 17 h, en y incluant les devoirs.
Sur l’année, nous proposons des périodes de sept semaines suivies d’un congé. Cela s’accompagne d’une réduction des vacances scolaires de 15 jours. Les secteurs de l’horeca et du tourisme freinent. Mais un tour-opérateur belge est prêt à en parler : en janvier dernier, il s’est déclaré favorable à ce système qui étale les vacances selon des zones, comme en France.
Le système actuel date de l’après-guerre et de la nécessité pour les enfants d’aider leurs parents à faire les moissons. L’enjeu, comme le dit Bernard De Vos, Délégué général aux Droits de l’enfant, est de faire entrer l’école dans le XXIe siècle.
Une école de qualité, c’est quoi d’autre ?
Outre les éléments déjà cités, c’est avant tout une place pour chaque enfant. Les politiques n’ont pas anticipé assez tôt le boom démographique. Les derniers plans vont dans le bon sens. Mais si l’on fonctionne dans l’urgence, on va rater l’occasion de choisir les bons endroits pour créer plus de mixité sociale.
La diversité des niveaux tire vers le haut. Et cela va encore mieux si l’on donne des moyens aux enseignants. La formation initiale et continuée revisitée doit leur amener de meilleurs outils de gestion de classe ; les sensibiliser aux besoins spécifiques des enfants ; et leur permettre un usage pédagogique des technologies de l’information et de la communication.
Le Mémorandum s’adresse d’abord aux élus, mais que dirait la Ligue aux acteurs de l’enseignement ?
Au mot « réforme », nous entendons les poils des enseignants se dresser. Pourtant, la Ligue a signé l’Appel à la refondation de l’école, pour améliorer le quotidien des enfants, des parents et… des enseignants. Cette réforme, il faut la penser avec tous les acteurs. Un signe positif ? Nous avons organisé une Université de printemps pour discuter de nos propositions. Sur la question des rythmes, les syndicats sont finalement d’accord pour dire « il faut prendre cette question comme une opportunité pour améliorer les conditions de travail des enseignants ».
Où sont les résistances ?
Le poids des habitudes se fait sentir aussi chez les parents. Certains ont calqué leur horaire de travail sur celui de leur enfant et ne veulent pas être dépossédé du suivi scolaire. La Ligue, la Fapeo et l’Ufapec répondent ensemble que l’école jusqu’à 17h s’accorde davantage aux sorties du travail et que cela favorise une relation familiale moins stressée en avant-soirée et en soirée. Tous les travaux sont terminés. On peut parler autrement de l’école, de façon plus positive.
Ensuite, le temps politique est plus rapide que le temps d’une réforme. Un ministre devra être bien courageux pour lancer une réforme dont un autre récoltera les fruits dans la législature suivante. De plus, les directions nous disent que le travail administratif va en se complexifiant. La réalisation des notes de frais posera question pour les directions du fondamental.
Enfin, l’intégration de l’extra-scolaire dans la journée scolaire doit rester gratuite. Il est hors de question que son cout retombe sur les parents. Mais qui va payer et combien ?
Parents-enseignants, dialogue de sourds ou équipe gagnante ?
Au quotidien, la défiance est souvent réciproque. Beaucoup d’enseignants estiment que les parents se reposent trop sur l’école. Beaucoup de parents surinvestissent sur la réussite de leurs enfants. De plus, les parents qui ont une faible scolarisation viennent moins vers l’école. Et le langage et les codes de celle-ci sont également des freins. Mais, l’objectif est d’avoir une équipe gagnante. Lorsque la Ligue invite au dialogue, tout le monde vient…
Propos recueillis par
Patrick DELMÉE
En deux mots
Française d’origine, Delphine Chabbert dirige le département Études et Actions politiques de la Ligue des familles. Elle a une formation de sociologue. Elle dit être restée une élève « pas super bonne » très longtemps. « Je ne comprenais pas ce que je faisais là ».
Lors de la première année de préparation au baccalauréat, l’équivalent de notre 5e secondaire, elle a trouvé le gout de la lecture. La première phrase de L’Étranger, de Camus, a été une révélation : « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ». Et Les Choses, de Perec, l’ont amenée à faire une formation supérieure, « pour comprendre comment les êtres humains vivent ensemble ».
Son diplôme en poche, elle a travaillé jusqu’ici dans des missions liées à la famille, la parentalité, les égalités homme-femme, les politiques de lutte contre les discriminations.
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