Magazine PROF n°24
L'info
Le tabac est-il encore à l’agenda scolaire ?
Article publié le 01 / 12 / 2014.
C’est entre 13 et 18 ans, et notamment à l’école, qu’ont lieu les premiers contacts avec la cigarette. Une étude européenne propose de lutter différemment contre le tabagisme.
Vincent Lorant, enseignant à la Faculté de Santé publique de l’UCL, et Pierre-Olivier Robert, son assistant, ont participé à une enquête européenne concernant le tabagisme chez les jeunes, Smoking Inequalities – Learning from Natural Experiments (SILNE).
PROF : Quel est le point de départ de cette enquête ?
Vincent Lorant : SILNE est financée par le 7e programme-cadre de la Commission européenne (1). Elle a interrogé un vaste échantillon d’élèves dans six pays européens. En Belgique, l’étude concerne 2137 élèves namurois en 3e et 4e secondaire.
Elle part de l’idée que la consommation de tabac n’est pas qu’un attribut individuel, mais aussi un attribut social. Ceci peut s’expliquer par un « effet de pairs », par la pression des amis, par l’influence des normes du groupe et par le bénéfice retiré de la pratique d’un comportement en groupe plutôt que seul (2).
Où se situe la Belgique en termes de consommation ?
Pierre-Olivier Robert : Dans notre étude, la moyenne européenne est de 20% de jeunes fumeurs réguliers (fumant minimum une à deux cigarettes par semaine). Namur se distingue avec 24% de fumeurs réguliers.
Mais, il est interdit de fumer dans les écoles…
P.-O. R. : Depuis 2006, un décret de la Communauté française interdit de fumer dans l’enceinte de l’école (3). Il n’y a pas eu d’évaluation de son respect (4). SILNE montre cependant que celui-ci est faible et très variable entre les écoles. En effet, seuls les élèves d’une école sur sept à Namur déclarent en majorité (62%) que les règles en matière de tabac sont strictement respectées. À l’inverse, dans une autre école avec 33% de fumeurs réguliers, seuls 13% des élèves disent que les règles sont respectées.
Des disparités entre écoles
Ces disparités concernent également les enseignants : 56% des élèves de cette dernière école disent voir fumer le corps enseignant, contre 4% dans celle où les règles sont strictement appliquées. Notons que pour les enseignants, nous n’avons pas précisé si c’était dans l’enceinte de l’école ou en-dehors. Peu importe. Si l’enseignant fumeur est visible, il a un impact et c’est plus difficile pour l’école de faire respecter cette règle par les élèves.
D’autres facteurs jouent, comme le tabagisme des pairs et des parents.
V. L. : On peut dès lors se poser des questions sur les efforts des services de promotion de la santé dans les écoles. D’autant plus qu’ils sont débordés par les bilans de santé.
SILNE évoque aussi le rôle du facteur socioéconomique…
P.-O. R. : Les écoles à public plus défavorisé comptent 10% de fumeurs réguliers en plus. Cette différence s’observe également au niveau européen. Le système éducatif basé sur l’échec comme facteur d’orientation participe à la construction des inégalités scolaires et sociales, mais il favorise aussi la consommation tabagique des jeunes qui s’orientent vers le qualifiant et le professionnel.
Ces filières se caractérisent par une population d’élèves plus âgés ayant plus de chance d’avoir expérimenté le tabac et pouvant initier leurs amis proches socialement. L’effet de pairs y sera plus grand.
Quels résultats apportent le questionnaire sur les réseaux d’amis ?
P.-O. R. : Les fumeurs réguliers ont tendance à être moins isolés que les non-fumeurs. On note aussi un effet de regroupement (clustering) des élèves qui présentent un comportement tabagique similaire. En effet, les fumeurs ont tendance à se citer entre eux.
Se centrer sur les leaders d'opinion?
Une école où cette situation apparait devrait avoir une approche plus ciblée sur les fumeurs les plus populaires en leur proposant un sevrage et en leur expliquant la place importante qu’ils occupent dans ce réseau.
V. L. : Le décret anti-tabac a activé les écoles qui n’appliquaient pas une réglementation stricte avant 2006. Sept ans après, nous avons l’impression que le tabagisme n’est plus en tête de l’agenda des écoles.
Quelles pistes de solution envisage SILNE ?
V. L. : Assist, un projet-pilote au Pays de Galles, réalise de la prévention du tabagisme par l’intermédiaire des pairs. Au lieu d’être un facteur de risque, ceux-ci peuvent être un facteur protecteur. Si fumer est une marque de prestige, le fait d’arrêter aussi.
Au lieu de travailler à l’échelle de l’école, un service de promotion de la santé pourrait se centrer sur les leaders d’opinion et atteindre le reste du groupe via ces effets de pairs.
Propos recueillis par
Patrick DELMÉE
(1) http://silne.ensp.org
(2) DIMAGGIO P., GARIP F., 2012, « Network Effects and Social Inequality », dans Annual Review of Sociology, 38 (p. 93-118), http://bit.ly/1Bg1ife
(3) http://bit.ly/1uDyGrz
(4) En 2007, un colloque a fait le point sur les difficultés à appliquer l’interdiction de fumer dans les écoles. http://bit.ly/1uxBXZD
Tabac, stop !
Le site enseignement.be présente une série de ressources dans ses pages « prévention tabac ». http://bit.ly/1u0XKE0
Le Fonds des affections respiratoires peut mettre en place avec les écoles des plans de lutte anti-tabac. www.fares.be La Fondation contre le cancer a développé le site http://www.tabacstop.be. On y mentionne des annuaires des tabacologues et des Centres d’aides aux fumeurs, un accompagnement personnalisé téléphonique gratuit (inscription via le 0800/111 00) et iCoach, une plate-forme de coaching en ligne, http://bit.ly/14hOuqh
En décembre 2013, nous relations le projet de mobilisation vis-à-vis des assuétudes, mené au Collège technique des Aumôniers du travail, à Charleroi. Celui-ci débouchait sur un atelier de sevrage avec le tabacologue Martial Bodo (Institut Bordet). Infos : fredhublet@hotmail.fr – 0495/ 41 64 38.
Plus de 11 000 élèves interrogés
L’enquête SILNE (lire Le tabac est-il encore à l'agenda scolaire?) a été menée en 2013 dans cinquante écoles situées dans six villes d’Europe : Namur, Tampere (Finlande), Hanovre (Allemagne), Latina (Italie), Amersfoort (Pays-Bas) et Coimbra (Portugal).
Ce sont les chercheurs de l’Institut de Recherche en Santé et Société (IRSS) de l’UCL qui ont mené l’enquête en Belgique, et l’ont coordonnée au niveau européen.
11 015 élèves de 3e et 4e secondaire (âgés en moyenne de 15,2 ans) y ont participé. « Nous avons choisi des pays où le tronc commun est plus ou moins présent, explique le professeur Vincent Lorant, comme la Belgique et la Finlande, et dont la règlementation sur le tabac est très stricte ou moins. Cela diversifie l’échantillon. Le critère pour choisir les écoles est le statut socio-économique du public : nous voulions comparer des écoles accueillant des élèves moins favorisés et d’autres des élèves plus favorisés ».
Tous les élèves ont rempli un questionnaire sur leurs relations sociales (« qui sont mes amis proches au sein de mon école ? »), leurs comportements de santé (tabac, alcool, cannabis, activités sportives) et leurs données socio-démographiques (âge, sexe,…). « Ils nous ont permis notamment de réaliser des graphes illustrant les réseaux sociaux de nos publics, ajoute Pierre-Olivier Robert. Avec cet outil, nous avons pu faire voir à chaque école interrogée sa situation spécifique ».
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