Magazine PROF n°27
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Diversifier les pratiques pédagogiques pour accompagner les élèves dans toutes les dimensions de l’apprentissage
Article publié le 01 / 09 / 2015.
Cette rubrique invite un spécialiste de l’éducation à faire part à nos lecteurs d’un message qu’il juge important, dans le contexte actuel. Laurent Lescouarch évoque ici la différenciation pédagogique.
L’allongement d’un cursus commun en cours de réalisation dans l’enseignement belge francophone implique un changement de pratiques pédagogiques important afin de prendre en compte l’hétérogénéité des publics. Une telle réforme risque cependant d’être difficile car ces changements interrogent la forme scolaire traditionnelle (1) qui est structurée historiquement sur la transmission en cours collectif, la recherche de l’homogénéité des groupes d’élèves.
Dans cette approche de l’organisation scolaire, la question de l’hétérogénéité scolaire a été gérée essentiellement par ce que l'on appelle la différenciation institutionnelle (2), c’est-à-dire la structuration de parcours différenciés par l’orientation (en organisant des gares de triage à différents moments du cursus pour recréer des espaces d'homogénéité par l’orientation des élèves).
Construire un autre modèle de gestion de la différenciation*
Avec l'idée d'un cursus commun prolongé, les acteurs vont donc être confrontés à la nécessité de construire un autre modèle de gestion de la différenciation qui, elle, s’inscrit dans la variation des formes pédagogiques au quotidien dans les classes : organiser des situations pour des publics hétérogènes dans un même espace, dans les mêmes classes d'âge avec des parcours d’apprentissage personnalisés par un travail de groupe, des pratiques tutorales, des travaux plus individualisés.
C’est une véritable révolution copernicienne car l'hétérogénéité est perçue généralement plutôt comme un problème que comme un levier, et la différenciation pédagogique nécessite une évolution des conceptions, des démarches de formation des enseignants à de nouvelles approches pédagogiques, évolution qui ne va pas de soi.
Pour que les changements soient effectifs, il ne faudrait pas minorer la difficulté d’une telle évolution car les enseignants privilégient usuellement plutôt ce qu’on pourrait appeler une « différenciation par le soutien » consistant à garder l'homogénéité des formes d'apprentissage dans le quotidien des classes et à externaliser des dispositifs de prise en charge en petits groupes ou en individualisation. Cette organisation permet de donner le sentiment d’une prise en compte des besoins des élèves sans remettre en cause fondamentalement les pratiques scolaires usuelles mais les effets de ces dispositifs sur la réussite scolaire apparaissent limités (3).
Changer le regard sur le statut de l'erreur
Par conséquent, une réforme qui se propose de généraliser l'hétérogénéité doit pouvoir être pensée de manière très pragmatique en prenant en compte les visions mêmes de l'apprentissage des enseignants pour penser les accompagnements des élèves dans leur complexité matérielle, didactique et pédagogique.
Différencier implique ainsi des changements de perspective sur le statut de l'erreur (il est normal de se tromper et c’est une étape fondamentale de tout apprentissage), sur la question des rythmes et temporalités d'apprentissage (les individus ont des rythmes différents et le temps de l'enseignement n'est pas le temps de l'apprentissage), sur les styles d’apprentissage et les processus de pensée (tout le monde n’apprend pas de la même manière), et sur les malentendus scolaires (le contrat scolaire est perçu de manière différenciée par les élèves).
Dans le cadre de la pédagogie par objectifs, la vision de la différenciation pédagogique la plus développée est relative à l’idée d’un « sur-mesure » à construire pour chaque élève en fonction de l’évaluation de sa situation dans les apprentissages. Nous retrouvons dans l’éducation spécialisée des pratiques de ce type très construites se caractérisant par une individualisation des progressions et des travaux demandés aux élèves. Cependant, cette pensée du « sur-mesure » nous apparait être un modèle difficilement généralisable dans l’enseignement ordinaire qui peut faire obstacle au développement d’une pédagogie différenciée.
Il apparait donc important de construire une réflexion sur d’autres approches plus pragmatiques ne s’inscrivant pas exclusivement dans l’individualisation du travail mais relevant de ce que nous appelons un « étayage différencié ». Il ne faut pas confondre « Différenciation » et « Individualisation » qui n’en est qu’une des formes. Une autre voie est en effet possible en appui sur le collectif par l’aménagement d’un milieu qui soit différenciant, qui pense la question des ressources pour les élèves, et des régulations des interactions adaptées aux élèves sur des mêmes situations.
Une régulation différenciée des situations
L’idée de régulation différenciée des situations est donc pour nous centrale avec des leviers qui ne relèvent pas exclusivement de la différenciation des contenus et supports. Ce sont des pratiques observables chez de nombreux enseignants mais elles restent implicites et ne font pas l’objet d’une valorisation comme technique de travail, ce qui constitue pour nous un enjeu important notamment pour la formation.
Ces leviers relatifs à la variation des consignes, à la mise en place de médiations différenciées sur des mêmes supports par les enseignants et les élèves, permettent une variation des conditions de formes scolaires en appui sur un environnement apprenant collectif. Ainsi, dans les pédagogies alternatives de la mouvance de l’éducation nouvelle, les enseignants structurent au quotidien des formes d'apprentissage qui ne reposent pas seulement sur l’interaction avec l'adulte, mais qui passent par un aménagement de situations permettant également un étayage mutuel entre élèves.
Pour le pédagogue, il est donc très important de penser les formes d’apprentissage permettant à de nombreux élèves d’avoir des approches diversifiées des notions (4), mais également de jouer sur le ressort de la différenciation des accompagnements dans le cadre collectif.
Cette approche de la différenciation permettrait de manière plus souple de favoriser une différenciation au quotidien dans les classes. Elle nous apparait une piste pragmatique « raisonnable » pour permettre une évolution des pratiques et de la professionnalité des enseignants en intégrant de nouveaux outils (travail de groupe/tutorats/médiations individualisées) et de nouvelles postures de travail à leurs formes pédagogiques collectives actuelles, sans pour autant les confronter à un changement immédiat trop radical qui pourrait mettre en difficulté les personnes (et donc le projet).
Laurent LESCOUARCH
(1) VINCENT G., L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Presses Universitaires de Lyon, 1994.
(2) Lire à ce sujet LEGRAND L., « Pédagogie différenciée », dans Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Nathan université, Paris, 1994.
(3) HOUSSAYE J., « Le soutien va-t-il tuer la pédagogie différenciée ? », dans Les cahiers pédagogiques, pp. 376-377, 1999.
(4) MEIRIEU P., L’école mode d’emploi, ESF éditeur, Paris, 1985.
* Les intertitres sont de la rédaction
En deux mots
Maitre de conférences à l’Université de Rouen, où il dirige le département des sciences de l’éducation, Laurent Lescouarch s’intéresse particulièrement aux dispositifs pédagogiques mis en place pour favoriser la réussite scolaire ou soutenir les élèves en difficultés.
Membre du Centre interdisciplinaire de recherches sur les valeurs, les idées, les identités et les compétences (http://shs.univ-rouen.fr/centre-interdisciplinaire-sur-les-valeurs-les-idees-les-identites-et-les-competences-en-education-et-en-formation-279419.kjsp), il dirige notamment une recherche sur les pratiques pédagogiques du collège lycée expérimental d'Hérouville Saint Clair.
Parmi ses publications, comme auteur ou co-auteur, on notera :
- « Les pratiques pédagogiques des accompagnateurs scolaires », dans Des innovations pédagogiques et éducatives en réponse à la crise de l'école (sous la dir. de ROBBES B., HUGON M.-A.), Presses Universitaires de l’Artois, 2015 ;
- « Dispositifs d'accompagnement de l'élève en difficulté : acteurs, pratiques pédagogiques et cohérence des actions », dans Inégalités scolaires et résilience, Retz, 2012 ;
- « Conséquences de la conception de la difficulté scolaire des enseignants spécialisés débutants ‘maitres E’ et de leur approche de la différenciation sur leur développement professionnel », dans Le parcours des enseignants débutants, de GOIGOUX R., RIA L. & TOCZECK-CAPELLE M.-C., Presses Universitaires Blaise Pascal, 2010 ;
- Faire travailler les élèves à l'école: 7 clés pour enseigner autrement (avec GRANDSERRE S.), ESF, 2009.
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