Magazine PROF n°27
Coté psy
Quand la flèche humiliante perce la carapace de l’élève
Article publié le 01 / 09 / 2015.
Comment dépister des pratiques d’humiliation scolaire, souvent inconscientes, qui peuvent entrainer mal être et découragement chez un élève chez un élève ou dans un groupe ? Et mettre des balises pour les éviter ?
Maxence, 14 ans, est plutôt partisan du moindre effort. Son professeur d’anglais le lui rappelle régulièrement, prenant à témoin la classe entière. Il ne manque pas de mesurer ses « performances » à l’aune de celles de ses frères et sœur plus âgés. Les traits d’humour répétés font sourire la classe, qui finit par affubler Maxence d’un sobriquet peu flatteur. L’élève réalise des efforts, mais ils ne sont pas payants et passent inaperçus. Les remarques continuent. Maxence finit par ne plus trouver le sommeil la veille des cours d’anglais et redoute le moment d’entrer en classe.
Psychosociologue et psychothérapeute, Jean-Luc Tournier a consacré un ouvrage au processus d’humiliation dans la pratique pédagogique (1) . Il y décrit les étapes potentielles vécues par la victime. Blessé, diminué aux yeux des pairs par un propos disqualifiant ou un comportement d’indifférence, l’enfant ou l’adolescent éprouve des émotions puissantes : colère, détresse de ne pas être vu, peur d’être exclu du groupe…
Après avoir espéré, souvent en vain, un soutien d’autres élèves, il finit par minimiser l’importance des faits. Il peut ainsi dévaluer ses émotions, en affaiblir l’intensité jusqu’à les faire taire. Il retourne alors vers son groupe d’appartenance en position de soumission, et prend l’étiquette posée sur lui comme argent comptant. Au risque, ensuite, de reproduire des situations semblables qui entraineront les mêmes conséquences (« Ils avaient donc raison »).
La honte en héritage
La conséquence, c’est la honte que ressent l’élève qui se voit moins valable, moins important que les autres. Cela peut avoir des conséquences sur le plan physique : rougissements, transpiration, stratégies pour passer inaperçu… Sur le plan cognitif, aussi, car l’élève consacrera une telle énergie à se défendre ou à ne pas se laisser anéantir qu’il se rend peu disponible pour réfléchir, se concentrer, mémoriser. Sur le plan spirituel, enfin : il finit par se résigner, par s’isoler, par essayer de s’en sortir seul et souvent, par perdre l’estime de lui-même, ingrédient précieux de la réussite scolaire.
Le psychothérapeute le souligne : « La flèche humiliante ne perce pas pareillement toutes les carapaces ». Certains vont chercher des ressources internes (ou auprès d’un tiers) pour se dégager d’une ornière redoutable en usant de leurs capacités résilientes (perspicacité, indépendance, aptitude relationnelle, humour, initiative, créativité…). Et sont parfois même capables d’« utiliser ces expériences comme un tremplin dans leur parcours de vie ».
Des pistes et des stratégies
Remarques ironiques, soupirs ; envois au tableau ou invitations à lire à haute voix qui deviennent des supplices pour un élève ; remises des copies dans l’ordre décroissant des notes ; absences de réaction devant des efforts réalisés ; remarques cinglantes dans le bulletin. Tout cela peut apparaitre bien caricatural. Pourtant, les formes d’humiliation scolaire, individuelles ou collectives, prennent des formes multiples, subtiles, et peuvent s’appuyer sur des intentions diverses.
Jean-Luc Tournier le précise : un élève peut se sentir humilié sans que l’adulte ait été humiliant, ni en acte ni en intention. En outre, les remarques ou l’attitude de l’enseignant partent souvent de bonnes intentions : il s’agit de donner à l’élève une « secousse » qui lui permettra de progresser. L’humiliation peut aussi provenir d’un malentendu, d’une ignorance de la manière dont ses paroles sont perçues par les élèves.
Mais qu’est-ce qui conduit un enseignant à glisser volontairement vers des comportements humiliants, basés le plus souvent sur le travail scolaire et sur des comportements de l’élève qu’il juge inadéquats ? Les raisons peuvent être variées. Le psychothérapeute cite notamment la crainte du contact, c’est-à-dire de ne pas prendre la bonne distance ; ou de ne pas être à la hauteur, ce qui peut amener à vouloir prendre le contrôle. Cela peut être aussi la perte du plaisir à exercer le métier d’enseignant ou le désir de restaurer l’estime de soi quand on a été soi-même humilié par des supérieurs, des parents d’élèves. Ou encore le souci de reproduire un modèle, une forme pédagogique à laquelle on a été initié, en la parant de toutes les qualités.
Comment établir des garde-fous contre ces humiliations volontaires ou pas ? Pour l’auteur du livre Élèves humiliés, élèves sacrifiés ?, il faut tenir compte, dans les relations avec la classe, de besoins nécessaires au développement de la personne. Quelques exemples : le besoin des élèves de sentir en sécurité, grâce à un enseignant qui gère le groupe et n’a pas peur des résistances, des tensions, des remises en cause. Ou le besoin d’être validé, autrement dit vu, entendu, pris en compte et susceptible d’avoir un impact sur un enseignant qui accepte de lâcher prise avec ses certitudes, ses convictions. Ou encore le besoin de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un digne de confiance. Cela suppose que l’enseignant ne se réfugie pas derrière le manque d’expérience, de réponses, de connaissances.
Bien sûr, assurer ces besoins ne permet pas de donner une réponse concrète et solide à l’humiliation que peut vivre un élève. Pour Jean-Louis Tournier, rien ne sert de croire qu’un élève humilié au point de se résigner arrivera bien à se défendre lui-même ou qu’il suffit de lui dire de se défendre. Il faut qu’un tiers connaissant bien les stratégies des humiliants intervienne de manière judicieuse pour aider les plus vulnérables à se défendre. Il suggère, par exemple, l’installation dans l’école d’une cellule de soutien (composée d’adultes et d’élèves) qui entendrait et coacherait les humiliés et les aiderait à sortir d’une passivité résignée. Ou encore en cas d’abus de pouvoir, que des délégués de classe puissent exprimer ce qu’ils ont observé.
L’enjeu est de taille : il s’agit d’amener l’élève qui subit une humiliation à sortir de l’impasse et, surtout, à restaurer l’image qu’il a de lui-même et de ses compétences d’apprentissage. Cela prend du temps. « Détruire est d’une rapidité sans égale, note le psychothérapeute; reconstruire est œuvre de patience ».
Catherine MOREAU
(1) TOURNIER J.-L., Élèves humiliés, élèves sacrifiés ? De Boeck, coll. Comprendre, Louvain-la-Neuve, 2015
Pour en savoir plus
► DUBET F., « École, la révolte des vaincus ? » dans Sciences Humaines, Hors-série n°47, janvier 2005.
► LORIERS B., Les pratiques d’humiliation scolaire, analyse de l’UFAPEC, 2009, http://bit.ly/1eziD8X
► MERLE P., L’élève humilié. L’école, un espace de non-droit ?, Paris, PUF 2005.
► MERLE P., « Peut-on enseigner sans humilier ? » dans la revue Sciences Humaines n°165, novembre 2005.
► PELISSIE J.-R., Le phénomène de l’humiliation en milieu scolaire. Ses manifestations, son influence sur l’affirmation des identités sexuées, Le Bouscat, L’esprit du temps, 2003.
Moteur de recherche
Tous les dossiers
Retrouvez également tous les dossiers de PROF regroupés en une seule page !