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Magazine PROF n°29

 

Droit de regard 

Mixité scolaire : ange ou démon ?

Article publié le 01 / 03 / 2016.

En progression dans nos écoles dans les années ’50, la mixité s’est généralisée dix ans plus tard. Aujourd’hui, elle pose question : gage continu d’égalité ou source de discrimination ? Voici ce qu’en pense Nadine Plateau, qui préside la commission Enseignement du Conseil des Femmes francophones de Belgique.

PROF : La mixité est quasi généralisée depuis la mise en place du rénové. A-t-on pour autant préparé une « pédagogie de la mixité » ?
Nadine Plateau :
Non. C’est frappant. Dans les années ‘20, la mixité, c’était un sujet de débat entre d’une part, les laïcs et progressistes et d’autre part, les catholiques et conservateurs. Dans les années ‘70, elle s’est imposée comme une évidence dans l’opinion publique et comme une solution économique. Et les féministes se sont réjouies de l’égal accès de tous à toutes les formes d’enseignement.

Nadine Plateau : « L’enseignement rénové a généralisé un modèle d’enseignement calqué sur celui des garçons de milieux favorisés, sans réflexion pédagogique sur la mixité ».
Nadine Plateau : « L’enseignement rénové a généralisé un modèle d’enseignement calqué sur celui des garçons de milieux favorisés, sans réflexion pédagogique sur la mixité ».
© PROF/FWB-Jean Poucet

L’enseignement rénové a généralisé un modèle d’enseignement calqué sur celui des garçons de milieux favorisés. Mais il ne s’est jamais accompagné de réflexion pédagogique relative à la mixité. On ne se posait pas la question des moyens à mettre en œuvre pour assurer une co-éducation. On ne s’imaginait pas que de nouvelles discriminations pourraient se produire.

Il faut bien dire que nous n’avions pas, dans ces années-là, les outils pour penser une pédagogie de l’égalité filles/garçons. Ce n’est qu’en 1985 que le Conseil des Communautés européennes a adopté une résolution dans ce sens. En effet, des travaux scientifiques avaient commencé à montrer des différences de réussite scolaire entre filles et des garçons, ainsi que des différences de choix d’options.

Ensuite, d’autres études ont mis en lumière ce qu’on appelle le « curriculum caché » : le fait qu’en dehors de la transmission du savoir et de manière inconsciente, les enseignants traitent les élèves de manière différente, en fonction de leur milieu social et de leur sexe. Les résultats montraient que les enseignants privilégiaient les garçons en leur accordant plus d’attention et de temps de parole.

Et pourtant, si vous leur posez la question, tous les enseignants vous diront qu’ils ne font pas de différence. Leur ignorance des stéréotypes qu’ils véhiculent et parfois leur déni peuvent se comprendre : ils exercent un métier difficile, aujourd’hui fort fragilisé car fort sollicité. Comme si l’école pouvait en même temps répondre à toutes les difficultés sociétales.

Lorsqu’on évoque l’égalité filles-garçons, on place généralement le focus sur les filles. Et les garçons ?
Parler du genre ce n’est pas que parler des filles. La moins bonne réussite des garçons est un des mécanismes à étudier dans une perspective de genre. Je nuancerais tout de même en disant qu’en fin d’études dans les écoles élitistes, les garçons réussissent relativement bien. Et une recherche de Jacques Cornet (1) tend à montrer que le rapport à la scolarité des garçons est lié à leur milieu social : l’écart avec la scolarité est plus grand dans l’enseignement professionnel.

Un récent colloque (2) a abordé la non-mixité des cours d’éducation physique, quasi généralisée en secondaire. Quels y seraient, selon vous, les atouts de la mixité ?
La mixité est un atout à condition d’y réfléchir. Il ne suffit pas de la décréter pour casser les stéréotypes. Voyez les pays voisins où ces cours sont mixtes. Cela n’empêche pas des activités différentes selon le sexe ni le sexisme du monde sportif.

Par contre, réfléchir, se donner des objectifs, anticiper les difficultés et mettre en place des stratégies pour rendre les activités physiques et sportives accessibles et surtout attrayantes pour tous, voilà qui pourrait réduire les clichés « l’homme est fort et viril, la femme souple et gracieuse ». On pourrait, par exemple, encourager la prise de risque chez les filles et la sensibilité esthétique chez les garçons. Ou encore évaluer ce cours sur la base de la collaboration autant que la performance.

La mixité en éducation physique pourrait se heurter à des obstacles culturels ou religieux, non ?
Pour ma part, je comprends l’enseignant qui ayant pour objectif de faire nager ses élèves, organise un cours non mixte. C’est un problème à résoudre localement, au profit des élèves.

Prend-on suffisamment en compte la question du genre dans la formation des futurs enseignants ?
En 2000, la ministre de l’Enseignement supérieur Françoise Dupuis a imposé un nouveau cours (Approche théorique et pratique de la diversité culturelle) dans les catégories pédagogiques des hautes écoles. En 2005, sa successeure, Dominique Simonet, a rajouté la dimension de genre dans son intitulé. Aucun titre requis n’est requis pour le donner.

Des outils ont été développés depuis dont le module de formation Filles-garçons : une même école ? (3) avec des ressources adaptées pour chaque niveau d'enseignement. Ce travail énorme est peu diffusé et doit être remis à jour.

Notons que le genre n’est pas intégré au cursus de l’agrégation dans les universités. D’ailleurs, nous plaidons pour la création d’un master « genre et diversités » comme il en existe en Flandre depuis deux ans où il connait un beau succès. Des groupes de travail dans les universités francophones mettent en place des propositions concrètes.

C’est donc une thématique qui doit faire partie de la réforme de la formation initiale des enseignants.

Le personnel enseignant est de plus en plus féminin dans une société désireuse de lutter contre les inégalités. Est-il sain que les enfants, dans l’enseignement fondamental, n’aient aucun prof masculin ?
La question est pertinente à condition d’en rechercher les causes et de poser aussi celle de l’absence des femmes au sommet de la hiérarchie enseignante … Le Pacte pour un Enseignement d’Excellence n’y fait aucune allusion. C’est tout dire. Or, le système scolaire semble évoluer vers un écart croissant entre les responsables de la gouvernance (direction, inspection, évaluateurs externes) qui sont majoritairement des hommes, et les enseignants sur le terrain, majoritairement des femmes.

Nous ne participons pas aux travaux du Pacte. À la lecture des rapports des groupes de travail, j’ai constaté que la notion de genre n’est pas absente. On sent une ouverture politique. Mais les chercheurs soit ont peu d’intérêt, soit ignorent la question. Et chez les autres (professeurs, syndicats, associations de parents) ce n’est pas une priorité. Ce n’est d’ailleurs pas une notion qui s’intègre du jour au lendemain.

Or, le Pacte offre une belle occasion de se repencher sur la question, en articulant différentes formes de discriminations (sexe, origine sociale, ethnique…). Cela permettrait de comprendre plus finement les inégalités et d’y apporter des réponses pédagogiques adéquates

Un enseignant, un cours, une anecdote, un souvenir d’école qui vous a particulièrement marquée ?
Je me souviens de ma prof de néerlandais, en 5e secondaire ! Dans un milieu bourgeois, francophone, où les élèves n’en avaient rien à cirer du néerlandais, cette femme est parvenue à nous faire lire du Vondel et à y prendre du plaisir, grâce à son feu et à sa force incroyable. Un jour, elle m’a lancé « Plateau, vous n’arriverez jamais à rien ! ». Cela a sonné comme un défi. J’ai fini par trouver le néerlandais magnifique. Et je suis devenue germaniste.

Propos recueillis par
Patrick DELMÉE et Catherine MOREAU

(1) E qwé les mecs ! Oufti les filles ! • Recherche sur les inégalités filles-garçons à l’école. http://bit.ly/1QINFrP
(2) http://bit.ly/1QEeNLS
(3) http://bit.ly/1RQdpqD (Ce module sera bientôt remis en ligne, actualisé.)

En deux mots

Philologue germaniste de formation, Nadine Plateau a enseigné le néerlandais et l’anglais à l’étranger, puis en Belgique jusqu’en 2000.

En parallèle, depuis la fin des années soixante, elle a été active dans les Mouvements des femmes, notamment sur les questions de l’avortement, de la formation et du développement de savoirs critiques féministes. Elle a cofondé et dirigé Sophia, le réseau belge des études de genre subventionné par l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes.  Elle a également présidé l'Université des Femmes,  laboratoire de recherche, d'enseignement et de réflexions féministes sur la condition des femmes.

Depuis une dizaine d’années, Nadine Plateau préside la Commission Enseignement du Conseil des Femmes Francophones de Belgique. Le but de cette commission est d’intégrer la question du genre depuis la crèche jusqu’à la formation des adultes. Cela passe par la lecture et la critique de projets de loi, la réflexion sur la formation initiale des enseignants ou les travaux du Pacte d’excellence.

 

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