Magazine PROF n°30
Dossier La littérature belge en classe
Auteurs belges en classe : le flux et le reflux
Article publié le 01 / 06 / 2016.
Au fil du temps, les auteurs belges ont connu des fortunes diverses dans les programmes et manuels scolaires…
Ils sont (encore ?) nombreux les écoliers qui ont mémorisé un poème de Maurice Carême ou de Pierre Coran, sans savoir sans doute qu’il s’agit de poètes de chez nous. Pourtant, dans les programmes et manuels destinés à l’enseignement secondaire, les écrivains belges ont toujours occupé une place discrète.
À partir du début du 20e siècle, des auteurs belges, absents des programmes, occupent pourtant une place croissante dans les manuels. C’est qu’il s’agit de construire le sentiment national dans un pays encore jeune.
Mais c’est surtout après la Première Guerre mondiale que des auteurs belges entrent en classe, engouement patriotique oblige. Ainsi, jusqu’aux années ‘60, les programmes de l’enseignement officiel et de l’enseignement catholique recommandent de leur accorder une place explicite. Un bémol tout de même : ces auteurs sont toujours placés à un échelon plus bas que les écrivains français.
La décrue
La mise en place progressive de l’enseignement rénové, fin des années ꞌ60, change la donne. Le professeur Jean-Louis Dufays l’a observé : la littérature belge se fait confidentielle, voire inexistante dans les programmes du réseau libre dès les années ꞌ60, puis dans les années ꞌ70 dans tous les réseaux.
« Désormais, ce ne sont plus les auteurs ni les œuvres qui comptent, mais les démarches employées pour les lire » (1). Françoise Chatelain, qui a consacré sa thèse à l’enseignement de la littérature française en Belgique francophone, le note : « Les nouveaux programmes sont fondés principalement sur une approche structuraliste de la littérature et ont fait le choix d’un effacement de la chronologie et de l’histoire littéraire. Rien n’empêche bien évidemment d’appliquer les théories et méthodes modernes à des textes d’auteurs belges, toutefois, ce n’est qu’exceptionnellement qu’ils seront étudiés en tant que tels » (2).
La littérature belge connait pourtant un regain d’intérêt dans les programmes du réseau officiel au cours des années ‘80. Le terrain est favorable : création de la Communauté française, de la collection Espace Nord (1982)…
À la charnière du siècle, le référentiel Compétences terminales et savoirs requis en français Humanités générales et technologiques » réserve une place à part entière aux auteurs belges. Néanmoins, si le programme de la Communauté française impose la lecture d’un roman belge en 5e secondaire, celui de l’enseignement libre ne formule aucune instruction dans ce sens.
Et dans les nouveaux référentiels ?
Vers où va-t-on à l’heure de la création de nouveaux référentiels ? Les programmes de Wallonie-Bruxelles Enseignement et du Cpeons pour les 2e et 3e degrés technique et artistique de qualification, professionnel et pour la 7e professionnelle, demandent d’aborder des œuvres d’auteurs belges. Applicables en 1re année de chaque degré dès la rentrée 2016-2017, ils mentionnent des ressources comme le Prix des lycéens et la collection Espace Nord.
En 2013, les ministres de l’Enseignement et de la Culture ont réuni des membres de la Commission des lettres, du Service général de l’Inspection, et des représentants des réseaux. Cela a abouti à des recommandations à tous les enseignants. « Enseignez la littérature en tenant compte de l’ancrage historique, géographique, social et fonctionnel. Construisez les savoirs de référence (en tant que ressources pour l’exercice des compétences) en considérant la position spécifique des élèves citoyens belges francophones » (3).
Le message a-t-il été bien reçu par le groupe de travail chargé de rédiger le référentiel de compétences terminales et de savoirs prérequis en section de transition des humanités générales et technologiques ? « Nous nous accordons sur l’invitation à utiliser la littérature belge en classe, sans citer d’auteurs ou d’œuvres particuliers », explique M. Dufays, membre du groupe.
Pour ce spécialiste, l’enseignement de la littérature belge dresse face à face deux conceptions incompatibles de la didactique de la littérature : « D’un côté les tenants de l’universalisme et de l’ouverture culturelle soutiennent que ce qui compte d’abord, c’est d’initier l’élève à un certain nombre d’attitudes intellectuelles, au maniement de certains concepts, à la lecture d’une diversité de textes et de cultures sans accorder de privilège à un type de production en particulier. »
« De l’autre côté, les défenseurs de la différence culturelle soulignent les avantages didactiques d’une approche spécifique des littératures locales : la prise en compte du domaine littéraire le plus présent dans la société où vivent les élèves permettrait tout à la fois d’aborder la littérature sous l’angle sociologique et de se colleter avec les référents culturels familiers ».
(1) DUFAYS J-L, « La littérature belge de langue française dans les programmes et les manuels scolaires du XXe s.: enquête sur une présence-absence », dans Textyles, n°15, L’Institution littéraire, 1999 http://textyles.revues.org/1119
(2) CHATELAIN F., « La littérature francophone belge, un objet d’enseignement ? », dans Le Carnet et les Instants, n°188, octobre-décembre 2015, http://bit.ly/21ZUEU1
(3) http://bit.ly/23JTr2x
Et ailleurs en Francophonie ?
En France
En secondaire, les professeurs de français sont libres de sélectionner textes et œuvres. Cependant, deux œuvres littéraires françaises sont imposées pour la terminale. http://bit.ly/1WuZ9Gi
En Suisse romande
En Suisse, l’enseignement est une compétence des cantons. Dans les cantons francophones, pas d’obligation en matière de littérature, mais des propositions, comme en maturité professionnelle, d’œuvres majoritairement françaises. http://bit.ly/1rJR6sy
Au Québec
Sur vingt-cinq livres, l’élève doit en lire treize québécois en secondaire (cinq au 1er cycle, huit au 2e). Le reste est consacré à la francophonie et au patrimoine mondial. http://bit.ly/2gTO7hf
Au Luxembourg
D’après Jean-Claude Frisch, président de l’Association des Professeurs de français du Luxembourg, une liste d’œuvres est proposée aux professeurs du secondaire, sans obligation. Elle comporte surtout des auteurs français et quelques luxembourgeois, rarement repris par les professeurs préférant des titres plus connus.
Au Sénégal
Selon Abdoulaye Ibnou SECK, secrétaire chargé des TIC de l'Association sénégalaise des Professeurs de français, les professeurs reçoivent une liste de livres obligatoires, avec des œuvres sénégalaises, négro-africaines et d’autres, majoritairement françaises.
En République démocratique du Congo
Les professeurs de français sont invités à privilégier la littérature française, négro-africaine francophone, mondiale et belge, avec une liste imposée d’ouvrages au secondaire supérieur. http://bit.ly/1TC42XU
Au Maroc
Malika Bounagui, présidente de l’Association marocaine des Enseignants de français, confirme l’existence d’une liste imposée aux écoles d’œuvres françaises et marocaines de langue française. Elle s’accompagne d’extraits dans les manuels. Certaines écoles privées proposent d’autres œuvres.
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