Magazine PROF n°2
Un autre tempo pour remettre les jeunes à l’heure
Article publié le 01 / 06 / 2009.
Chaque jeudi après-midi, le Collège Pie X à Châtelineau rebat les cartes. Place à des ateliers de remédiation ou de dépassement de soi. Objectif : favoriser la réussite et le bien-être à l’école.
14h30. Une dizaine de jeunes figurent, par des postures et expressions variées, le temps dépassé. « Maintenant, vous allez représenter le temps que vous attendez », lance Eric Leloir, professeur de sciences sociales. Et chaque élève d’improviser une attitude différente, une mimique adaptée, le groupe improvisant un autre arrêt sur image.
Chaque semaine, c’est le même scénario: les 540 élèves de cet établissement d’enseignement général et technique (électromécanique et techniques sociales) se répartissent dans un ensemble d’ateliers encadrés par quelque soixante enseignants. Pour les uns, il s’agit de séances de remédiation ; pour d’autres, de tutorat (suivi individuel ou d’une demi-classe). D’autres encore gagnent des ateliers de dépassement ou de développement personnel, allant de la création d’un centre multimédia à des matchs de rugby, en passant par des conférences, des modules de prise de notes, des ateliers d’écriture, du chant, du secourisme…
Au premier degré, ces ateliers sont particulièrement orientés vers la réussite des élèves ; le bien-être, l’accrochage scolaire, sont les objectifs poursuivis au deuxième degré ; tandis qu’au troisième on vise plutôt l’ouverture citoyenne et culturelle. Dans la section électromécanique, ces ateliers sont centrés davantage sur les spécificités de l’option et sur la remédiation. Et avant les examens, les ateliers cèdent la place à la préparation des sessions.
Pour lancer ce projet à l’échelle de l’école, la durée des périodes de cours a été réduite à 45 minutes. Avec l’objectif corollaire d’organiser des séquences de 90 minutes pour varier les formes d’apprentissage. « Le projet a démarré en septembre 2005, construit par l’équipe pédagogique autour de l’ancien directeur, Paul Timmermans. Il s‘est inspiré de l’expérience menée au collège et lycée expérimental d’Hérouville-Saint- Clair, à Caen, en France. En septembre dernier, la Communauté française nous a accordé un nouveau feu vert pour les trois années à venir », explique Laurent Divers, au gouvernail de cette école en D+ qui accueille un public scolaire socialement mélangé et multiculturel. Les objectifs : assurer la réussite d’un plus grand nombre d’élèves, accroitre l’autonomie des jeunes et de développer le professionnalisme des enseignants.
« Un moment où on prend des risques »
Les résultats? « Globalement bénéfiques, expliquent Catherine Canivet et Jean Donnay, chercheurs au département d’éducation et de technologie des facultés universitaires de Namur, qui ont observé et accompagné l’expérience pilote. Une enquête l’a montré : les ateliers ont soudé les enseignants autour du projet et leur ont offert de nouveaux rôles (animateurs, coachs,…). Ils ont poussé certains à innover dans la matière enseignée, ont modifié les relations avec les élèves. Ceux-ci y trouvent la reconnaissance de compétences pas toujours valorisées par l’école ». « C’est un moment où on prend des risques, où on propose des choses pour lesquelles on est moins experts, où on peut construire avec les élèves plutôt que pour eux », explique un enseignant. D’autres professeurs ont proposé que les ateliers débouchent sur des réalisations concrètes pour accroitre, notamment au troisième degré, la participation et la motivation des élèves.
En constante évolution, le projet a pris des formes adaptées. Les élèves de l’option techniques sociales planchent sur un projet collectif, sorte de « chef-d’oeuvre ». Et, pour les plus âgés, contrairement à l’an dernier où les ateliers s’étalaient sur l’année entière, les coordinateurs du projet ont prévu depuis septembre des cycles plus courts permettant aux enseignants de souffler un peu.
Davantage de réussite au premier degré
« Soyons clair : le succès de ces Nouveaux rythmes scolaires dépend de la motivation des enseignants, de leur envie de nouer une relation différente, de partager un jardin secret. Certains – minoritaires – voient ces ateliers comme un prolongement de leurs cours ou une contrainte, assure Laurent Divers, le directeur. C’est au premier degré que ces ateliers sont les plus performants, vu la réceptivité des plus jeunes. Le nombre d’élèves en réussite scolaire y a fortement augmenté. Chez les plus grands, les effets sont évidemment moins quantifiables. Le gros avantage, c’est que l’initiative met toute l’équipe pédagogique autour d’une réflexion et d’une action communes. Et que pour les élèves, tel enseignant n’est pas seulement le ‘tueur en math’ mais aussi celui qui aime le VTT ».
Au dehors, une grosse trentaine de jeunes de la troisième à la sixième, s’activent autour d’un ballon ovale. « Cet atelier rugby et les valeurs véhiculées par ce sport (persévérance, esprit d’équipe,…) réunissent 10 % des élèves, toutes sections confondues, détaille Mathieu Codemo, le professeur de math. Ici, je peux parler plus franchement avec les élèves. Un des plus motivés, aujourd’hui: un jeune qui, l’an dernier, ne pouvait plus mettre les pieds à l’école, ayant épuisé son stock de jours d’absence... »
Catherine MOREAU
Les racines du changement
Une recherche a déterminé les ingrédients nécessaires pour appliquer à d’autres écoles la recette de ces « Nouveaux rythmes scolaires ».
« Pour mettre en oeuvre tout changement, une école doit prendre en compte son histoire et son contexte singuliers, explique Catherine Canivet. Toute école fonctionnant comme un système, toucher à un de ses composants a des conséquences sur l’ensemble. Changer les horaires touche au rythme de vie de chacun, à sa nature et sa charge de travail ». Pour la chercheuse des Facultés namuroises, il faut un terreau favorable pour planter l’innovation : une école ouverte au changement, avec une direction ayant développé des pratiques de coopération, de participation et une communication interne efficace. Ces ingrédients, elle les a observés au Collège Pie X, mais elle y a perçu aussi, au fil des contacts, des zones de fragilité.
Ainsi, par exemple, le projet a été construit, négocié par la majorité d’une équipe éducative qui a le sentiment d’appartenir à une école « cool » et de bon niveau. Mais certains sont moins motivés, trop bousculés par la complexité de l’organisation, fatigués ou déçus par le nombre d’échecs qui demeurent, malgré tous les efforts consentis. Pas toujours facile d’établir le lien entre les actions mises en oeuvre et les objectifs poursuivis, notamment le rôle des ateliers, du changement de pratiques pédagogiques dans la réussite scolaire. « Cela peut expliquer pourquoi certains enseignants s’orientent vers des ateliers de type matière ou remédiation, explique la chercheuse. Et pourquoi les changements n’ont pas modifié de manière claire les pratiques pédagogiques dans les cours ordinaires. Les enseignants se sentent trop sollicités, amenés à agir, faire, organiser, etc., pour prendre le temps de réfléchir et d’analyser ce qui se passe ». Bref, ces « Nouveaux rythmes scolaires » constituent un projet vivant à renourrir sans cesse. Heureusement...
C. M.
Pour en savoir plus
- GATHER THURLER M., Innover au coeur de l’établissement scolaire, ESF Éditions, Paris, 2000.
- REY F., SIROTA A., Des clés pour réussir au collège et au lycée. Témoignage et réflexions sur le collège et lycée expérimental d’Hérouville-Saint-Clair, éd. Eres, 2007.
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