Magazine PROF n°31
Coté psy
Latéralité manuelle : une étape-clé
Article publié le 01 / 09 / 2016.
Qu’est-ce qui détermine chez un enfant l’utilisation de la main droite ou de la gauche ? Et quelles difficultés scolaires une latéralité mal affirmée peut-elle entrainer ?
Dans la vie utérine et au cours de ses premières années, un enfant utilise plus volontiers une de ses mains. Mais selon la pléiade de chercheurs qui ont étudié la question, c’est entre 3 et 7 ans qu’a lieu le choix définitif.
La latéralité, c’est-à-dire la préférence, au niveau de la force et de la précision, pour l’utilisation d’une des parties symétriques du corps, concerne aussi l’œil, l’oreille et la jambe. À noter que la main « ferme la marche », car la dominance pédestre est déjà visible quand l'enfant, entre 1 et 2 ans, commence à monter les escaliers. La dominance oculaire, elle, est fixée vers 2 ans et demi. La maitrise des termes « gauche » et « droite » viendra plus tard, vers 6 ans.
Selon la psychologue Jacqueline Fagard (1), les enfants utilisent plus systématiquement leur main préférée au fur et à mesure qu’ils progressent dans la maitrise d’un nouvel apprentissage. Plus la tâche exige de l’habileté et implique des séquences de gestes, plus l'activité est difficile ou précise, plus la main préférée assure un rôle actif. C’est notamment le cas lors de l’apprentissage de l’écriture. L’autre main - qui peut être la plus performante dans d’autres tâches - assure alors un rôle de support ou d’orientation.
Cette latéralité manuelle est une notion complexe, car il existe de nombreuses variantes à l’utilisation exclusive d’une des deux mains. Alors comment l’explique-t-on ? De nombreux modèles explicatifs ont été proposés, sans faire l’unanimité. La latéralisation, c’est-à-dire le processus qui mène vers la latéralité, serait la concordance de facteurs génétiques, prénataux, neurologiques et sociaux.
Ainsi, il existe des familles de droitiers ou de gauchers, et certains chercheurs évoquent même des gènes dominants. En outre, comme l’explique Mme Fagard, « des études cliniques et expérimentales puis des méthodes d’imagerie cérébrale ont montré l’asymétrie hémisphérique du cerveau. Chaque hémisphère prend en charge des évènements moteurs et sensoriels ayant lieu dans la moitié opposée du corps et de l’espace ».
Autrement dit, même si les deux hémisphères cérébraux échangent les informations et travaillent de façon équivalente, les voies nerveuses qui contrôlent les mouvements des membres sont croisées : c'est l'hémisphère gauche du cerveau qui commande la main droite et vice-versa. Cela n’empêche pas qu’une majorité de gauchers aient le centre du langage et de la pensée logique et abstraite situé, comme les droitiers, dans l’hémisphère gauche. La lésion d’un des hémisphères avant ou au moment de la naissance peut amener un enfant à utiliser de façon dominante le côté commandé par l’hémisphère intact.
À cela s’ajoutent des facteurs externes : en utilisant la main droite, l’enfant peut imiter ses parents ou son entourage, s’y opposer ou s’adapter à un environnement construit par et pour des droitiers.
En tout cas, la latéralité est une étape-clé ! Dès le départ, les expériences vécues aident l’enfant à connaitre son schéma corporel. En prenant conscience de son asymétrie corporelle, il apprend à se structurer dans l’espace : en percevant l'axe de son corps, il perçoit aussi son environnement par rapport à cet axe. Il va ainsi notamment pouvoir reconnaitre et mémoriser l’orientation gauche-droite lors des apprentissages de la lecture et de l’écriture des lettres et des nombres.
Catherine MOREAU
(1) FAGARD J., Le développement des habiletés de l’enfant, Coordination manuelle et latéralité, Paris, CNRS Éditions, 2001.
Adroit de la main gauche, gauche de la main droite
Des problèmes liés à la latéralité peuvent être à l’origine de difficultés scolaires. Dans le cas, par exemple, où la latéralité neurologique a été contrariée. « Un enfant peut écrire l’une ou l’autre lettre (b et d, u et n…) ou chiffre en miroir parce que, tout en écrivant de la main non préférentielle, il utilise un programme moteur correspondant à sa main dominante. Cela inverse spatialement la direction du geste graphique » expliquent Bruno De Lièvre, docteur en sciences de l’éducation, et la psychomotricienne Lucie Staes, dans un livre qui propose un grand nombre d’exercices utiles pour les enseignants et les psychomotriciens (1). Et de suggérer notamment que pour éviter que l’élève imite l’enseignant écrivant face à lui, l’adulte se place à côté de l’enfant.
D’autres élèves, ne percevant pas clairement leur main dominante, écrivent tantôt d’une main, tantôt de l’autre, ce qui peut amener des difficultés pour les apprentissages spatiaux, en particulier pour différencier la gauche de la droite. Un grand nombre de tests neurologiques, de force, d’évaluation de la latéralité gestuelle et fonctionnelle peuvent aider à « affirmer » la latéralité.
La même difficulté à distinguer gauche et droite est sensible chez des élèves qui possèdent une dominance croisée entre l’œil et la main. « Un gaucher de l’œil balaie le champ visuel de droite à gauche tandis que sa main va écrire de gauche à droite », expliquent les deux auteurs.
Une source de difficultés peut être un retard de maturation dans la spécialisation de l’hémisphère droit du cerveau (qui règle notamment la perception visuo-spatiale) ou du gauche (celle du langage). Cela peut expliquer la difficulté de certains dyslexiques à percevoir et à mémoriser des situations et des orientations spatiales. Et, par manque de mémoire séquentielle, une des fonctions de l’hémisphère gauche, certains dysorthographiques n’arrivent pas à se souvenir de la position de chaque lettre (ou syllabe) dans un mot.
Enfin, il faut rappeler que des gauchers bien latéralisés n'ont pas davantage de problèmes scolaires que les droitiers. « Seule l'écriture peut poser problème en raison du mouvement de rapprochement du bras vers le tronc et de la position du poignet en trop grande flexion, qui peut provoquer des crampes. Il vaut donc mieux habituer très tôt les gauchers à incliner leur feuille vers le bas à droite pour qu’ils écrivent plus ou moins de haut en bas tout en maintenant la main dans le prolongement de l’avant-bras ».
Bien plus que la latéralité, c’est donc le degré de latéralité qui semble le plus important. Des enfants non latéralisés ont de moins bons résultats aux épreuves motrices que les gauchers et les droitiers qui ont obtenu des résultats comparables
C. M.
(1) DE LIÈVRE B. et STAES L., La psychomotricité au service de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2012, coll. Outils pour enseigner.
Pour en savoir plus
• FAGARD J., Le développement des habiletés de l’enfant : coordination bimanuelle et latéralité, Paris, CNRS, 2001.
• FRANCOTTE M., Éduquer par le mouvement, Bruxelles, De Boeck, 1999.
• HINDRYCKX G., LENOIR A.-S., NYSSEN M.C., La production écrite en questions. Pistes de réflexion et d’action pour le cycle 5-8, Bruxelles, De Boeck, 2006, coll. Outils pour enseigner.
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