Magazine PROF n°33
Droit de regard
Éric De Staercke : « Embrasser la créativité,
ce n'est pas une perte de temps ! »
Article publié le 01 / 03 / 2017.
Comédien, metteur en scène, professeur et directeur de théâtre, Éric De Staercke applaudit l’idée contenue dans le Pacte pour un Enseignement d’Excellence de mettre chaque élève en contact avec des artistes.
Les travaux liés au Pacte pour un Enseignement d’excellence envisagent pour chaque élève, de la maternelle à la fin du secondaire, un « parcours d’éducation culturelle et artistique », avec, notamment, des rencontres avec des artistes (1).
PROF : Que pensez-vous de cette proposition ?
Éric De Staercke : Faire venir des artistes en classe - comédiens, musiciens, plasticiens… - cela a toujours existé et c’est très utile car cela abat les barrières, cela déchire le voile de mystère entre les enfants ou adolescents et les artistes (2). Mais ce qui me semble intéressant dans ce projet du Pacte pour un Enseignement d’excellence, c’est que cela concerne tous les élèves au lieu de dépendre de l’initiative d’un enseignant ou du directeur. J’espère que l’on y consacrera suffisamment de moyens financiers.
J’espère aussi que les moyens humains seront suffisants. Je l’observe : dans le fondamental, les enseignants emmènent volontiers les élèves au théâtre. Dans le secondaire, cela se complique un peu : le spectacle doit illustrer un thème abordé en classe, s’intégrer dans le programme...
J’observe aussi que les acteurs culturels ne peuvent répondre à toutes les demandes et que l’offre de spectacles est inégalement répartie. Certaines régions plus défavorisées, en Wallonie ou à Bruxelles, ont des centres culturels bien organisés, proposant aux classes un programme varié. Par contre, dans certaines communes bruxelloises plus aisées, on considère que les enfants vont au théâtre avec leurs parents, ce qui n’est pas si sûr.
Selon vous, que peut apporter la pratique du théâtre aux enfants et ados ?
Globalement, il y a évidemment l’apprentissage de la prise de parole, de l’écoute, le travail de la mémoire, le fait d’endosser un personnage. La possibilité, si l’on n’est pas bon dans certaines matières scolaires, de montrer qu’on peut l’être dans un autre domaine qui motive davantage. Et gagner ainsi assurance, confiance en soi, se faire une place dans la classe.
Avec les moins de 12 ans, on peut construire une histoire, développer l’imaginaire, travailler sur l’écoute, le rythme…
Chez les ados, l’impro a beaucoup de succès. Mais cela ne s’improvise pas. L’impro peut être un formidable moyen d’épanouissement de la personne dans un groupe d’élèves. Une classe, c’est une troupe à laquelle on donne des codes communs. Mais à l’âge de l’émergence de la personnalité, l’impro peut être un outil dangereux quand un jeune se livre tel qu’il est et n’est pas compris par les autres.
Une piste intéressante, ce sont les « joutes verbales » proposées aux jeunes de 5e et 6e secondaire, à Bruxelles, par la Ligue des Droits de l’Homme (3). Pendant trois jours, accompagnés de leurs enseignants, ils sont formés, informés et entrainés, à l'Espace-Magh et au Centre culturel des Riches-Claires, pour pouvoir réfléchir et débattre autour de différents thèmes liés à la vie en société. Ils apprennent ainsi à développer leurs arguments, à débattre de manière constructive avec un contradicteur, à comprendre l’autre et à le laisser s’exprimer. Cela se termine par une rencontre de joutes verbales au Centre culturel où plusieurs équipes de jeunes se confrontent devant un jury et face à un public.
Il y a quelques années, vous avez monté Émilie Jolie avec des élèves malvoyants de l’Institut royal pour sourds et aveugles…
Une expérience qui m’a beaucoup appris! Ces élèves (NDLR : ils avaient 11 à 18 ans) sont très disponibles pour les activités artistiques, car pour eux la question de la différence s’est posée très tôt. L’art leur offre une porte d’accès vers le monde réel. Jouer dans cette comédie musicale peut leur permettre d’obtenir la reconnaissance du public, et par là, celle de leurs proches.
Pensez-vous que le théâtre peut inciter les jeunes à réfléchir à des questions existentielles ou plus délicates ?
Bien sûr, mais pour surmonter les réticences, il ne faut pas les confronter directement à ces questions ; il faut prévoir des échelons. Lors d’animations, je propose des exercices basiques en cercle. Cela leur permet de retrouver des réflexes d’enfant, de sortir du paraitre et de l’esprit de compétition. La représentation viendra après.
Vous êtes aussi enseignant, formateur de futurs comédiens. Lorsqu’ils débutent, vos étudiants vous semblent-ils suffisamment « outillés » sur le plan du langage, de la connaissance du théâtre ?
Cela dépend vraiment des écoles et du parcours des étudiants. Certains ont suivi une formation théâtrale mais sont un peu « formatés » et doivent désapprendre certains automatismes. Je dirais que chacun a des forces sur lesquelles il peut s’appuyer et des lacunes à combler.
Ce qui compte, c’est davantage la personnalité, la motivation, la volonté. Mis à part le CESS ou un document équivalent, s’inscrire en Bac en interprétation dramatique à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion) ne demande pas de prérequis et la profession de comédien n’est pas protégée par un diplôme spécifique. Je constate aussi - malheureusement - chez mes étudiants une régression sur le plan physique : moins de résistance, de souplesse, de souffle… Des compétences qui comptent pour un comédien.
Quelles compétences voulez-vous développer chez eux ?
Être professeur, c’est aussi jouer un rôle. J’interpelle les étudiants sur leurs motivations, leurs envies. Je leur dis : vous ne serez peut-être pas comédiens, vous ne gagnerez peut-être pas bien votre vie, mais allez au bout de vos rêves. Bravo de prendre le risque d’embrasser la créativité, l’imaginaire ; ce n’est pas une perte de temps. Dans une société où tout est bloqué, vous aurez assez d’imagination pour créer quelque chose de neuf. Je leur propose de développer leur personnalité, leur originalité, leur envie d’aller au bout de leur personnage indépendamment de leur état émotionnel, de leur type physique... Tout le monde peut être Roméo ou Juliette.
Vous êtes également directeur de théâtre. Comment amener des élèves à s’intéresser au théâtre ?
Comme bien d’autres acteurs culturels, avant nos spectacles, nous proposons des visites d’artistes en classe, des dossiers pédagogiques pour les enseignants. Mais cela ne remplacera jamais l’élément moteur : la passion qu’un enseignant peut ou veut transmettre à ses élèves pour le théâtre, pour un théâtre ou pour un spectacle. Les enseignants motivés et qui ont motivé leurs élèves, ce sont d’ailleurs les seuls dont on se souvient vraiment.
Propos recueillis par
Caroline DIRICKX et Catherine MOREAU
(1) Avis n° 3 relatif au Pacte pour un Enseignement d’excellence, pp. 101-109. http://www.pactedexcellence.be/index.php/documents-officiels/
(2) Les écoles peuvent mener, durant le 2e semestre 2017-2018, un projet à caractère culturel et artistique en partenariat avec un opérateur culturel ou une académie. Inscriptions avant le 1er octobre 2017. http://bit.ly/2kZkYgQ
(3) Cette rencontre s’est déroulée en mars. La finale aura lieu le 28 juin à 19h à l'Espace Magh (17, rue du Poinçon, à Bruxelles). Infos : oboutry@liguedh.be
En deux mots
Formé en théâtre et en mise en scène, Éric De Staercke a fondé en 1985 le Théâtre loyal du Trac, avec d’autres comédiens, et a fait partie de la Ligue d’improvisation belge.
Tout en poursuivant sa carrière de comédien, il assure la mise en scène de nombreux spectacles et dirige le Théâtre des Riches-Claires, à Bruxelles. Il a également participé à des émissions de télévision et de radio.
Il a été professeur à l’École supérieure des Arts du cirque de Bruxelles et depuis 1993 enseigne l’improvisation et l’interprétation à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), à Louvain-la-Neuve.
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