Magazine PROF n°4
L'info
Pédagogie et « petit coin »
Article publié le 01 / 12 / 2009.
La place accordée au corps à l’école influence-t-elle le bien-être des élèves aux toilettes ? Sophie Liebman en a fait son mémoire en Sciences de l’éducation !
Les lieux d’aisance scolaires. Sujet terre à terre, certes, mais n’éveille-t-il pas des souvenirs marquants, parfois humiliants ? Après un aperçu historique de l’éducation et de la place du corps en Occident, Sophie Liebman, s’attarde sur deux figures : Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant, qui ont inspiré les pédagogies « active » et « traditionnelle ». Enseignante et fraîchement diplômée en Sciences de l’éducation, elle y a consacré son mémoire(1).
Pour Rousseau, l’enfant, naturellement libre et heureux, est peu à peu corrompu par la civilisation et la culture. Il prône dès lors une éducation naturelle préférant l’agir et le faire au penser. Pour Kant, l’école assure la formation de l’esprit, par l’exercice et la discipline, et celle du caractère, en formant des êtres obéissants et sociables.
Sophie Liebman observe que notre société exalte et glorifie le corps en imposant un modèle de jeunesse, de santé, de séduction, mais qu’elle gomme souvent ses fonctions fondamentales et ses pulsions. L’école n’y échappe pas. Les élèves y sont rarement appelés à utiliser leur corps pour accéder aux savoirs. Si une place lui est réservée au cours de gymnastique, c’est surtout sous la forme d’une recherche de maitrise, de contrôle et de performances. S’agissant des toilettes, Sophie Liebman souligne que les besoins naturels n’ont pas toujours suscité honte et pudeur : jusqu’au 17e siècle, le roi de France ne recevait-il pas ses sujets sur sa chaise percée ? La construction des sanitaires dans les écoles est un héritage du 19e siècle et d’une époque où ils ont été conçus pour que les élèves y séjournent un minimum de temps. Le manque d’intimité, la saleté, la vétusté de certains de ces « lieux d’aisance » peuvent avoir des conséquences sur la santé des enfants : incontinence, infections urinaires,…
Aller aux toilettes « pour changer d’air »
L’enseignante avance alors une hypothèse audacieuse. Là où s’appliquent des pédagogies favorisant l’expérience, les manipulations physiques avant le passage à l’abstrait, on trouverait des représentations et des pratiques vis-à-vis des toilettes reflétant un meilleur respect du corps. Pour la vérifier, un film a été réalisé, montrant une classe au travail où l’institutrice donne ou refuse à un élève l’autorisation de se rendre aux toilettes. Des entretiens filmés ont été menés ensuite par une animatrice avec une cinquantaine de garçons et filles de 4e primaire de deux écoles communales bruxelloises. L’une pratique des méthodes dites actives, l’autre une pédagogie traditionnelle. Après avoir vu le film, animatrice et élèves ont abordé l’accessibilité et la localisation des toilettes, leur vétusté, leur propreté, l’intimité qui y règne, leur adaptation aux âges, la séparation entre filles et garçons…
Si les résultats (sur un échantillon par ailleurs très restreint) n’ont pas confirmé l’hypothèse, ils ont tout de même permis de relever des différences notables dans les propos des élèves. Ainsi, ceux de l’école traditionnelle disent se rendre régulièrement aux toilettes, mais pas toujours pour satisfaire leurs besoins naturels ! Ils les considèrent comme un moyen de se dégourdir les jambes, de changer d’air. Le regard qu’ils posent sur ces lieux est globalement positif et non critique. Par contre, les élèves vivant des pratiques scolaires moins contraignantes envisagent les toilettes principalement pour leur fonction première… et les décrient unanimement. Au point de les déserter.
Catherine MOREAU
(1) LIEBMAN S., Analyse sociopédagogique de la place du corps à l’école primaire : le cas particulier des toilettes, Bruxelles, ULB, année académique 2008-2009, mémoire.
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