Magazine PROF n°38
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L’enseignement explicite, un modèle efficace issu des salles de classe
Article publié le 06 / 06 / 2018.
Cette rubrique invite un ou des experts à faire part d’un message jugé important, dans le contexte actuel. Marie Bocquillon et Antoine Derobertmasure s’intéressent ici à l’enseignement explicite.
Ce texte a pour objectif de présenter brièvement l’enseignement explicite, une approche pédagogique à laquelle nous formons les futurs enseignants inscrits à l’Agrégation de l’enseignement secondaire supérieur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation et à la Faculté Warocqué d’Économie et de Gestion de l’Université de Mons.
Selon de nombreuses recherches résumées à la suite, cette approche pédagogique est efficace, c’est-à-dire qu’elle permet au plus grand nombre d’élèves de réussir, indépendamment de leurs caractéristiques initiales (Bloom, 1979, cité par Demeuse, Crahay et Monseur, 2005). Qui plus est, elle convient aussi bien pour l’enseignement primaire que pour l’enseignement secondaire.
1. Qu’est-ce que l’enseignement explicite ?
Le terme « explicite » renvoie aux comportements visibles de l’enseignant et des élèves. Hattie (2009) utilise les termes « enseignement visible » et « apprentissage visible » pour mettre en évidence le fait que l’enseignement doit être visible et explicite pour les élèves et que l’apprentissage des élèves doit aussi être rendu visible pour l’enseignant notamment via la vérification de la compréhension des élèves.
La démarche de l’enseignement explicite consiste, pour l’enseignant, à rendre l’ensemble des dimensions de son enseignement explicites (les démarches, le curriculum, les étapes, les objectifs…), l’implicite pouvant être néfaste aux apprentissages (Gauthier, Bissonnette & Richard, 2013).
L’enseignement explicite comporte trois phases: la préparation, l’interaction avec les élèves et la consolidation (Gauthier, Bissonnette & Richard, 2013).
La phase de préparation consiste pour l’enseignant à mobiliser plusieurs stratégies, telles que préciser les objectifs d’apprentissage, identifier les idées maitresses du curriculum, déterminer les connaissances préalables nécessaires au nouvel apprentissage, planifier les dispositifs de soutien, vérifier l’alignement curriculaire, c’est-à-dire la « cohérence totale devant exister entre le curriculum prescrit, l’enseignement offert et l’évaluation des apprentissages réalisés » (Gauthier, Bissonnette & Richard, 2013, p. 297), etc.
Lors de la phase d’interaction avec les élèves, l’enseignant met en œuvre une série de stratégies dont la démarche d’enseignement explicite en trois étapes :
► le modelage, durant lequel l’enseignant démontre les apprentissages à réaliser en présentant les informations en petites unités allant en général du simple au complexe, en utilisant des exemples et des contre-exemples et en « pensant à voix haute » ;
► la pratique guidée, durant laquelle les élèves pratiquent en petits groupes et avec l’enseignant qui démontre étape par étape, vérifie la compréhension notamment via des questions posées à tous les élèves, formule des feedbacks et fournit de l’étayage jusqu’à l’obtention d’un taux de succès élevé ;
► la pratique autonome, au cours de laquelle les élèves pratiquent individuellement jusqu’au surapprentissage sous la supervision active de l’enseignant et dans différents contextes afin d’assurer le transfert des compétences acquises.
Enfin, la phase de consolidation consiste notamment à mettre en place des révisions quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles afin de maintenir la mémorisation.
2. Comment l’enseignement explicite a-t-il été élaboré ?
Le modèle de l’enseignement explicite a été élaboré par Rosenshine et Stevens (1986) à partir de recherches sur l’enseignement efficace. Ces recherches ont été menées en deux temps.
Dans un premier temps, des chercheurs (ex. : Rosenshine & Stevens, 1986) ont réalisé de nombreuses observations dans des salles de classe afin de mettre en évidence les pratiques d’enseignement les plus et les moins efficaces. Pour ce faire, ils ont vérifié quelles pratiques produisaient les meilleurs effets sur l’apprentissage des élèves – via des tests que les élèves ont passé avant et après l’observation de l’enseignant (Rosenshine, 2008).
Dans un second temps, certaines de ces recherches observationnelles ont été complétées par des recherches expérimentales (ex. : Rosenshine & Stevens, 1986) comparant des enseignants entrainés aux pratiques efficaces (mises en évidence lors des études observationnelles) et des enseignants non entrainés (Rosenshine, 2008). Les résultats de ces recherches ont mis en évidence que les élèves des enseignants entrainés aux pratiques efficaces avaient obtenu de meilleurs résultats.
Par ailleurs, il est important de souligner que les études sur l’enseignement efficace ont été synthétisées dans des synthèses de recherches appelées méta-analyses et méga-analyses (ex. : Swanson & Hoskyn, 1998). Ces synthèses de recherche ont mis en évidence l’efficacité de l’enseignement explicite.
3. L’enseignement explicite est-il un retour à l’enseignement magistral ?
L’enseignement explicite est souvent assimilé à l’enseignement magistral alors qu’il en est très différent. Gauthier, Bissonnette et Richard (2013) mettent notamment en évidence quatre différences majeures entre l’enseignement explicite et l’enseignement magistral.
Premièrement, l’enseignement magistral prend la forme d’un monologue de la part de l’enseignant alors que l’enseignement explicite prend la forme d’un dialogue constant entre l’enseignant et les élèves notamment sous la forme de questions-réponses.
Deuxièmement, dans l’enseignement magistral, la vérification de la compréhension des élèves a lieu à la fin de la leçon, tandis que dans l’enseignement explicite, cette vérification se fait toutes les deux à trois minutes.
Troisièmement, lorsqu’ils suivent un enseignement magistral, les élèves sont passifs, ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils suivent un enseignement explicite qui, au contraire, les sollicite constamment pour des réponses verbales, écrites, gestuelles…
Enfin, dans l’enseignement magistral, l’enseignant passe de la théorie aux exercices sans passer par une étape de pratique guidée. Dans l’enseignement explicite, les exercices sont importants (pour permettre la rétention en mémoire à long terme et l’automatisation) mais sont précédés des étapes de modelage et de pratique guidée.
Marie Bocquillon
et Antoine Derobertmasure
Bibliographie
• DEMEUSE M., CRAHAY M., MONSEUR C. (2005). « Efficacité et équité dans les systèmes éducatifs. Les deux faces d’une même pièce ? », dans DEMEUSE M., BAYE A., STRAETEN M.-H., NICAISE J., MATOUL A. (Ed.), Vers une école juste et efficace. 26 contributions sur les systèmes d’enseignement et de formation (pp. 391-410). Bruxelles, De Boeck.
• GAUTHIER C., BISSONNETTE S., & RICHARD M. (2013), Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages, Bruxelles, De Boeck.
• HATTIE J. (2009), Visible Learning : A Synthesis of Over 800 Meta-Analyses Relating to Achievement, New York, Routledge.
• ROSENSHINE B. (2008), « Systematic Instruction », dans GOOD T. L. (dir.), 21st Century Education : A Reference Handbook (pp. 235-243), California, SAGE Publications.
• ROSENSHINE B. & STEVENS R. (1986), « Teaching Functions », dans WITTROCK M. C. (Ed.), Third Handbook of Research on Teaching (pp. 376-391), New-York, Macmillan.
• SWANSON H. L. & HOSKY M. (1998), « Experimental Intervention Research on Students with Learning Disabilities : a Meta-Analysis of Treatment Outcomes », Review of Educational Research, 68 (3), (pp. 277-321)
En deux mots
Institutrice primaire de formation et titulaire d’un Master en sciences de l’éducation, Marie Bocquillon fait partie de l’équipe en charge de la formation pratique des futurs enseignants inscrits à l’Agrégation de l’Enseignement Secondaire Supérieur (AESS), à l’Université de Mons, où elle est assistante. Elle réalise une thèse portant sur la formation des enseignants et plus particulièrement sur le développement d’un outil d’observation des gestes professionnels et d’aide à l’analyse réflexive.
Enseignant de formation et titulaire d’une licence et d’un diplôme d’études approfondies en sciences de l'éducation, Antoine Derobertmasure réalise une thèse de doctorat portant sur la formation des enseignants et, plus précisément, sur le concept de réflexivité. Depuis septembre 2017, il occupe un poste de chargé de cours au sein du service de Méthodologie et Formation de l’Institut d’Administration scolaire (Université de Mons). Ses enseignements concernent principalement des aspects méthodologiques et la formation initiale des enseignants du secondaire supérieur.
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