Magazine PROF n°39
Coté psy
Comprendre son propre apprentissage
Article publié le 31 / 08 / 2018.
Dans le cadre d’une recherche-action menée dans l’enseignement communal liégeois, les élèves de sept classes primaires pilotes ont vécu des expériences métacognitives.
En se basant sur un modèle, Leo, Assia, Diego et d’autres enfants de 4e primaire s’appliquent à former des paires d’images, à l’école communale Outremeuse-Liberté, à Liège. La consigne : trouver parmi douze images partielles les six paires correctes. Pour résoudre le problème, il faut anticiper, analyser le modèle, planifier des stratégies adéquates.
De janvier à juin 2017, six classes de 3e, 4e et 5e primaires et une classe de l’enseignement spécialisé de type 8 (enfants présentant des troubles instrumentaux) de trois écoles communales liégeoises(1) ont participé au Programme d’approche métacognitive intégrative (PAMI classe). L’objectif : les amener à comprendre leur façon d’apprendre et de penser, à améliorer leurs stratégies et à les automatiser.
« J’ai principalement utilisé des tâches issues du programme DELV, conçu par le professeur Fredi Büchel, de l’Université de Genève(2), explique Stéphanie Frenkel, qui animait les séances, en présence de l’enseignant titulaire de la classe. Avec le soutien du pouvoir organisateur (la Ville de Liège), j’ai créé un programme de treize séances. Et j’ai adapté les exercices proposés à la population scolaire, composée notamment d’enfants primo-arrivants et/ou se situant à des niveaux variés de connaissance du français. Des fiches-outils ont également été traduites dans différentes langues maternelles des enfants ».
Les élèves ont élaboré des stratégies pour résoudre le mieux possible des problèmes (figures décomposées et images tranchées). En utilisant différents procédés et stratégies cognitifs : analyser et décomposer la tâche-problème, se poser des questions, résumer, encoder, répéter, comparer, classer et apparier, intégrer des informations à d’autres connaissances… Ou en utilisant des stratégies cognitives et métacognitives : planifier, adapter ou modifier ses stratégies, gérer ses ressources attentionnelles, employer les données stockées en mémoire à long terme…
L’important, c’est le processus, pas le résultat
« L’avantage de ce programme, c’est qu’il utilise du matériel qui ne demande pas de connaissances scolaires préalables. Cela évite donc d’éventuelles réactions émotionnelles négatives ou un faible sentiment d’efficacité personnelle, qui pourraient entraver l’engagement dans la tâche », explique David Scholpp, qui enseignait en 4e primaire à l’école Outremeuse-Liberté et s’est initié à l’approche métacognitive. « En outre, l’approche est neutre : un élève n’est pas meilleur qu’un autre ; l’essentiel était qu’il parvienne à l’objectif qu’il s’est fixé. Et qu’il comprenne comment il y est arrivé. Le plus important, c’est le processus, pas le résultat ».
Durant ces treize séances, Mme Frenkel (et l’enseignant) jouaient le rôle de médiateurs, de catalyseurs, pour faire émerger les processus d’apprentissage. « Par exemple, à celui qui me disait : Je n’ai pas eu le temps de finir, je demandais : Que pourrais-tu faire la prochaine fois pour être plus efficace ? », poursuit M. Scholpp, qui enseigne maintenant à de futurs enseignants à la Haute École de la Ville de Liège.
Lors des dernières séances, un exercice lié aux mathématiques et un autre au français étaient proposés pour renforcer le transfert des acquis.
Enseignants et élèves gagnent en expertise
Chaque séance était suivie d’un débriefing-formation entre la chercheuse et les enseignants amenés peu à peu à prendre le relai auprès des élèves. « L’enseignant n’a pas toujours conscience des stratégies utilisées, car ils les a automatisées, explique Mme Frenkel. Cette formation lui permet de renforcer son expertise, d’élargir ses outils d’intervention et d’améliorer sa compétence à analyser l’apprentissage en termes de processus ».
Des résultats? « À la fin de l’année, j’observais que les élèves ne se lançaient pas à corps perdu dans la tâche demandée, mais réfléchissaient davantage à la stratégie à utiliser, confie M. Scholpp. Parallèlement, ils progressaient sur le plan de l’autonomie et de l’estime de soi. Eux aussi gagnaient en expertise. Et c’est une bonne chose ! »
C. M.
(1) Les écoles fondamentales Bressoux-De Gaulle et Outremeuse-Liberté et l’école fondamentale spécialisée Andrea Jadoulle.
(2) BÜCHEL F. et P., Comprendre son propre apprentissage. Un programme pour améliorer l’apprentissage et le raisonnement des adolescents et des adultes, Tegna, Centre d’éducation cognitive, 2011-2014.
Puiser dans sa « banque » de stratégies
Est-ce utile de rendre les élèves conscients des stratégies cognitives qu’ils mettent en œuvre ? Trois questions à Stéphanie Frenkel, docteure en psychologie du développement cognitif et maitre assistante à la Haute École de la Ville de Liège.
PROF : Qu’est-ce qu’on entend par métacognition ?
Stéphanie Frenkel : C’est la représentation que l’élève a des connaissances qu’il possède et de la façon dont il peut les construire et les utiliser. Elle lui permet de comprendre où il fait des erreurs, et où il peut réussir.
Il peut ainsi décider de ce qu'il convient de faire pour améliorer ses performances : relire des exemples d'exercices, se replonger dans des points de théorie, poser des questions à l'enseignant…
C’est ce qui va lui permettre de se réguler lui-même pour atteindre ses objectifs. Les aspects émotionnels et motivationnels jouent donc un rôle central dans ce processus.
Des mécanismes inconscients ?
Lorsqu’ils sont automatisés oui. Mais avant, il faut les rendre conscients. De nombreux élèves sont passifs, ils ne s’interrogent pas sur leur façon d’apprendre. Si en plus un élève explique ses résultats par une cause sur laquelle il considère ne pas pouvoir agir (De toute façon, je ne comprends jamais rien en maths ou J’ai réussi parce que c’était facile…), il considère qu’il ne fait pas partie du problème. Et là, c’est problématique.
D’où l’importance de le rendre conscient des stratégies qu’il utilise…
Tout à fait. Et c’est important de lui faire comprendre qu’il peut. Si l’élève se connait bien, s’il sait comment fonctionne son cerveau, quelles stratégies il peut utiliser dans sa « banque » selon les variables de la tâche et du moment, il aura davantage de chances de réussite. S’adapter, s’autoréguler est essentiel, notamment lors de deux phases sensibles du parcours scolaire, entre la 6e primaire et la 1re secondaire puis entre secondaire inférieur et supérieur, où il doit s’adapter à un nouveau contexte.
En amenant l’élève à rendre explicite ce qui se passe dans sa tête quand il apprend, quand il décide d’utiliser tel ou tel outil, on peut désautomatiser des modes de réflexion peu efficients, pour en automatiser de plus efficaces.
Cela va aussi lui permettre d’augmenter son autonomie, de renforcer ses capacités à mettre des mots sur ses actions et ses ressentis, de renforcer son sentiment de compétence et donc sa propre estime de soi.
Recueilli par
C. M.
Complément bibliographique
• BERGER J.-L., BÜCHEL F., (dir.). L’autorégulation de l’apprentissage : perspectives théoriques et applications, Nice, Éditions Ovadia, 2013.
• FRENKEL S., DEFORGE H. (2014). « Métacognition et réussite scolaire : Perspectives théoriques » (pp. 87-113), et « Métacognition et réussite scolaire : applications » (pp. 115-130) dans GIRAUDEAU C., CHASSEIGNE G. Psychologie, Éducation et Vie scolaire, Tours, éditions Publibook Université, 2014.
https://www.researchgate.net/publication/303812787_Metacognition_et_reussite_scolaire_perspectives_theoriques
• FRENKEL S., Composantes métacognitives ; définitions et outils d’évaluation. Nec Plus, Revue Enfance, 2014, 4, p. 427-457.
https://www.cairn.info/revue-enfance2-2014-4-page-427.htm
• DONNAY J., ROMAINVILLE M., Développer des compétences transversales au 1er degré, FUNDP, Département Éducation et Technologie, recherche en éducation, 1997.
http://www.enseignement.be/index.php?page=24876&navi=862&rank_page=24876
• Mme Frenkel abordera l’approche métacognitive de l’apprentissage dans le cadre de la formation « Première approche de différents troubles d'apprentissage dans la perspective de mettre en place des aménagements raisonnables » proposée par l’IFC (code 108001802).
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