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Magazine PROF n°39

 

L'info 

Pour ou contre… l’écriture inclusive ?

Article publié le 31 / 08 / 2018.

Visant à assurer plus de visibilité aux femmes dans le discours social et sociétal, l’écriture dite « inclusive » fait l’objet de nombreuses controverses. Sans s’opposer aux formes de cette écriture et en adhérant à ses objectifs, le Conseil de la langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles en recommande un usage « mesuré ».

L’avis relatif à l’écriture dite inclusive du Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles a été rendu en octobre 2017(1). Soit en pleine polémique déclenchée, en France, par un premier manuel scolaire d’histoire destiné aux classes de CE2 –élèves de 8 à 9 ans –  utilisant l’une des formes de cette écriture qui recourt au point pour marquer la terminaison du féminin de mots.

Des réactions contrastées 

Les « agriculteur·trice·s », « commerçant·e·s » et « savant·e·s » du livre avaient valu la publication d’un communiqué enflammé de l’Académie française, fustigeant le point « milieu » utilisé pour marquer la terminaison de ces mots au féminin, procédé qualifié d’« aberration » et de « péril » pour l’avenir de la langue française. « Il est déjà difficile d’acquérir une langue, y écrivaient les immortels, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? »

Ce à quoi d’autres rappelaient que les mots « professeuse » ou « ambassadrice » avaient existé bien avant que le 20e siècle n’adopte la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres ; ou que la règle de proximité consistant à accorder l’adjectif ou le participe passé avec le plus proche des noms qu’ils qualifient était d’usage courant avant d’avoir été proscrite par la même Académie, au 17e siècle, verrouillant par là la règle voulant que le masculin l’emporte sur le féminin et reléguant au rang des mauvais usages la possibilité de dire, comme l’Iphigénie de Racine, « Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête »

Il convient de reconnaitre, avec le linguiste Alain Rey, que les règles d’accord « comportent une bonne part d’arbitraire et d’idéologie » mais aussi que « réinsuffler de la créativité dans un système aussi contraignant et normalisé que la langue, c’est compliqué » (2).

Les formes de l’écriture inclusive

L’écriture inclusive ne se limite pas au point milieu (ou « médian ») contesté. Elle préconise diverses règles, telles que d’user de la formulation de mots au féminin et au masculin (le « doublon »), avec une énumération rangée par ordre alphabétique (on dira/écrira « les Français et les Françaises » mais en revanche « celles et ceux ») ; d’avoir recours aux épicènes (« élève », « artiste »,…) et aux formulations dites neutres (« l’équipe de rédaction » au lieu « des rédacteurs ») ; et aussi, donc, l’usage du point milieu (« les chercheur.euse.s », « d’autres nous ont précédé.e.s »,…).

Le Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles recommande pour sa part un emploi mesuré des formules doubles, complètes ou abrégées, qui peuvent rapidement encombrer la lecture. Il recommande encore de préférer les formules dédoublées (« les étudiants et les étudiantes ») à celles abrégées par le point milieu (« les étudiant.e.s »), les parenthèses (« les étudiant(e)s ») ou la barre oblique (« les étudiant/e/s »), qui compliquent la lisibilité et l’accessibilité de l’écrit.

Cet avis rejoint celui de l’Opale, réseau des organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques (3), et assez curieusement celui de linguistes féministes québécoises comme Hélène Dumais, pour qui la discussion sur le point milieu, barre oblique ou parenthèses, qui a eu lieu au Québec il y a 40 ans, a débouché sur l’abandon de toutes les formes tronquées, « pas satisfaisantes comme façon de faire » (4)

Compliqué, on le disait, de chercher à mettre du neutre et/ou du féminin dans la langue française. Mais pas impossible, et le jeu en vaut la chandelle. Car si le langage ne suffira pas à modifier les rapports sociaux entre les sexes, il peut y contribuer. On recommandera à ce sujet le précieux guide de la Fédération Wallonie-Bruxelles Mettre au féminin. Utiliser le masculin et le féminin dans les textes. (5) 

Monica GLINEUR

(1) http://www.languefrancaise.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=727c034784935775fb87af477a10f898f776c722&file=fileadmin/sites/lff/upload/lff_super_editor/lff_editor/documents/2018/2017_avis_redaction_inclusive_adopte_le_4_10_2017_.pdf
(2) Cité par Cécile Bouanchaud dans « Cinq idées reçues sur l’orthographe inclusive », dans Le Monde, 23/11/2017.
(3) Réseau des Organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques ( http://www.reseau-opale.org).
(4) « L’écriture inclusive, un débat déjà vieux de 40 ans au Québec », Annabelle Caillou, Le Devoir, 16/11/2017.
(5) Téléchargeable via http://www.languefrancaise.cfwb.be (> Publications et recherches > Publications)

Un français moins masculin ? 

Pour Michel Francard, linguiste, professeur émérite à l’UCL et chroniqueur de la langue, l’écriture inclusive souhaite contribuer à plus d’égalité entre les femmes et les hommes.

PROF : Quelles ont été vos réactions devant l’ampleur de l’hostilité que l’écriture inclusive a déclenchée, en France, à l’automne dernier ?
Michel Francard : J’ai été frappé de constater qu’une innovation ambitieuse en matière de langue avait été réduite à un seul aspect, le « point milieu », pour l’inconfort de lecture qu’il génèrerait.

Or l’écriture inclusive, qu’est-ce que c’est ? C’est en quelque sorte « démasculiniser » le français pour traduire la représentation égale des hommes et des femmes en utilisant des moyens multiples à notre disposition : c’est accorder en genre les noms de métiers et de fonctions ; c’est recourir à des formulations qui évitent de considérer le nom masculin comme « englobant le féminin » - par exemple en préférant « droits de la personne » à « droits de l’Homme » - ; c’est éviter les formules qui considèrent le masculin comme générique ou « neutre » (ce qu’il n’est pas, en français).

La focalisation sur le point milieu n’a pas présenté l’écriture inclusive de manière objective et l’a desservie. L’émoi provoqué par cette question est symptomatique d’un rapport à la langue, particulièrement dans l’Hexagone, où toucher au français serait toucher à la France. Plus largement, cela peut être l’expression d’une frilosité vis-à-vis d’un changement social – la place croissante prise par les femmes dans notre société –, qui se traduit dans la langue.

Pensez-vous cependant que l’écriture inclusive – dont le point milieu – entrera dans les mœurs ?
Je n’ai pas de boule de cristal… Un changement linguistique peut être encouragé par des mesures volontaristes, mais celui-ci sera nécessairement soumis à la sanction de l’usage, qui est une forme de sanction sociale. Une langue appartient à ses usagers. Ce sont eux, en définitive, qui ont le « dernier mot ».

Quels conseils donneriez-vous aux enseignant∙e∙s. par rapport à l’écriture inclusive ? Faut-il l’enseigner ?
Je ne pense pas que l’écriture inclusive doive être enseignée comme une série de « règles » à respecter. Ce qui importe, c’est d’être conscient des enjeux sociaux de la langue et de faire preuve de vigilance pour ne pas laisser les préjugés sexistes s’installer dans les classes. Le plus tôt est le mieux, dès l’école fondamentale, mais aussi dès la formation initiale des enseignant∙e∙s.

Recueilli par
M. G.
 

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