Magazine PROF n°40
Droit de regard
Ce n’est pas l’autisme qui fait souffrir, c’est le rejet ou l’ignorance
Article publié le 07 / 12 / 2018.
Josef Schovanec multiplie livres et conférences pour témoigner et plaider en faveur de l’inclusion des personnes autistes à l’école et dans la société.
Multidiplômé, polyglotte, Josef Schovanec a été diagnostiqué porteur du syndrome d’Asperger. Pour lui, l’autisme, une autre façon d’être au monde, fait partie de la palette humaine des possibles.
PROF : Inclure enfants et jeunes autistes à l’école est un de vos combats. Un enjeu important ?
Josef Schovanec : Tout à fait. C’est à l’école qu’on apprend à fonctionner avec des enfants qui ont des profils cognitifs, des façons de vivre différents. C’est l’objectif de l’école. Il faut donc que tous les enfants porteurs d’autisme y aient leur place.
Je trouve choquant qu’en 2018 on parle parfois du côté inclusif ou non de l’école, comme si c’était une question d’opinion personnelle, une matière à débat. Sur le plan juridique, en droit international, c’est clair. Il n’y a pas de doute possible.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, un décret rend obligatoire l’inclusion des élèves à besoins spécifiques. Et des formations sont proposées aux enseignants (1).
Oui, j’ai la chance de venir souvent en Belgique grâce à mon petit boulot pour La Première. Je constate que les choses progressent, mais pas de manière uniforme. Il faut que toutes les écoles passent le cap, il ne faut pas un système à deux ou trois vitesses, avec certains enfants porteurs d’autisme qui vont à l'école parce que leurs parents sont riches ou débrouillards.
Vous voyagez beaucoup. L’inclusion scolaire est plus répandue ailleurs ?
Au Canada, dans les pays scandinaves, tous les enfants se côtoient sans discrimination à l’école. Je suis ébloui par le côté profondément inclusif des établissements dans ces pays, notamment pour les plus jeunes : il y a 6 ou 7 enfants à besoins spécifiques par classe, des formations pour les (futurs) enseignants, parfois une personne qui fait l’intermédiaire entre l’élève et l’enseignant.
J’ose espérer qu’on ne dira pas que ces systèmes scolaires sont mauvais : les enquêtes internationales montrent que les pays qui ont les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux qui ont les écoles les plus inclusives. Aux États-Unis, 80 % des enfants porteurs d’autisme sont scolarisés. En Suède, on approche les 95 %.
Quels conseils donnez-vous aux enseignants ?
Avec de la bonne volonté, on peut trouver dans les librairies, sur Internet, des guides pratiques, des vidéos, des applications, comme Tsara par exemple (2), qui aident à connaitre l’autisme. Des associations de parents d’enfants porteurs d’autisme proposent des rencontres, des forums…
Sur le terrain, je leur dirais d’être attentifs à certains moments difficiles pour les élèves porteurs d’autisme, notamment à la récréation, à la cantine. Un certain nombre d’enfants porteurs d’autisme peuvent avoir une connaissance extraordinaire de beaucoup de choses mais des difficultés à le formuler de façon socialement attendue.
Si vous connaissez toutes les dates, tous les détails sur un sujet, mais pas le dernier truc qui circule sur les réseaux sociaux, ce n’est pas un discours qui plaira aux camarades. Ce n’est pas de cette façon que vous vous ferez des amis. Les enfants sont très directs. Une fois que vous êtes désigné comme bouc émissaire, cela va s’autoentretenir car certains comprendront très vite que l’enfant porteur d’autisme ne sait pas se défendre et ils en profiteront. Ce n’est pas l’autisme qui déclenche la souffrance, mais la réaction de rejet (3).
Votre dernier livre porte sur les intelligences multiples. Sont-elles suffisamment prises en compte à l’école ?
Je me demande par quelle aberration culturelle et mentale on peut finir par croire qu’il n’y a qu’une forme d’intelligence, et donner des notations toutes prêtes affirmant englober toute l’intelligence des personnes.
Notre société humaine est constituée de compétences diverses : il y a des personnes qui en ont en ski, en menuiserie… Et la société ne peut fonctionner sans ces compétences. Lutter pour la place des personnes autistes, c’est aussi lever ce dogme d’un QI qui classifie plus qu’il ne valorise, et met à la poubelle des compétences indispensables pour notre avenir.
Globalement, avez-vous l’impression que la connaissance de l’autisme progresse ?
On progresse dans l’idée que l’autisme n’est pas une maladie, mais une façon d’être au monde. Cela fait partie de la palette humaine des possibles.
Historiquement, on a commencé par labelliser des personnes autistes comme déficientes. C'était l’objectif du 1er test de QI : faire le tri entre les enfants qui devaient aller à l'école et ceux qu'il fallait jeter. Beaucoup de porteurs d’autisme sont déficients non pas du fait de l'autisme, mais à cause de la déficience de l'école ou de leur entourage.
Puis, on a présenté un deuxième point de vue : l'autiste « petit génie ». C'est plus valorisant, mais on a fait l'impasse sur le principal : ce qui fait notre vie humaine, c'est de pouvoir mener une existence autonome, de choisir et d'exercer telle profession…
Vous êtes inquiet pour l’avenir de ces personnes ?
Oui, l’inclusion progresse, surtout pour les petits enfants. Mais que fera-t-on de ceux qui arrivent à l’âge adulte, sur le plan des études, de l’emploi ? C’est là qu’il reste beaucoup à faire. Lors d’un entretien d’embauche, au lieu d’évaluer ce qui est réellement important pour l’exercice de l’emploi en question, on observe votre manière de serrer la main, de regarder l’autre dans les yeux, votre façon de parler… Je suis inquiet pour la majorité des gens du spectre de l’autisme. C’est choquant que seuls 5 % des adultes autistes aient un emploi.
Nommé Docteur Honoris causa de l’Université de Namur, vous avez souligné l’intérêt du projet Construire une université Aspie-Friendly, coordonné par l'Université Toulouse-Midi-Pyrénées.
Oui, c’est très positif ! Quinze établissements publics d’enseignement supérieur se sont engagés à accueillir de jeunes étudiants Asperger et à leur fournir des outils pédagogiques et numériques adaptés, ainsi qu’un accompagnement social et une formation pour les aider à s’insérer professionnellement à la fin de leurs études. Un centre national de ressources et d’accompagnement dédié à l’autisme a été créé, et les enseignants et les étudiants non autistes sont formés et sensibilisés. Une vingtaine d’étudiants y sont inscrits actuellement, en math, informatique, physique et à plus long terme, j’espère dans d’autres domaines.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
(1) L’IFC propose des formations : http://www.ifc.cfwb.be (code de formation 109121802). Le groupe de Recherche sur l’autisme ACTE propose une formation de trois jours (20 h) offrant un panorama des connaissances actuelles et une formation continue, interdisciplinaire et interuniversitaire (15 crédits, 480 h), menant à un certificat en Trouble du Spectre de l’Autisme.
http://www.bit.ly/2zrupjK
(2) http://www.tsara-autisme.com
(3) Voir aussi l’interview de Joseph Schovanec Survivre à l’école disponible sur tv5Monde.
http://autisme.tv5monde.com/portfolio/survivre-a-lecole
Comment comprendre mon copain autiste ?
Ce manuel écrit par Peter Patfawl, paru en septembre 2018 aux éditions La boite à Pandore, s’adresse aux enfants de 5 à 15 ans qui côtoient ou côtoieront un enfant autiste dans leur entourage ou à l’école, et propose aux enseignants des outils pratiques et directement utilisables.
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