Magazine PROF n°40
Coté psy
Dis-moi ce que tu penses pour savoir qui je suis
Article publié le 07 / 12 / 2018.
Quel rôle, quelle influence l’usage des réseaux sociaux numériques a-t-il dans la construction de l’identité des adolescents ?
Pour Pascal Minotte, psychologue, psychothérapeute et chercheur au Centre de référence en santé mentale (CRéSaM) (1), les réseaux sociaux aident les ados à construire leur identité propre.
PROF : Pour construire son identité, l’adolescent doit-il définir des territoires et des cultures distincts de ceux des parents ?
Pascal Minotte : Oui, d’une manière générale, on peut dire que le jeune adolescent ressent le besoin de prendre ses distances vis-à-vis de la sphère familiale et de se protéger de ses « intrusions ». Ce processus implique un travail psychique considérable : quitter un contexte sécurisant et une certaine image de soi issue de l’enfance, ce n’est pas aisé. Pour compenser le vide de cette « séparation », il va surinvestir dans les relations avec les pairs.
Les réseaux sociaux répondent-ils à ce besoin spécifique ?
Des applications comme Instagram, Snapchat… jouent le rôle de l’espace entre-soi, entre pairs, que jouait autrefois la rue, espace plus surveillé, plus réglementé aujourd’hui, notamment en ville. L’adolescent peut y expérimenter une autre façon d’être, se mettre en scène, se raconter autrement qu’à travers le prisme du regard des parents. À travers un processus d’essais et d’erreurs, mais aussi de transmission entre pairs, ses usages évolueront ensuite, ce qui l’aidera à développer des compétences en matière de communication.
Donner - sans arrêt, parfois- de l’information sur soi et en recevoir sur les autres, à quoi cela sert-il ?
Pour savoir qui l’on est, il faut commencer par se découvrir, c’est-à-dire pour citer le psychiatre Serge Tisseron « à la fois se mettre à nu face aux autres et accéder à la connaissance de soi » (2). Ces deux attitudes convergent dans le fait de diffuser sur les écrans des fragments de soi (opinions, photos, vidéos), parfois à plusieurs facettes, dont la valeur est encore incertaine, afin de les faire valider par les réactions des autres internautes.
Pour l’adolescent qui doit progressivement intégrer les changements physiques, mais aussi psychiques et pulsionnels qui s’opèrent en lui, s’exprimer sur les réseaux sociaux peut aider à trouver du sens et à donner une cohérence, un fil rouge à un vécu et à des expériences parfois perçus comme chaotiques. Cela participe donc au renforcement de l’estime de soi et au tâtonnement identitaire propre à cet âge.
Au risque de dérapages : moqueries, agressivité, (cyber)harcèlement…
Bien sûr : les interactions entre ados, parfois cruelles, et les dynamiques collectives, peuvent amener à la désignation de boucs émissaires, par exemple. Un autre écueil, c’est la surconsommation : chez certains, le désir de contacts avec les pairs peut mener à un usage boulimique, compulsif.
Quel rôle les enseignants peuvent-ils jouer dans le cas d’usages problématiques des réseaux sociaux ?
C’est vrai que les difficultés relationnelles s’enracinent la plupart du temps à l’école. Prévenir les dérapages possibles passe évidemment par l’éducation aux médias à travers différentes matières.
Mais plus largement, c’est important d’apprendre à développer les compétences socio-affectives, l’empathie, la solidarité. Si on le fait beaucoup avec les petits de maternelle, cela s’amenuise ou disparait ensuite. Comme si, à l’instar de l’écriture ou de la lecture, ces compétences étaient acquises une fois pour toutes.
Or, au début du secondaire, c’est particulièrement nécessaire de travailler les relations humaines, de construire un climat de bienveillance au sein de la classe. Et cela d’autant plus que, dans le cas d’une communication en ligne, existe l’effet cockpit: en cas d’agression verbale, l’émetteur du message, n’ayant pas en direct les effets de ce qu’il est en train de commettre, va oser plus que ce qu’il ferait dans la vie traditionnelle.
Vous développez une vision positive du rôle de ces réseaux.
Leur usage est souvent connoté comme une prise de risque. Mais si c’est fait de la bonne façon, au bon endroit, cela peut être très positif et constructif. Cela permet à des adolescents de mettre des mots sur ce qu’ils vivent. Certains peuvent exprimer certains problèmes de santé mentale, notamment liés à la sexualité, qu’ils vivent difficilement. Par exemple, le jeune qui découvre son homosexualité peut y trouver information, soutien, réassurance. Cela peut aussi aider l’ado harcelé à trouver des témoignages d’autres personnes vivant cette situation, des groupes de soutien. Cela peut être une vraie ressource en réponse à des difficultés de relations au sein de la famille.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
(1) {lien_externe|http://www.cresam.be}
(2) TISSERON S., Virtuel, mon amour. Penser, aimer, souffrir à l’ère des nouvelles technologies, Paris, Albin Michel, 2008, p.39.
Une cellule pour contrer le harcèlement
L’Institut Maris Stella, à Laeken, a créé une cellule anti-harcèlement qui rassemble huit professeurs de tous les degrés du secondaire et trois éducateurs.
Constatant que les réseaux sociaux sont un des moyens utilisés pour harceler un élève, la cellule a lancé un programme de prévention ciblant notamment l’éducation à l’usage des réseaux sociaux. Elle fait appel à des partenaires extérieurs pour des animations : les ASBL Délipro Jeunesse, Loupiote, Exception.Théâtre!…
Diane Vandermeets est l’enseignante ressource de la cellule, qui observe que même si les élèves sont mieux et plus informés des dérives possibles, cela ne les empêche pas de braver les interdits et avertissements. Selon notre interlocutrice, ils éprouvent un sentiment d’invincibilité : ça ne leur arrivera jamais à eux.
De plus, il y a comme une contradiction entre ce qu’on leur dit de faire et les comportements qu’ils observent et pensent devoir adopter en société. Pourquoi se contenir, se préserver, respecter, alors que les personnalités, de la télé au monde politique, se lâchent et ne respectent aucun code ? Parfois, il s’agit même de la clef de la réussite !
Par ailleurs, les avis divergent et les codes déontologiques sont relatifs : un professeur se refusera à communiquer ou à échanger sur les réseaux sociaux tandis qu’un autre le fera…
Pour les séances de prévention, la cellule a établi des règles : confiance (ce qui se dit en classe, y reste), sécurité (on ne se moque pas de quelqu’un) et respect (chacun a droit à la parole, sans être jugé). Lors d’interventions individuelles, les membres de la cellule travaillent en binôme pour échanger les impressions.
« Les effets sont sensibles, note Mme Vandermeets. Chez les élèves qui ont suivi ce programme de prévention depuis la 1re secondaire, il y a une réelle prise de conscience et un comportement social mieux maitrisé. Ils connaissent nos démarches et la loi ; ils font souvent preuve d’empathie. Cela ne nous met pas à l’abri de tout dérapage. Mais je pense qu’ils sont moins nombreux. De plus, en cas de harcèlement, témoins ou observateurs sont plus réactifs et plus francs. Ils viennent plus rapidement demander aide ou conseil à un adulte ».
Complément bibliographique
• BALLEYS C., Socialisation adolescentes et usages du numérique Revue de littérature, Rapport d’étude de l’INJEP, juin 2017.
• COLLARD Y., Éduquer aux réseaux sociaux. Les jeunes à l’heure du numérique, Média animation, Dossier de l’éducation aux médias, 2017.
• KLEIN A. (coord.), Nos jeunes à l’ère numérique, Louvain-la-Neuve, Académia, 2016.
• MINOTTE P., Dévoreurs d’écran. Comprendre et gérer nos appétits numériques, Bruxelles, Mardaga, 2015.
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