Magazine PROF n°41
Coté psy
Bégayer n’est pas une fatalité
Article publié le 03 / 04 / 2019.
Le bégaiement peut avoir un impact important sur la confiance en soi de l’enfant ou de l’adolescent et sur ses relations avec les autres.
Au bégaiement, la Fédération Wallonie-Bruxelles a consacré une fiche outil dans le cadre de la mise en place des aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire (1) .
Romaniste et logopède, professeure émérite de l’UCL, Françoise Estienne a cofondé et anime l’Association Parole Bégaiement Belgique. Pour elle, l’enseignant est un interlocuteur privilégié dans l’entourage de communication d’un élève qui bégaie.
PROF : Comment définir le bégaiement ?
Françoise Estienne : C’est un trouble affectant le flux ou le rythme de la parole, essentiellement en situation de communication. Ses caractéristiques : des répétitions et des prolongations involontaires de sons, de syllabes, de mots ou phrases ; des pauses silencieuses…
Ces signes donnent l’impression d’efforts qui peuvent aussi se manifester par des tensions respiratoires, des mouvements involontaires du visage et du corps (clignement des paupières, fuite du regard…). Ceci dit, il faut plutôt dire « les bégaiements » pour mettre en relief les formes diverses de ce trouble, variables d’un individu à l’autre.
Quelle est la cause du bégaiement ?
Il existe une prédisposition génétique sur laquelle se greffent des facteurs personnels (tempérament de l’enfant…) ou environnementaux (évènements familiaux, réactions de l’entourage à cette difficulté…). Le bégaiement qui affecte 1% de la population concerne en priorité le sexe masculin (75 à 85%).
Quelles conséquences possibles pour l’élève ?
Le fait de bégayer a souvent un impact sur l’estime de soi, la confiance en soi et les relations avec les autres. L’élève qui bégaie, occupé mentalement à reprendre le contrôle de sa parole, accorde moins d’attention à son interlocuteur, ce qui perturbe l’échange. Les pairs et/ou les enseignants sont parfois surpris, impatients, parfois moqueurs, ce qui peut intensifier le bégaiement.
Sentant le regard de l’autre braqué sur lui, l’élève finit par s’identifier au rôle qui lui est attribué et qu’il s’attribue. Et par mettre en place des stratégies pour pallier ses difficultés : éviter certains mots, se taire… En même temps, les bons conseils qu’il n’arrive pas à suivre (« respire », calme-toi », « parle doucement ») peuvent développer un sentiment de honte, de culpabilité, d’impuissance, de colère.
Peut-on le détecter et le traiter de manière précoce ?
Oui et c’est important d’intervenir dès les premières manifestations en contactant un logopède spécialisé qui va expliquer le bégaiement aux parents et à l’enfant, le « dédramatiser », proposer des moyens pour y remédier. Et ainsi éviter que celui-ci s’installe, s’aggrave par l’inquiétude et les réactions négatives qu’il peut susciter dans l’entourage.
Quels conseils donneriez-vous à un enseignant ?
Face à un élève qui bégaie, il peut s’informer sur ce trouble et sur ce que peut ressentir l’élève qui en souffre. Et orienter les parents vers le CPMS qui peut être un premier relai vers une prise en charge.
Je lui suggère d’observer cet élève : parle-t-il ? Se tait-il ? Participe-t-il aux jeux avec les autres, aux activités de la classe ? Comment réagissent les autres élèves ? En souffre-t-il ?
L’enseignant peut dire à l’élève qu’il a remarqué son bégaiement et qu’il est prêt à l’aider s’il le souhaite. Et lui proposer de parler de ce trouble à la classe ou d’inviter un spécialiste pour le faire.
Je l’invite à faire preuve de patience et bienveillance face à la lenteur, à la fatigabilité, aux difficultés d’expression ; à valoriser les points forts et les progrès de l’élève ; et à lui donner, s’il le souhaite, d’autres possibilités d’expression (écriture, chant, théâtre…).
Pour communiquer avec l’élève, l’enseignant peut montrer à l’élève que son bégaiement ne le dérange pas, sans pour autant adopter une attitude de fausse indifférence. Pourquoi ne pas essayer, de manière active et bienveillante, de reformuler positivement la phrase… ? . Il lui fera comprendre qu’il est intéressé par le fond du message qu’il transmet et non pas par sa forme. Il lui laissera le temps dont il a besoin pour parler, notamment lors d’évaluation orale, et il lui demandera comment il peut l’aider
Lors des temps de parole collectifs, l’enseignant peut veiller à ce que l’élève et ses camarades de classe ne se coupent pas la parole et, avant de clore la discussion, demander à l’enfant s’il a quelque chose à rajouter, une opinion à exprimer.
Bref, l’attitude juste, c’est de faire en sorte que l’élève qui bégaie se sente traité comme les autres, qu’il ose prendre la parole parce que l’enseignant comprend la situation et fait en sorte que l’ensemble de la classe aide cet élève à se sentir à l’aise.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
(1) http://www.enseignement.be/index.php?page=27775&navi=4312&rank_page=27775
J’ai vu Nadia évoluer
Instituteur à l’Institut Saint-Thomas d’Aquin, à Bruxelles, Jonathan Smyers témoigne : « Quand j’ai accueilli Nadia (1) dans ma classe de 4e, j’ai senti chez elle une grande détresse. Elle n’osait pas parler et - des élèves me l’ont confié - elle faisait l’objet de moqueries dans la classe ».
« Pas outillé pour ce genre de problème, j’ai réagi à l’intuition. D’abord, j’ai établi un lien avec elle et elle m’a parlé de son bégaiement. Manquant de confiance en elle, Nadia ne souhaitait pas que j’explique sa difficulté de communiquer à la classe. Alors, j’ai fait sentir l’impact des moqueries aux enfants concernés. Avec toute la classe, j’ai travaillé l’empathie, l’écoute pour créer un climat de confiance qui peut assurer le respect de chacun ».
« Blanche de Briey, la logopède qui suivait Nadia, m’a proposé des outils à utiliser régulièrement en classe : l’encourager à parler, par un geste d’écoulement de la main, à mettre des pauses dans ce qu’elle exprimait... »
« J’ai incité Nadia à lire à haute voix, à participer aux conseils de classe pour qu’elle trouve sa place dans le groupe. Et je l’ai vue évoluer. À la fin de l’année, comme les autres, elle a présenté un exposé oral devant la classe. Je lui ai dit qu’elle ne devait pas regarder tout le monde. Si elle se sentait un peu perdue, elle pouvait me regarder et je l’encourageais par un geste d’écoulement ».
« À la fin de l’exposé, tous les élèves ont applaudi et j’ai vu en elle de la fierté. En tant que jeune enseignant, j’en ai retiré moi aussi une grande fierté ».
(1) Prénom fictif
Complément bibliographique
L'Association Parole Bégaiement Belgique édite des dépliants, brochures et ouvrages destiné au grand public, aux enseignants et aux orthophonistes. http://www.begaiement.org/publication
"Les bégaiements : données actuelles", dossier n° 30 de la revue A.N.A.E., octobre 2014. http://www.anae-revue.com/documentation-scientifique-th%C3%A9matique
ESTIENNE F., Examiner un bégaiement. Outils d'évaluation enfants, adolescents, parents, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2012.
ESTIENNE F., BIJLEVELD A., VAN HOUT A., Les bégaiements. Interprétations, diagnostics, thérapies, 160 exercices, Éditions Elsevier Masson, 2015.
OKSENBERG P., Dans les coulisses du bégaiement, Paris, Éditions du Petit A.N.A.E, 2018. http://www.anae-revue.com/les-editions-du-petit-anae/dans-les-coulisses-du-b%C3%A9gaiement
VINCENT E., Le bégaiement, Toulouse, Milan, Les essentiels, 2013.
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