Magazine PROF n°44
Focus
La bienveillance
s’apprend en classe
Article publié le 06 / 12 / 2019.
Le projet Bienveillance à l’école réunit les élèves dans des cercles de parole. L’objectif : développer l’intelligence émotionnelle pour améliorer le climat scolaire.
Hussein accroche à la clenche extérieure de la porte un panneau « Cercle de parole. NE PAS DÉRANGER ». Dans cette classe de 4e primaire de l’École Congrès-Daschbeck, à Bruxelles, la séance hebdomadaire peut débuter.
Ce jeudi de juin, c’est Shanel qui « mène la danse ». Elle demande à un autre élève de rappeler les règles : « Je parle de moi et en je » ; « j’écoute les autres sans juger et sans les interrompre » ; « ce qui se dit ici reste ici » ; « je suis libre de parler et de me taire ».
Sur le thème proposé - une activité que j’aime faire -, les vingt-quatre enfants s’exprimeront, comme leur institutrice, Aurélie Dath, et Julie Van Cauwenberge, professeure de remédiation. L’un parle de trampoline. D’autres de danse, de bricolage, de course à vélo, de soirée pyjama… avec moult détails, parfois.
Mme Van Cauwenberge confie qu’elle prend plaisir à monter des meubles en suivant scrupuleusement un mode d’emploi. Shanel invite ensuite chaque enfant à se souvenir de ce que les autres ont exprimé et à établir des relations entre les différents témoignages.
Et le cercle s’achève par des appréciations. « On apprend des choses qu’on ne savait pas sur les autres, réagit un enfant. Sa voisine ajoute que « Shanel s’est bien débrouillée et cette fois, presque tous les élèves ont parlé ». Et Mme Dath de commenter : « Vous avez progressé dans les échanges, dans l’écoute ; je suis très fière de vous ».
L’enseignante le confirme : « C’est bénéfique de prendre le temps d’aborder des choses personnelles avec les enfants. Je les découvre sous d’autres angles. Au début, c’est difficile, mais au fil des séances, les (bonnes) habitudes s’installent. Le secret partagé améliore la cohésion du groupe et, globalement, j’ai vu le climat de classe, propice aux apprentissages, s’améliorer ».
Développer l’empathie
« À la suite de bons échos recueillis dans une école engagée dans ce projet Bienveillance à l’école (BALE), j’ai proposé à ses responsables de le présenter aux treize enseignants et aux auxiliaires d’éducation, explique Nicolas Joostens, directeur de l’école. Ceux-ci ont adhéré au projet et s’y sont formés durant deux journées à la fin du mois d’aout 2018, puis durant plusieurs mercredis après-midi ».
Lors de cette formation, très pratique, les membres de l’équipe éducative ont vécu les cercles de parole « de l’intérieur », abordant successivement trois compétences sociales : la conscience de soi, l’estime de soi et les interactions sociales à travers des thèmes variés (je suis fier de moi quand…, j’ai un pouvoir unique, un jour, j’ai menti…). « Beaucoup l’ont exprimé : cela a fait progresser l’esprit d’équipe et les liens de travail dans l’école ! »
Un accompagnement rapproché
M. Joostens voit dans le projet BALE plusieurs atouts : la formation préalable de l’équipe mais aussi un accompagnement rapproché de chaque enseignant durant deux ans. Dans une lettre, chacun s’engage à organiser des cercles et à en respecter la philosophie.
Après chaque cercle de parole, il remplit une fiche de séance où il consigne ses observations, son analyse, mais aussi, éventuellement, les difficultés rencontrées, les questions… Des membres de l’équipe de formation, répondent, ajustent, orientent, construisent des scénarios et développements adaptés aux situations particulières. Ils se rendent aussi régulièrement dans les classes lors des cercles. Dans l’école, un enseignant référent a même été choisi pour assurer la communication avec les formateurs.
« Organiser ces cercles de parole ne règle évidemment pas tous les problèmes, mais c’est un outil intéressant pour travailler le bien-être à l’école. Développer l’empathie chez les enfants, leur apprendre à s’exprimer sans jugement nous a paru un bon préalable pour asseoir d’autres projets plus collectifs, poursuit le directeur. Cette année, les cercles ont déjà débouché sur Ensemble à table, un projet commun centré sur l’alimentation – un sujet susceptible de diviser les enfants. Et d’ajouter : « Ce projet BALE et l’esprit d’équipe qu’il a suscité ont été un bon prélude au plan de pilotage de l’école auquel nous nous attelons depuis la rentrée ».
Catherine MOREAU
Convoquer l’émotion Le projet pilote BALE a été construit par
Le projet pilote BALE a été construit par l’ASBL Bienveillance à l’école. Rencontre avec son fondateur, Claude De Lathouwer, médecin et ancien directeur d’une institution hospitalière
PROF : quelle est l’origine du projet ?
Claude De Lathouwer :
BALE est né en 2015 du constat que notre société voit grandir la discrimination, la violence et les préjugés.
La plupart des enseignants interrogés voient les difficultés de vivre ensemble comme une source de problèmes dans l’école. Ils estiment que l’école est le terrain privilégié pour agir efficacement mais qu’ils sont peu armés pour affronter ces problèmes.
BALE veut prévenir ces difficultés par l’éducation, dès l’école maternelle et jusqu’à la fin du secondaire. L’objectif : former solidement les équipes pédagogiques et les accompagner dans la durée (deux ans) pour assurer leur autonomie et la pérennité du projet (1).
En quoi consiste le programme ?
Nous pensons qu’avant de faire appel aux facultés cognitives, il faut convoquer l’émotion. La méthode repose sur la pratique des cercles de paroles et la stricte observance de règles. Au fil des séances et des thèmes traités, les enfants apprennent à se sentir, à se connaitre, à s’estimer et, dans le même mouvement, à ressentir, découvrir, connaitre et reconnaitre l’autre dans sa similarité et sa diversité.
Le projet rencontre quatre des cinq objectifs du Pacte pour un Enseignement d’excellence : renforcer le plaisir d’apprendre, développer le travail collaboratif, réduire le décrochage et favoriser la mixité sociale et l’inclusion, développer le bien-être et la qualité de vie à l’école.Et l’amélioration du climat scolaire est un thème souvent cité par les équipes pédagogiques dans le cadre du plan de pilotage.
Que demandez-vous aux directions et aux enseignants ?
Jusqu’à présent, nous demandions que les écoles souscrivent au programme complet (formation et accompagnement) et que la totalité ou une large majorité de l’équipe y adhère. Ce sont des engagements importants. Aussi, depuis peu, nous proposons des formations de quatre jours, sur le modèle des formations en cours de carrière. Elles figurent ou figureront dans les catalogues des différents réseaux.
Combien d’écoles bienveillantes ?
Ce cercle de parole, nous l’avons testé en 2016 à l’École Émile Bockstael. Puis d’autres se sont ajoutées : les écoles des Pagodes, Tivoli, de Hembeek, du Canal, Congrès-Daschbeck, Steyls, Léon Lepage.
Depuis la rentrée, plus de 15 écoles, près de 200 enseignants et quelque 5000 enfants sont impliqués dans le projet. De nouveaux groupes ont été créés dans des écoles primaires et secondaires (à l’Institut Frans Fischer, par exemple).
Le projet existe depuis quatre ans. Avez-vous des retours ?
En 2016-2017, dans le cadre du projet pilote, nous avons réalisé des enquêtes en début et en fin d’année scolaire et comparé les résultats entre groupes d’enfants participants et non participants. Les enseignants ont observé une amélioration des relations des élèves entre eux ; davantage d’entraide et de respect ; une nette baisse des préjugés, du harcèlement et de la violence.
Actuellement, cinq étudiants de master en psychologie et sciences de l’éducation de l’UCL consacrent leur mémoire aux effets du projet.
Des projets ?
Nous développons divers modules sur la base de contextes locaux, généralement transposables à de nombreuses écoles. Si nous sommes essentiellement déployés en région bruxelloise, nous avons l’intention d’essaimer dans les provinces.
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