Magazine PROF n°45
Droit de regard
Climat : ce que l’école peut faire
Article publié le 24 / 03 / 2020.
Ancien enseignant, Christophe Vermonden est aujourd’hui responsable du département Éducation à l’environnement de Bruxelles Environnement. Il prône une école active face aux changements climatiques.
Le message que porte Christophe Vermonden est double : l’école a la capacité de mener une action positive pour le climat, et cette action lui sera bénéfique à son tour.
PROF : Face aux enjeux climatiques, estimez-vous que l’école en fait assez ?
Christophe Vermonden : L’école n’est pas différente de la société. Donc à mes yeux, elle n’en fait pas assez. Il m’apparait cependant plus intéressant de se concentrer sur les moyens d’action de l’école.
Premier levier : l’infrastructure scolaire doit participer à l’élan vers une société décarbonée. Cela passe par l’isolation des bâtiments, la production d’énergie renouvelable et la mise en place de stratégies qu’on appelle « d’adaptation ». Car le dérèglement climatique est aujourd’hui une réalité et nous allons devoir nous adapter. Par exemple, en créant des cours de récréation beaucoup plus verdurisées de manière à permettre l’absorption des pluies et à créer des ilots de fraicheur en cas de canicule.
Le deuxième axe à investir est celui de l’utilisation rationnelle des ressources. À travers l’éco-exemplarité de sa gestion, de ses achats, de son offre alimentaire, etc., l’école détient un levier fort de réduction de ses émissions indirectes et d’éducation à l’environnement.
Enfin, dernier levier de l’école, et le plus important parce que c’est son cœur de métier, c’est celui des apprentissages.
Une enquête récente (1) pointe les faibles connaissances de nos élèves à propos du climat. Comment l’école peut-elle agir tout en étant attentive au fait que la question peut générer des émotions négatives ?
Travailler sur les questions climatiques nécessite en effet de prendre en compte des émotions générées telles que la peur, l’anxiété, le sentiment d’impuissance…
Le développement des connaissances sur le changement climatique est une part de la réponse à l’éco-anxiété car, quand on ne comprend pas un phénomène, qu’on n’en maitrise ni les tenants ni les aboutissants, on est d’autant plus inquiets. Les nouveaux référentiels incluront la question climatique, et c’est intéressant, à condition de l’examiner dans le cadre de l’ensemble des problématiques environnementales, c’est-à-dire dans une approche systémique. L’école a aussi un rôle de développer cette compréhension systémique.
Un autre point m’apparait très important : travailler sur des « futurs désirables ». L’actuel référentiel des cours de citoyenneté invite déjà à imaginer une société meilleure… Prenons ça à bras le corps ! Des méthodes prometteuses sont développées pour apprendre aux enfants à penser le futur et à identifier des futurs désirables…
On peut, par exemple, explorer le quartier, pour en comprendre le passé et le présent ; imaginer ses multiples futurs possibles ; identifier, parmi ceux-ci, ceux qu’on a envie de voir naître ; et enfin, penser à la manière de les concrétiser : ce serait à travers quels métiers, quels projets… ?
Autre exemple, à l’exposition Belexpo (www.belexpo.brussels/fr), Bruxelles Environnement montre bien sûr aux élèves les effets du dérèglement climatique, mais on leur propose surtout des « missions » à remplir en équipe, des gestes à poser pour l’environnement, des informations sur des villes engagées dans la transition écologique…
De manière générale, il s’agit de développer un nouvel imaginaire, qui stimule la capacité d’actions des élèves et des enseignants. Plus on mène des projets concrets, plus on augmente leur capacité d’action.
Vous insistez aussi sur l’importance de l’apprentissage de compétences relationnelles. Pouvez-vous expliquer?
Les compétences relationnelles sont sociales, comme l’empathie, mais elles concernent aussi la relation avec l’environnement. Ces dernières se construisent par des contacts réguliers et positifs avec la nature. En entretenant des potagers, en visitant des espaces verts, en les instituant comme « espaces de classes dehors ».
Une étude réalisée aux États-Unis a montré que les élèves qui vivaient de telles expériences sur un temps scolaire long obtenaient des résultats dans les disciplines de base de l’ordre de 5 à 15% supérieurs à ceux qui ne les vivaient pas. On remarquait aussi une amélioration de l’attitude scolaire et de la motivation à apprendre…
La pratique de la « classe dans la nature » (2) émerge en Belgique. J’ai moi-même emmené mes élèves régulièrement sur un terril. Ça n’a l’air de rien, mais les élèves s’y montraient beaucoup plus autonomes, motivés et coopératifs qu’entre les quatre murs de la classe. Et pour concrétiser des apprentissages et des concepts, c’est très bénéfique. À condition bien sûr de faire le lien entre ce qu’on apprend au dehors et dans la classe, en faisant émerger chez les élèves la conscience explicite de leurs apprentissages.
Comment décliner l’éducation à l’environnement tout au long de la scolarité ?
Dès la maternelle, la priorité consiste à nouer du lien physique, émotionnel et cognitif entre la nature et les élèves. C’est valable pour tous les âges mais en particulier avec les plus petits, pour qu’ils se familiarisent à l’environnement et développent le sentiment d’appartenir à la nature. Le sentiment de responsabilité se construira par la suite…
Il s’agit surtout de développer une continuité de l’enseignement des grands concepts de l’écologie scientifique : cycle, interdépendance, flux, énergie, adaptation, biodiversité, écosystème…
Cela amène un autre point : l’approche transversale et pluridisciplinaire. Par exemple, avec les plus grands, tout un travail autour de la philosophie et de l’argumentation peut être exploré. Partir en vacances en avion, pour ou contre ?, Préserver la biodiversité, pourquoi faire ?, Pourquoi une loi-climat ? … C’est une belle manière de travailler la conscience sociétale et l’esprit critique.
Enfin, développons la capacité d’agir de nos jeunes. Soutenons-les dans leurs projets, mettons-les en lien avec des experts, changeons les modes d’alimentation ou de déplacement avec eux, etc.
Par rapport à ce bagage dont il faudrait doter les élèves, les professeurs sont-ils suffisamment équipés ?
Ils ne sont pas très équipés, il faut bien le reconnaitre… À cet égard, le travail en équipe est précieux et il existe de plus en plus de formations, conférences et ressources sur ces sujets (www.reseau-idee.be).
Il faut également que l’école et les professeurs sachent qu’ils ne sont pas tout seuls. L’expertise est aussi à chercher dans les Régions, les associations… Au niveau politique, un l’accord de coopération entre la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale sur l’Éducation relative à l’environnement (ErE) (www.coopere.be) soutient l’ErE dans les écoles nous devons tous coopérer !
Propos recueillis par
Monica GLINEUR
(1) Enquête menée par l’ASBL Appel pour une école démocratique (APED : http://www.skolo.org/2019/10/04/jeunes-et-climat-que-savent-ils-que-veulent-ils/
(2) Le collectif Tous Dehors, qui rassemble notamment des enseignants, a notamment publié le livre Trésors du dehors (http://tousdehors.be/?LeLivre).
En deux mots
Instituteur de formation et licencié en Sciences de l’éducation, Christophe Vermonden est depuis trois ans chef de département Éducation à l’environnement de Bruxelles Environnement, l’administration chargée de la gestion de l’environnement et de l’énergie en Région de Bruxelles Capitale.
Instituteur à La Louvière pendant 11 ans, il a aussi eu une expérience en tant que conseiller pédagogique-relais pour l’enseignement catholique, dans le Hainaut, et de coordination d’un Centre régional d’initiation à l’environnement.
Il a aussi mené des activités de guide nature. Il est d’ailleurs toujours actif à l’ASBL Cercles des Naturalistes de Belgique (CNB), dont il est vice-président.
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