Magazine PROF n°10
Coté psy
Jeux de rôles pas drôles
Article publié le 01 / 06 / 2011.
Vieux comme le monde, le phénomène de bouc émissaire se désamorce qu’autant plus difficilement qu’il n’est pas nécessairement conscient…
Un objet perdu ? C’est lui. Un bavardage trop appuyé ? C’est de sa faute. Une mauvaise réponse du groupe de travail ? C’était son idée… Comment réagir face à ce qui peut rapidement devenir un phénomène de bouc émissaire ? Comment le détecter ? Comment faire la part des choses entre une dispute anecdotique, du harcèlement ou ce mécanisme par lequel un groupe semble se souder sur le dos d’un de ses membres ?
Pour Alexandre Castanheira, formateur à l’Université de Paix, ce qui distingue harcèlement et phénomène de bouc émissaire se situe au niveau de l’intentionnalité, de la conscience ou non de ce qui est en train de se mettre en place dans le groupe. « Le phénomène de bouc émissaire n’est pas nécessairement conscient au niveau du groupe. Si un objet est perdu, et que dans la classe on dit immédiatement que c’est untel ou untel, il n’y a pas nécessairement une intention consciente du groupe de tout lui mettre sur le dos. Alors que pour le harcèlement, ceux qui harcèlent ont ce type d’intention ».
Ceci étant, la question de savoir si le phénomène de bouc émissaire fait ou non partie du harcèlement n’est pas tranchée. Les études de victimisation (lire Pour en savoir plus), qui tentent de quantifier et de décrire les violences à l’école, n’en font pas une catégorie de violence particulière. Ses caractéristiques supposent toutefois des interventions spécifiques.
Un phénomène de groupe
Partant de l’analyse développée par René Girard, pour qui « bouc émissaire désigne simultanément l’innocence des victimes, la polarisation collective qui s’effectue contre elles et la finalité collective de cette polarisation » (1), M. Castanheira rappelle qu’il s’agit d’abord d’un phénomène de groupe. Il s’agit bien d’un rôle endossé par une personne au sein d’un groupe. Si la personne quitte le groupe, une autre peut très bien lui succéder dans ce rôle de bouc émissaire. Deuxième caractéristique : la personne ciblée est victime d’accusations a priori. Si un objet a disparu, le groupe n’envisage pas d’autre scénario que celui qui le conduit à désigner le bouc émissaire comme responsable de sa perte. Trois : « la victime porte des signes d’a-normalité. Tout est possible. Ça peut être le premier comme le dernier de la classe, ou un enfant qui a un niveau de langue, une origine ou des habits différents. Ou même un élève qui ne lève pas le doigt pour prendre la parole ». Enfin, « quelque chose fait tension dans le groupe et n’est pas exprimé ».
Face à cette tension, le bouc émissaire va renforcer la cohésion du groupe, à son corps défendant. On comprend immédiatement qu’une première action, presque préventive, consiste à travailler la dynamique du groupe. « L’enseignant, qui est membre à part entière du groupe, ne va pas laisser aller la dynamique se mettre en place toute seule : il va créer un climat conforme aux valeurs défendues dans l’institution », souligne M. Castanheira. Climat qui tient compte des besoins affectifs primaires des élèves : « le besoin de sécurité, d’être reconnus pour leurs compétences, d’avoir du plaisir à apprendre, de se sentir appréciés pour ce qu’ils sont, et d’avoir de la liberté ».
Au-delà de la dynamique de groupe, « rien n’empêche de travailler sur le phénomène de bouc émissaire lui-même. Notamment en donnant de l’information, adaptée à l’âge des élèves ». La littérature, le cinéma… ont largement traité la question. « C’est ce qu’on commence aussi à faire à propos du harcèlement. Il ne faut pas laisser ça dans l’ombre ».
Prendre le temps de vérifier
Et quand ça arrive ? « Il faut d’abord prendre le temps de vérifier ce qui se passe. Est-ce calculé ou innocent ? Y a-t-il une intention de nuire ? Est-ce persistant ? Quel est le contexte ? Des adultes sont-ils impliqués ? Est-ce qu’il s’agit de deux enfants qui jouent à se bagarrer, ou est-ce autre chose ? Si c’est vérifié, il est important que ça ne reste pas inconnu aux yeux des adultes ! » Et que ce soit clairement identifié, parce que la réaction ne sera pas identique selon que le phénomène touche un petit groupe d’enfants, une classe entière ou toute la cour de récréation…
Comme le phénomène concerne le groupe, il s’agit alors de travailler la relation. De mettre de l’énergie sur une meilleure façon de vivre de façon acceptable pour chacun. Et dans ce travail, il est essentiel de mettre en lumière le mécanisme, les rôles, plutôt que les personnes. « Se demander ce qui peut être opportun, pertinent, par rapport à celui qui tient le rôle de bouc émissaire, de persécuteur, de témoin… Et ne pas hésiter à faire appel aux ressources extérieures : les CPMS, les équipes mobiles, la médiation scolaire, Assistance écoles… »
D.C.
(1) Dans Le bouc émissaire, éd. LGF – Livre de Poche, coll. Biblio essais, 1986.
Comprendre pour agir
« Dans notre travail avec les enfants comme les enseignants, nous retombions souvent sur cette question du bouc émissaire, explique Alexandre Castanheira, qui a animé récemment une formation sur le sujet, avec Christelle Lacour. Dans notre expérience d’enseignants, nous y avions déjà été confrontés. Pour ma part, j’ai fait du mieux que j’ai pu, mais je manquais d’outils spécifiques.
C’est ce qui nous a décidés à rassembler ce qui nous semble utile et à organiser cette formation. Pour aider les participants à comprendre le phénomène, à intervenir, et à partager leurs pratiques ». L’Université de Paix envisage de la rendre disponible sur demande.
Pour en savoir plus
Morelle (M.), L’élève bouc émissaire à l’école élémentaire, mémoire réalisé dans le cadre de la formation à l’Institut universitaire de formation des maitres du Nord-Pas de Calais, 2003. Après une observation de ce phénomène dans différentes classes, l’auteur propose quelques pistes de réflexion pour faire face à ces situations délicates et souvent lourdes de conséquences pour les enfants concernés.
https://docplayer.fr/31228116-Marine-morelle-l-eleve-bouc-emissaire-a-l-ecole-elementaire.html
« Vide ton sac ! » Plusieurs services AMO (Aide en milieu ouvert) ainsi que le Service d’accrochage scolaire de Mons et le Service de médiation scolaire de l’arrondissement de Mons ont mis au point une animation visant à sensibiliser, informer et susciter une réflexion autour du sujet bouc émissaire en classe. L’objectif, à terme, est de rendre l’outil autonome, après formation des personnes intéressées. La formation s’accompagne d’une mallette pédagogique.
http://www.amolaccueil.be/actions
Lecocq (C.), Hermesse (C.), Galand (B.), Lembo (B.), Philippot (P.), Born (M.), Violences à l’école : enquête de victimation dans l’enseignement secondaire de la Communauté française de Belgique. Etude interuniversitaire commanditée par le Ministère de la Communauté française de Belgique, UCL/Ulg, 2003.
https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2004_num_149_1_3175
« Violences à l'école en Communauté française : Le regard du chercheur. Un portail pour découvrir ce que la recherche nous apprend sur les phénomènes de violence en milieu scolaire »
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