Magazine PROF n°11
Souvenirs d'école
Itinéraire d’un « gamin de rue » doué
Article publié le 01 / 09 / 2011.
Premier substitut, responsable de la section jeunesse du Parquet de Nivelles, Éric Janssens préside aussi l’Union francophone des magistrats de la jeunesse. Actif dans plusieurs associations d’aide à l’enfance, il vit ses engagements avec énergie et enthousiasme.
PROF : Vos premiers souvenirs scolaires ?
Éric Janssens : En maternelle, à l’École communale de Jolibois, à Woluwe-Saint-Pierre, à deux pas de ma cité sociale. Puis, en 1re primaire, mon premier contact avec l’injustice. Mon institutrice – qui portait toujours un béret mauve – prenait un malin plaisir à stigmatiser les enfants qui réussissaient moins bien, en particulier la fille de la coiffeuse, qu’elle coiffait régulièrement d’un… bonnet d’âne. Puis, ce fut, jusqu’à la rhéto, le Collège Saint-Hubert à Boitsfort, car mes parents, appartenant à la classe moyenne, voulaient m’inscrire dans une « bonne école avec un enseignement ambitieux et exigeant ».
Loin de votre quartier…
Un vrai déracinement. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps jusqu’à ce qu’une méningite m’oblige à manquer l’école pendant un mois en 2e primaire. À mon retour, l’instituteur m’a pris sous son aile, me faisant même passer individuellement les examens, si bien que j’ai vite dépassé les 80%, un score qui m’a accompagné jusqu’en 6e primaire. Ce collège était ouvert, tolérant, à forte mixité sociale, accueillant aussi bien des enfants de bourgeois que les « gamins de rue et des bois » que je retrouvais chaque soir.
Aujourd’hui, je perçois la chance que j’ai eue de me nourrir de ces deux mondes différents et complémentaires. J’enviais certains camarades qui partaient aux sports d’hiver. Mais je me rendais compte qu’ils ne bénéficiaient pas, eux, de cette liberté totale dans cet immense terrain de jeu, cette école de vie, qu’était la rue, où j’apprenais à construire des cabanes et des caisses à savon. De l’école, je prenais les bons côtés : les meilleurs épaulaient les faibles ; il régnait un esprit d’excellence que le bon élève que j’étais appréciait tout en reconnaissant que c’était un peu trop compétitif.
Vous êtes resté cet « élève brillant » en secondaire ?
Ce fut vite la « grande dégradation de l’adolescence ». Moins j’en faisais, mieux je me portais. Mais j’ai tout de même eu le souci de remonter, en rhéto, histoire de terminer sur une belle note. Après une 1re latine, j’ai opté pour le grec en 2e pour ne pas changer d’école alors que beaucoup me voyaient matheux ou scientifique. Je me souviens de moments de chahut « bon enfant » lors des cours d’un physicien de haut vol sans formation pédagogique et d’un prof de grec qui nous gratifiait de chants grégoriens.
Mais, globalement, je garde le souvenir d’enseignants soucieux d’axer leurs cours sur des valeurs qui nous permettaient de nous construire : démocratie, amour, justice. André Vanderborght, par exemple, ne mettait pas l’accent sur les (hauts) faits historiques, mais sur les leçons à en tirer. Ce sont ces valeurs qui me guident aujourd’hui : ce n‘est pas ce que l’on fait avec un jeune qui est important, c’est le sens que cela prend pour lui et pour ses proches.
Justement, votre vocation est née là ?
Pas directement ! En rhéto, j’étais indécis ; je manquais de maturité et je supportais mal l’enseignement non mixte, si différent de la vie de mon quartier. J’ai fini par m’inscrire en médecine, bravant l’avertissement d’un enseignant qui me disait que je n’avais pas appris à étudier. J’ai abandonné après trois mois puis, après un bref séjour en Angleterre, je suis allé jouer au football en 1re division au Beerschot où j’ai découvert le monde impitoyable et déshumanisant du sport professionnel. Avant de m’inscrire en droit, avec l’objectif de devenir juge de la jeunesse.
Pourquoi ce choix ?
J’ai toujours été passionné par l’éducation. Valoriser au maximum l’éducatif et l’enseignement est la meilleure des préventions. L’école m’a donné mon épine dorsale et a été un extraordinaire lieu d’émancipation. Ma formation et mon métier m’ont offert l’occasion d’être résilient, de relever le défi par rapport à mon origine sociale et à mon histoire familiale qui n’a pas été un long fleuve tranquille.
L’école actuelle est–elle davantage source de tensions qu’autrefois ?
Non, elle ne fait qu’intégrer toutes les évolutions positives et négatives de la société et du monde ; les questions éducatives se posent davantage au sein de l’école et les repères disparaissent. J’estime que les écoles d’aujourd’hui ne s’en tirent pas trop mal avec cela. J’en vois qui, avec les mêmes moyens que les autres, réalisent des projets extraordinaires.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
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