Magazine PROF n°14
Coté psy
Quand les mots ne sortent pas
Article publié le 01 / 06 / 2012.
Comment repérer la dysphasie, ce trouble du langage parlé ? Et que mettre en œuvre pour remédier aux difficultés qu’elle entraine dans les apprentissages scolaires ?
Alexis, 7 ans, diagnostiqué comme dysphasique, parle peu, utilise un vocabulaire limité et a des difficultés à exprimer ses pensées. On le comprend difficilement, car il oublie ou déforme des consonnes et des voyelles, réduit ou transforme des mots de plusieurs syllabes. Dans les phrases, il oublie souvent articles et mots-liens et ne respecte pas toujours l’ordre des mots.
Attention, ne dites pas dysphasie, mais bien dysphasies, au pluriel. Car ce retard profond et durable de la compréhension et/ou de l’expression du langage parlé présente de nombreux degrés, variantes et facettes. Bref, les dysphasies d’un enfant, qui pourraient être d’origine génétique (ce sont en majorité des garçons) ou s’expliqueraient par un dysfonctionnement neurobiologique provoquant des perturbations cérébrales, sont aussi uniques et personnelles que ses empreintes digitales.
D’où la nécessité de poser un diagnostic précis sur les plans logopédique et psychologique. Il doit tenir compte des antécédents familiaux et personnels de l’enfant, de symptômes qu’il faut intégrer dans l’ensemble de son développement physique et psychologique et dans son évolution, des caractéristiques de l’environnement familial et scolaire. Sans oublier une évaluation neuropédiatrique. Notamment pour déterminer si des enfants « non parlants » sont dysphasiques de manière prédominante, ou s’ils souffrent d'une combinaison de handicaps parmi lesquels la dysphasie résulterait d'autres troubles tels que la surdité, l’autisme, une déficience mentale,…
Poser un diagnostic précis
« Ce diagnostic peut rarement être posé avec une bonne probabilité avant l’âge de 5 ans, quand l’enfant est scolarisé en maternelle, explique la neurolinguiste Eleni Grammaticos, coauteure d’une recherche menée de 1996 à 2002 (1). Mais il vaut mieux ne pas attendre un diagnostic précis pour le prendre en charge. En cas de suspicion, le premier réflexe est de faire contrôler son audition, puis il faut l’orienter vers un logopède spécialisé ».
On peut tout de même constater chez bon nombre d’élèves dysphasiques des dysfonctionnements linguistiques communs. Ce sont des enfants qui ont acquis tardivement le langage ; certains ne parviennent à former des phrases que vers 5 ou 6 ans, malgré un bon développement psychomoteur.
Sur le plan phonologique, ils reconnaissent, prononcent et articulent difficilement certains sons, peinent devant des mots longs. Sur le plan sémantique, ils peuvent ne pas trouver le mot à utiliser, employer des termes fourretouts ou communiquer par des gestes et des mimiques,… Et sur le plan syntaxique, utiliser des phrases minimales, rencontrer des difficultés à utiliser les flexions verbales, les déterminants, la voix passive ou plus largement, à exprimer leurs pensées.
Ces symptômes s’accompagnent souvent d’autres troubles qui ne sont pas spécifiques aux dysphasiques et varient selon le type de dysphasie et les ressources personnelles de l’enfant. Cela peut-être des troubles de la mémoire auditive et verbale, de l’attention et de la concentration, des relations de dépendance, de l’hyperactivité,… « Ce sont des enfants déroutants dont les résultats scolaires reflètent mal les possibilités intellectuelles », poursuit Eleni Grammaticos.
D’une manière générale, ces élèves suivent difficilement le rythme scolaire, ils rencontrent de grosses difficultés dans le passage de l’oral à l’écrit. Outre la lecture et l’écriture, d’autres matières sont touchées, notamment les mathématiques en raison de troubles d’orientation spatiale, de difficultés d’abstraction,… Beaucoup présentent aussi un trouble d’acquisition de la coordination motrice qui s’exprime principalement sur le plan de l’écriture.
Des stratégies de contournement
Ces dysfonctionnements communs permettent d’envisager des stratégies qui, sans être généralisables et systématiques, peuvent contourner les difficultés d’apprentissage. Ces stratégies peuvent être verbales comme le fait de ralentir le débit, de formuler des phrases courtes en mimant simultanément avant d’introduire progressivement des phrases plus complexes. Elles peuvent être non verbales : il s’agit alors de développer la gestualité, d’enrichir le message verbal avec des dessins, des images, … L’on peut aussi lui laisser le temps de comprendre la question et d’y répondre. Dans l’enseignement secondaire, en particulier, divers moyens pratiques peuvent être envisagés : minimiser le rôle du facteur vitesse dans les travaux à effectuer ou encore susciter et encourager l’usage du dictionnaire
Même si la dysphasie ne peut être guérie, ces stratégies, associées à une réadaptation fonctionnelle logopédique, permettront d’améliorer le quotidien de ces enfants et leur ouvriront la porte de certains apprentissages.
Catherine MOREAU
(1) GRAMMATICOS E., KLEES M., POZNANSKI N., ROTSAERT M., SZLIWOWSKI H., WETZBURGER C., Les besoins éducatifs des enfants dysphasiques, Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 1996-2002. Cette recherche a notamment abouti à la rédaction d’un manuel téléchargeable : Les besoins éducatifs des enfants dysphasiques - Manuel pratique de dépistage de la dysphasie, d’évaluation et d’aides pédagogiques.
http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=1895&do_check=
Un travail collaboratif
Reconnu dysphasique à 5 ans, Jérôme a fréquenté l’enseignement ordinaire, à la demande de ses parents. « Nous avons puisé dans le capital-périodes pour lui aménager des moments de travail individuel avec des enseignants, en dehors ou au sein de la classe, explique François Desloover, directeur de l’école Saint-Vincent, à Belœil. En classe, Jérôme faisait le même travail que les autres, même s’il bénéficiait de dictées et de lectures allégées. L’équipe éducative l’a toujours maintenu dans son groupe, où il n’y avait ni moqueries, ni jalousie. Ces mesures et le caractère volontaire de Jérôme, l’ont aidé à prendre confiance en ses possibilités ».
Ce cheminement est le fruit de la bonne collaboration entre toutes les parties : l’équipe enseignante, la logopède, la neurolinguiste, l’enfant et la maman qui a fourni des informations sur la dysphasie, soutenu son fils en imaginant des supports visuels aux apprentissages.
En échec à l’épreuve de français du CEB, Jérôme a bénéficié d’un avis favorable du conseil de classe, avant de gagner le premier degré du secondaire, à l’IPES Paul Pastur, à Ath.
Complément bibliographique
• Le site de l’Association de parents d’enfants aphasiques et dysphasiques (APEAD) propose un ensemble d’informations et de ressources, parmi lesquelles la brochure gratuite Aphasie et dysphasie chez l’enfant et La dysphasie… et si on en parlait simplement, vidéocassette de 40 minutes qui explique la dysphasie, le diagnostic, la prise en charge et livre des interviews de spécialistes et de parents. http://www.dysphasie.be
• GÉRARD Ch. L’enfant dysphasique, Bruxelles, De Boeck, 2003.
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