Magazine PROF n°1
Focus
« Tous les élèves sont des autodidactes »
Article publié le 01 / 03 / 2009.
Dans sa classe de l’école communale L’Envol, à Faulx-les-Tombes, Michèle Visart pratique la gestion participative, qui renverse le triangle « maître-élève-programme » et place l’acte d’apprentissage au centre du jeu. Focus sur « une autre façon de penser l’école ».
Quittez l’autoroute, suivez le Samson et vous y êtes. L’Envol a quitté son rang d’école de village et élargi ses murs. Sous les combles, la classe de 3e, 4e, 5e et 6e primaires de Michèle Visart. Trente ans de métier, dont une quinzaine à l’Envol. Et toujours « hors des clous ». Son credo ? La classe en gestion participative. « Un choix de départ. Une intuition : les élèves sont les seuls capables de me dire ce dont ils ont besoin pour apprendre ».
Trente ans après ? Une pratique ancrée dans des valeurs solides, et dont la cohérence impressionne. Militante (1), Michèle Visart s’étonne presque de l’intérêt qu’on lui porte. Lauréate du prix École et citoyenneté 2008 (2), elle accueille sans forfanterie des journalistes ou des collègues en formation.
Les enfants sont coauteurs de leur savoir
Côté « citoyenneté », ses outils sont rodés. L’audace réside ailleurs : dans sa classe, les élèves ont leur mot à dire sur les contenus pédagogiques et l’évaluation de leurs apprentissages. Ce lundi-là, elle fait écrire aux enfants « tout ce que vous avez appris depuis septembre ». Objectif : réviser pour le contrôle de décembre. Ils tâtonnent. Elle recadre : « Là, je vois ‘conjugaison’. Ça veut dire qu’au contrôle je peux poser des questions sur tous les temps ? Précisez un peu… »
Au tableau, elle note et organise les réponses de sa vingtaine d’élèves, par discipline et par niveau. Étonnamment, les apprentissages reviennent à la surface, comme sortis d’une mémoire vive mobilisée par l’exercice collectif. Plus tard, Michèle Visart suggérera de rajouter des éléments de géométrie oubliés en chemin. Et chacun définira dix « matières » à maitriser au contrôle de décembre. « Est-ce que ça sert à quelque chose de faire des contrôles sur des choses dont on sait qu’on les connaît très bien ? », justifie-t-elle devant sa classe, pas étonnée pour un sou…
« Les enfants sont co-auteurs de leur savoir », insiste l’institutrice, qui revendique une pratique basée sur « la vision d’un monde idéal, qui reconnait la participation de tous », et pas nécessairement dans des rôles définis une fois pour toutes. « Le jeudi, par exemple, je dis que j’ai des apprentis qui m’aident à donner cours. Cécile a un problème pour distinguer ‘à’ de ‘a’ ? Un autre élève se proposera pour l’aider ».
Après la récréation, correction collective des textes écrits pour le blog. « Comment fait-on pour que ce soit efficace ? » Très vite, on se met d’accord : les 3es s’occupent des majuscules aux noms propres, les 4es, des majuscles en début de phrase et des points, les 5es, des ‘a’ ou ‘à’, « mais peuvent faire plus », et les 6es, des ‘é’ ou ‘er’.
Et tout cela se passe dans la plus grande fluidité. Chez Michèle, on peut s’asseoir sur des ballons plutôt que sur des chaises, sortir de la classe pour aller aux toilettes sans le demander… Fixées ensemble, les règles de vie s’observent sans cri ni même remarque !
Le paradis en classe ?Tous ne le voient pas de cet oeil. « Quand j’ai proposé de prendre les 3, 4, 5 et 6es, j’ai voulu qu’on annonce clairement que c’est une classe à projets. Et qu’il ne faut pas rouspéter parce que les enfants n’ont pas trois fardes pleines à la fin », confie Michèle Visart. D’où le débat animé du forum (lire "On ne travaille pas dans la sueur, on apprend").
Les contrôles font partie de l’apprentissage
Pour respecter les rythmes de chacun, « c’est une question d’organisation. Après une leçon, tous les élèves ont un quota minimal d’exercices, après lequel la majorité ont compris avec quelques difficultés, quelques élèves ne sont pas allés jusqu’au bout, et quelques-uns ont tout fait. Après vérification, l’institutrice peut moduler. Et chaque jeudi après-midi est consacré à ceux qui ont beaucoup de difficultés ».
Et le programme dans tout ça ? « Je sais que certains ne vont pas apprécier, mais à l’École normale, il faudrait apprendre par coeur les compétences minimales à acquérir, pour qu’à chaque leçon on sache très précisément tout ce qui est en jeu. Tout à l’heure, Marius a lu son texte dans lequel il a écrit un verbe au passé simple. Il l’a vérifié en corrigeant avec le Bescherelle. Je l’ai simplement souligné, mais quand je sentirai que tous mes 5es sont prêts, on verra le passé simple ». Pour ce qui est de l’orthographe, les élèves de Michèle Visart mettent un point d’honneur à livrer des textes sans fautes pour le blog de la classe. Une des multiples façons par lesquelles notre interlocutrice donne du sens à l’apprentissage.
Nourri par des années de réflexion et pas mal de lectures, le travail de Michèle Visart repose aussi sur quelques idées fortes. « Un : je vais à l’école pour apprendre. Deux : ça se passe dans le respect de soi, des autres, et de l’environnement. Trois : le principe de la socio-construction. J’utilise souvent une image : si je coupe toutes ces têtes, j’obtiens tout ce qu’il faut connaître. L’idéal, c’est que tous l’aient, donc ça vaut la peine d’écouter ce que disent les autres… »
Évidemment, cela suppose de l’enseignant qu’il revoie sa place. « Mon rôle, c’est d’être un guide, parce que parfois je dois trouver les mots justes par rapport à leurs souhaits. Je suis un référent pédagogique, bien sûr : c’est moi qui choisis comment on organise la matière. Et je suis un médiateur, dans tous les sens du terme : relationnel, intellectuel, mais aussi un médiateur de la personne par rapport à elle-même ». Pour Michèle Visart, la gestion participative de la classe n’est possible qu’à condition de « penser autrement, de mettre l’adulte à une autre place, plus riche parce que plus variée, et d’avoir une solide organisation… »
Didier CATTEAU
(1) On trouvera de passionnantes lectures sur la gestion participative sur son site {lien_externehttp://|www.et-demain-en-classe.org}, auquel accèdent aussi ses élèves, qui y trouvent notamment des exercices.
(2) Un prix organisé par l’ASBL Promopart remis aussi à trois enseignants de l’École communale de Compogne, à deux institutrices de l’École Sainte-Marie (Bruxelles), et à l’équipe de l’École Saint-Remacle (Aye).
« On ne travaille pas dans la sueur, on apprend »
Lundi 3 novembre. Forum des « Michèlois ». « Les autres ils disent qu’on ne travaille pas ! » Indignation générale. Au vote, ce thème surclasse les vacances de Toussaint et même la prochaine balade à vélo. Alors on en parle. Ça fuse, ça purge. « Eux ils disent ça parce qu’on fait des projets », lâche l’une. « Je crois qu’ils ne comprennent pas que même quand on fait des projets on apprend », analyse l’autre. « Ils nous voient travailler mais ne veulent pas l’enregistrer parce qu’ils ont leurs idées toutes faites », risque un troisième. Mais « c’est dommage que même des parents le disent aussi qu’on ne travaille pas… »
« Et vous, vous avez l’impression que vous ne travaillez pas ? », interroge l’institutrice. Désapprobation unanime et bruyante. Michèle Visart rassure par les trajets des anciens, explique pourquoi elle n’a pas voulu lâcher une élève qui avait réussi en éveil et maths mais pas en français…
Et maintenant, on fait quoi avec ça ? Nouveau tour de piste, sur les solutions. Les « Michèlois » inviteront ceux qui les critiquent dans leur classe, pour qu’ils voient que « chez nous, on ne travaille pas dans la sueur, mais on apprend ! »
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