Magazine PROF n°18
Coté psy
Un élève avec autisme décode difficilement nos mots, nos émotions
Article publié le 01 / 06 / 2013.
Angoissé parce qu’il ne comprend pas notre monde et ne peut éprouve de profondes difficultés à l’exprimer : voilà, esquissé en bref, le croquis de l’élève autiste. Éric Willaye, docteur en psychologie et directeur du Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme (1), détaille ce trouble du développement.
PROF : Au-delà de toutes les variations individuelles, peut-on repérer des traits communs aux enfants ou adolescents qui souffrent de l’autisme ?
Éric Willaye : On considère les troubles du spectre de l’autisme comme des troubles envahissants – c’est-à-dire profonds, chroniques et aigus - affectant l’ensemble du développement ou du fonctionnement dans les domaines cognitif, sensoriel, affectif,... Précoce (il apparait avant l’âge de 3 ans), l’autisme se manifeste, à des degrés d’intensité variable selon la gravité du trouble et selon l’âge de l’enfant, par l’altération de la qualité des relations sociales, de la communication, et par des comportements répétitifs et des intérêts restreints.
Concrètement, cela ne veut pas dire que cette personne refuse tout contact avec autrui, mais plutôt que cette relation n’est souvent pas adaptée à la situation rencontrée. Un exemple : pour établir le contact avec un nouveau professeur, cet élève lui demandera : « Quelle est ta taille ? ». Alors que nous décodons presque automatiquement les intentions, les émotions et les sentiments des autres, l’enfant ayant de l’autisme arrive difficilement ou bien plus lentement à se mettre à la place de quelqu'un d'autre.
Une autre caractéristique, c’est l’altération qualitative de la communication. Lorsqu’il est capable de parler, un élève ayant de l’autisme ne cherchera pas ou n’attendra pas de réponse en retour. Il répètera des sons, des mots ou des phrases entendus, par exemple. Et s’il ne peut utiliser un mot, il ne compensera pas (ou peu) ce manque par des moyens de communication non verbaux, comme des gestes, des mimiques,…
S’ajoute le caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités. C’est un enfant, un ado qui accomplit les choses dans le même ordre dans des routines, prend toujours le même chemin ou adopte un comportement stéréotypé (balancement, battement des mains et des jambes,…). Certains, de haut niveau, se focalisent sur un centre d’intérêt – l’horaire des trains, le mouvement des planètes,… Tous ces comportements ont le même objectif : retrouver des choses connues, éviter le changement qui peut être source d’angoisse et de confusion. Ces caractéristiques peuvent s’accompagner de troubles du comportement, de retard de développement et de perturbations sensorielles.
A-t-on déterminé ses causes ? Y a-t-il aujourd'hui une explication qui suscite l'adhésion des spécialistes ?
De nombreuses hypothèses ont été avancées. Il y a un accord pour dire aujourd’hui que l’autisme provient d’un dysfonctionnement du cerveau. Mais sur les causes, il n’y a actuellement aucune réponse ultime et unique.
Quels sont les effets de ces caractéristiques sur le plan des apprentissages scolaires ?
Les élèves autistes rencontrent des difficultés de langage et de compréhension des concepts abstraits, du langage figuré (que veut dire, par exemple, l’expression La nuit tombe ?), d’organisation du temps et de l’espace. Mais les caractéristiques de l’autisme peuvent donner à ceux qui n’ont pas de déficiences intellectuelles certains atouts : une pensée plus visuelle que verbale, logique, peut faciliter l’apprentissage des maths, des sciences,… Certains peuvent retenir des informations d'une manière exacte et très détaillée, se concentrer longtemps sur certaines tâches ou certains sujets et manipuler des données complexes.
Comment prend-on en compte ces troubles dans l'enseignement?
Soyons clair : il y a autant d’autismes que d’élèves avec autisme d’où la difficulté d’établir un diagnostic précis et systématique. D’une manière globale, ces élèves peuvent progresser pour autant que les apprentissages soient adaptés à leurs besoins et à leur potentiel. Cela nécessite donc des stratégies adaptées et des projets très individualisés selon les capacités cognitives et de communication.
Dans l’enseignement spécialisé, un certain nombre d’écoles organisent des classes adaptées aux élèves ayant de l'autisme. Ces classes ont adopté des principes du programme TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communications handicapped Children) ainsi que d'autres stratégies complémentaires. Ce programme éducatif vise à rendre l’enfant le plus autonome possible dans ses milieux de vie et à lui donner des stratégies de communication pour pouvoir comprendre son environnement et se faire comprendre par son entourage.
Concrètement, on s’efforce de mettre en place pour chaque élève un environnement stable et prévisible en structurant la classe en espaces dédiés à des activités précises, en accordant la priorité au visuel (mots, dessins, objets,…) et en misant sur la routine de travail pour organiser son emploi du temps.
Cela demande évidemment un processus d’adaptation réciproque entre l’élève et l’enseignant et une collaboration entre parents et professionnels.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
Formés et observés
La recherche-action Transfert, menée par le Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme (SUSA) a pour objectif d’évaluer un module de formation en cours de carrière destiné aux personnels de classes à pédagogie.
Depuis 2009, plus de deux cents personnes ont participé à un module de formation de six jours organisé par l’IFC et consacré à l’autisme. Des enseignants, mais aussi des personnels paramédicaux, d’agents de centre PMS, de conseillers pédagogiques,… qui, pour la plupart, travaillent dans des classes à pédagogie adaptée, au sein de l’enseignement spécialisé (1).
Trois journées, en interréseaux, étaient consacrées à une formation théorique sur l’autisme. Deux autres, en réseau, ont permis aux stagiaires de mettre les apprentissages en pratique sous la supervision de maitres de stage formés et de conseillers pédagogiques, dans des classes d’application du fondamental et du secondaire. La dernière journée, en interréseaux, était consacrée à la présentation des travaux personnels réalisés par les participants à la suite de la formation pratique.
Ce processus de formation a fait l’objet d’une recherche-action menée par le Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme (SUSA), avec l’aide du cabinet de la ministre de l’Enseignement obligatoire.
L’équipe a voulu mesurer auprès d’une petite centaine de participants, en 2010-2011 et 2011-2012, l’évolution des connaissances sur l’autisme, et vérifier si la formation pratique leur a permis de mieux fixer ces acquis théoriques. Elle a aussi évalué, par un questionnaire et une grille d’observation, la progression de la qualité des classes des participants avant et après la formation.
« Nous avons observé plusieurs secteurs : le plan individuel d’apprentissage (PIA), la structure de l’espace et du temps, l’apprentissage de l’autonomie, les outils de communication mis en place, la collaboration avec les parents,…, explique Monique Deprez, docteure en Sciences de l’Éducation et membre du SUSA. Nous avons aussi mesuré, dans ces mêmes secteurs, l’évolution de la qualité des classes d’application suite à leur implication dans la formation pratique des participants. Pour chacun de ces secteurs, tant dans les classes d’application que dans celles des participants, la progression est vraiment significative ».
« Grâce à cette formation, j’ai pu sensibiliser mes collègues, explique Eric Grandjean, enseignant à l’École fondamentale Les Chardons, à Chastre. Formation théorique et pratique sont complémentaires ; la théorie précise et clarifie les idées tandis que la pratique incite à voir comment s’y prendre dans telle ou telle activité et peut donner des pistes de changement ».
Le rapport complet de cette recherche-action, remis en mars 2013 au cabinet de la ministre, présente les conditions de la pérennisation de ces formations. C’est que cette formation comporte des atouts : articulation entre théorie et pratique permettant le réinvestissement rapide des acquis, complémentarité entre formation en réseau et interréseaux, durée, accompagnement par des pairs… Sans oublier, pour les écoles accueillant des stagiaires, la possibilité de remettre en question leurs propres méthodes et de prendre du recul grâce à un échange entre professionnels.
Catherine MOREAU
(1) Ces classes répondent aux critères définis par la circulaire 2876 du 16 septembre 2009 (http://bit.ly/16elrTu). Organisées actuellement pour les élèves avec autisme dans 79 implantations (23 en maternel, 34 en primaire, 22 en secondaire), elles comptaient 944 élèves en 2012-2013.
Pour en savoir plus
• L’Association Participate, rassemblant les huit centres de référence pour les troubles du spectre de l’autisme et deux associations de parents, a créé le site http://www.participate-autisme.be, qui propose des informations, des stratégies d’éducation et un guide pratique pour trouver et transmettre des informations sur l’autisme de l’enfant.
• SCHOPLER E., LANSING M., WATERS L., Activités d’enseignement pour enfants autistes, Paris, Masson, 2001.
• SCHOPLER E., LANSING M., REICHLE R.J., Stratégies éducatives de l’autisme, Paris, Masson, 2002.
• UNAPEI, ARAPI, L’autisme, où en est-on aujourd’hui ? État des connaissances. Repères pour les accompagnants, Paris, Unapei, 2007.
• ROGE B., Autisme, comprendre et agir, Paris, Paris, Dunod, 2003.
Moteur de recherche
Tous les dossiers
Retrouvez également tous les dossiers de PROF regroupés en une seule page !