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Magazine PROF n°26

 

L'info 

Quand les cordes vocales trinquent

Article publié le 01 / 06 / 2015.

Instrument de travail des enseignants, la voix mérite bien des égards. Comment l’utiliser de manière optimale et la préserver à l’école ?

Angélique Remacle a consacré sa thèse de doctorat à la charge vocale des enseignants (1). Autrement dit, à la quantité de voix produite et au travail réalisé par les cordes vocales sur une période déterminée.

Mme Remacle a notamment mesuré chez plus de quarante enseignantes du maternel et du primaire (2), et pendant une semaine, la durée d’utilisation de la voix, son intensité (faible ou forte), sa fréquence fondamentale (grave ou aigüe), en classe et dans la vie privée.

Les enseignantes utilisent leur voix de manière bien plus intensive à l’école que dans la vie privée.
Les enseignantes utilisent leur voix de manière bien plus intensive à l’école que dans la vie privée.
© Fotolia/Luismulinero

Ces enseignantes ne souffraient d’aucune pathologie liée à la voix. Pour effectuer ces mesures, la chercheuse a utilisé un accumulateur vocal, petit capteur de vibrations des cordes vocales, collé sur le larynx.

Trop longtemps, trop fort, trop haut

Les résultats ? Ces enseignantes utilisent leur voix de manière bien plus intensive à l’école que dans la vie privée. En classe, l’intensité vocale, mesurée à 15 centimètres de la bouche, est de 80 décibels contre moins de 75 au dehors. Et, devant les élèves, leur fréquence moyenne est d’environ 260 Hz (contre 240Hz à l’extérieur de l’école). La voix est donc plus aigüe pendant les cours.

Les mesures indiquent qu’au cours d’une journée, les cordes vocales d’une enseignante vibrent plus d’un million de fois au travail et plus d’un demi-million de fois à domicile. La charge vocale est plus élevée chez les enseignantes des classes maternelles où les apprentissages passent essentiellement par le langage oral.

C’est grave, docteur ?

Cette charge vocale élevée peut entrainer certains troubles. Le surmenage et le malmenage peuvent se manifester par des sensations de fatigue, d’effort ou d’inconfort pour produire la voix ; par une gêne dans la gorge, un raclement, un toussotis. Une modification de la qualité vocale (dysphonie) peut également survenir: voix rauque, moins puissante, plus grave, etc. Voire même une impossibilité de produire des sons (aphonie).

Ces troubles diminuent les possibilités de communication et peuvent avoir des conséquences sur le plan psychologique et émotionnel.

Une étude menée récemment au CHU de Liège montre que 20% des travailleurs qui consultent un ORL pour un problème de voix sont des enseignants (3). Les futurs enseignants composent également une part importante des personnes qui consultent des spécialistes pour des troubles de la voix.

Notons que certains facteurs peuvent alourdir la charge vocale et favoriser ces troubles. Les femmes – surreprésentées dans l’enseignement – ont des cordes vocales plus courtes et plus minces que celles des hommes, ce qui entraine une fréquence vibratoire des cordes vocales plus élevée.

L’âge peut également diminuer la performance vocale (vieillissement naturel de la voix). Mais le faible degré d’expérience des enseignants débutants peut aussi faire grimper la charge vocale. S’ajoutent des facteurs externes comme des conditions acoustiques défavorables, un bruit de fond élevé, la poussière de craie, une hygrométrie insuffisante,…

Sensibiliser les enseignants

Angélique Remacle insiste : la qualité de la voix du pédagogue est étroitement liée à la qualité de l’apprentissage des élèves. Ceux-ci éprouveront des difficultés à discriminer et à comprendre le message transmis lorsque la voix du pédagogue est altérée. Selon Linda Bsiri, formatrice en voix parlée et chantée, les enfants perçoivent et absorbent certains états émotionnels (fatigue, stress) perceptibles dans la voix de l’enseignant. Et ils peuvent y réagir par l’agitation ou la somnolence.

Il est donc important de sensibiliser les enseignants et les futurs enseignants au fait que leur profession demande une quantité d’utilisation vocale significative, variable selon les individus et les circonstances. Angélique Remacle : « Il faut que chaque enseignant apprenne à connaitre ses propres limites vocales et en tienne compte dans l’organisation de son programme, en alternant par exemple les activités nécessitant un usage vocal élevé avec des activités permettant la récupération et le repos vocal. Il est important aussi qu’ils soient capables de détecter les signes de surcharge vocale et qu’ils reçoivent des conseils d’hygiène vocale pour économiser leur voix. C’est ce que recommande d’ailleurs le Bureau international d’audiophonologie » (4).

On notera encore que les pathologies vocales chez les enseignants sont reconnues comme des maladies professionnelles. Ceux qui en souffrent peuvent introduire une demande  de réparation des dommages auprès du service de santé administratif (Medex) et obtenir le droit au remboursement de certains frais médicaux et à des adaptations pour le travail (micro…) http://www.bit.ly/1SKDYtI

Catherine MOREAU

(1) Thèse effectuée au sein de l’Unité Logopédie de la Voix de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation de l’Université de Liège. Téléchargeable via http://hdl.handle.net/2268/147560
(2) A. REMACLE & al., « Dosimétrie vocale chez des enseignantes des niveaux maternel et primaire », dans Les Cahiers de l’ASELF, vol. 10, fasc. 4, 2013. Téléchargeable via http://hdl.handle.net/2268/160693
(3) « Quel est le profil professionnel des patients consultant en phoniatrie ? », communication orale (non publiée) au 70e Congrès de la Société Française de Phoniatrie. http://hdl.handle.net/2268/172957
(4) Recommandation 27/1 du Bureau international d'audiophonologie: http://bit.ly/1EYYUYt

 

La voix : entre physiologie et psychologie

Qui n’a jamais entendu « On a reconnu ta voix »? Normal : chaque empreinte vocale est déterminée par des caractéristiques physiques (taille des cordes vocales, forme des fosses nasales, de la cavité buccale,…), et des éléments extérieurs (tabagisme,…). Mais il y a plus : pour la psychosociologue Bernadette Bailleux, la voix transmet les émotions, bien souvent inconsciemment.

Pour Sandrine Nicolas, maitre-assistante en éducation musicale à la Haute École Albert Jacquard (Namur), « nos cordes vocales se situent dans le larynx, une zone très innervée. Elles sont donc très sensibles aux informations transmises par le cerveau et les sons produits transmettent aussi des messages psychoaffectifs. Tu n’es pas en forme, cela s’entend à ta voix, entendra-t-on ».

Pour l’enseignant, la voix est un outil professionnel à entretenir, à protéger et à rendre le plus efficace possible. Pour garantir l’écoute et la compréhension de ses élèves, pour gérer la classe. Cela suppose de connaitre le fonctionnement de l’appareil phonatoire, mais aussi de se familiariser avec « sa » voix, de repérer les déséquilibres dans la gestion du souffle ou de la posture, et de les corriger.

« S’enregistrer permet de se mettre à la place des élèves. Le résultat peut être surprenant », observe Mme Nicolas. Et il peut amener l’enseignant à travailler sa voix pour la rendre plus efficace ».

Ce n’est pas toujours évident ! Dans le cadre d’un master en Sciences de l’éducation, Mme Nicolas a interrogé de futurs instituteurs sur la perception de leur voix et les problèmes rencontrés dans ce domaine, lors des stages. Cela a débouché sur la mise en place de dispositifs de formation spécifiques, ciblant une meilleure technique vocale et des outils pour protéger et entretenir ce futur outil de travail.

Mais cette recherche a aussi permis d’observer qu’un changement de la voix ne va pas de soi. « Cela demande de passer par un stade d’acceptation, explique Mme Nicolas. Car la  voix, appréciée ou non, est un facteur de reconnaissance par l’entourage ».

C. M.

Comment préserver sa voix ?

Voici quelques conseils… à moduler en fonction des circonstances et du public.

© Fotolia/Olly

Avant la classe

• Bailler bruyamment et s’étirer au réveil pour faire travailler les articulations ; ouvrir la cage thoracique et stimuler la respiration abdominale.

• Chanter le matin sous la douche car l’humidité dégage l’appareil respiratoire. Chanter permet aux cordes vocales de vibrer de manière régulière et les rend plus résistantes aux chocs. Si l’envie et l’occasion se présentent, suivre un cours de chant ou participer à une chorale peut être très bénéfique.

• Boire de l’eau après le petit déjeuner et… le brossage des dents. Café, chocolat, jus, dentifrice,… agressent les cordes vocales.

• Prévoir dans ses préparations de cours des pauses vocales. Des méthodes alternatives et inductives offrent évidemment à la voix davantage d’occasions de se reposer. Créer dans le cours des moments de blanc, utiliser le silence pour donner de l’intérêt à ce qu’on va dire.

© Fotolia/Olly

À l’école, en classe

• Adopter une posture corporelle propice : détendre bras, épaules, nuque, buste, dos et jambes, pour permettre la prise de souffle, le balayage visuel. Adopter un débit verbal modéré à lent, permettant de bien articuler ; varier hauteur et intensité de voix pour capter l’attention des élèves.

• Apprendre à maitriser la respiration dite abdominale. Lors de la prise de parole face à toute la classe, prendre le temps de respirer avant de parler. La voix se trouve ainsi posée, placée. Si la respiration est réellement bien pratiquée, la voix peut être projetée sans aucun effort du larynx.

• Quand la voix commence à se fatiguer, respirer, ralentir le débit, diminuer l’intensité.

• Désigner dans la classe un responsable « bruit » ; instaurer des temps de repos ; pour obtenir le silence, utiliser des pictogrammes ou des objets sonores, comme le bol tibétain, plus agréable que le sifflet !

• Boire très régulièrement de l’eau pour nettoyer les cordes vocales et notamment éliminer la poussière de craie. Et, pour éviter de l’absorber, ne pas parler et écrire au tableau en même temps.

À l’école, hors de la classe

• Se protéger lors des écarts de température : en hiver lorsqu’on sort d’un local surchauffé pour gagner la cour de récréation, se couvrir la gorge et éviter de parler pour maintenir la température du larynx.

• Éviter, dans la mesure du possible, d’élever la voix de manière brusque (pour faire stopper une bagarre, par exemple). Dans ce cas, la posture du corps se modifie, on projette le larynx vers l’avant, on étire le cou pour passer en voix de tête. Autant de facteurs qui nuisent à la voix. Il vaut mieux prendre le temps de se poser, les deux pieds sur le sol, la tête légèrement penchée en avant. Et se déplacer au lieu de vouloir surmonter le bruit ambiant.

Après la classe

• En fin de journée, en cas de fatigue vocale, éviter de manger ou boire trop chaud ou trop froid ; de manger trop épicé ; éviter de parler ; privilégier les moments de détente et d’écoute.

Et encore

• Aérer régulièrement le local de façon à renouveler l’air en oxygène et à évacuer le CO2. Et veiller à réguler la température du local afin d’éviter toute surchauffe, l’air sec et chaud étant nocif pour les cordes vocales.

• Améliorer l’acoustique d’une classe, en la meublant avec une bibliothèque, des tentures, en équipant les pieds de tables et chaises de tampons en caoutchouc.

C. M.

 

"J’ai senti ma voix s’épuiser"

Voici deux témoignages recueillis lors d’une formation consacrée à la gestion de la voix, qui restera au programme de l’IFC en 2015-2016 (http://www.ifc.cfwb.be)

« Durant mes stages à l’École normale, j’avais déjà souffert de fatigue vocale, explique une jeune enseignante dans le spécialisé. Je dois régulièrement élever la voix face aux comportements de certains élèves. Lors de la formation initiale, la professeure de musique avait insisté sur l’importance de préserver notre voix, mais sans nous donner les outils pour y parvenir ».

Colette Charles, professeure d’éducation physique, enchaine : « Enseignant dans un grand hall à des classes de garçons, j’ai senti ma voix s’épuiser au fil des années. Il ne m’a pas fallu longtemps après la rentrée dernière pour avoir une extinction de voix. Un examen médical m’a rassurée : pas de nodule sur les cordes vocales. Mais je souhaite trouver les moyens de préserver ma voix sans avoir recours à des médicaments ».

 

Pour en savoir plus

BENZAQUEN Y., SOS Voix : Retrouver, comprendre et maitriser sa voix en toutes circonstances, éd. Guy Trédaniel, 2010.

BSIRI L., Guide de la voix à l’usage des enseignants, Paris, éd. Retz (coll. Pédagogie pratique), 2010.

CHEVILLOT–SAUGER A., La voix : un outil précieux pour l’enseignant, Bruxelles, éd. De Boeck, 2012.

HEUILLET G., GARSON-BAVARD H., LEGRÉ A., Une voix pour tous - La voix normale et comment l’optimaliser, Marseille, éd. Solal, 2007.

D’ORMEZZANO Y., Le guide de la voix, Paris, éd. Odile Jacob, 2000.

La voix, mon instrument de travail, vidéo d'introduction à un site de formation aux métiers de l'enseignement créé par Jean Duvillard (http://voix-corps-enseignement.univ-lyon1.fr) et mise en ligne sur le site de Canal-U, webtv de l’Enseignement supérieur et de la recherche (France). http://bit.ly/1GZojSM

 

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