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Magazine PROF n°26

 

Focus 

Mille jeunes regards sur l’inhumain

Article publié le 01 / 06 / 2015.

Près d’un millier d’élèves ont marché dans les pas des millions de personnes déportées à Auschwitz et à Birkenau. Récit et florilège de réactions.

Parmi les fleurs déposées par chaque jeune voyageur du Train des 1000, un petit message anonyme écrit sur un fragment de papier : « Je serai un passeur. Votre histoire est devenue la nôtre ».
Parmi les fleurs déposées par chaque jeune voyageur du Train des 1000, un petit message anonyme écrit sur un fragment de papier : « Je serai un passeur. Votre histoire est devenue la nôtre ».
© PROF/FWB

Est-ce l’heure très matinale ou la perspective de vivre des heures intenses en émotions ? Le calme, dans ce bus menant vers la ville d’Oswiecim, au sud de la Pologne, contraste avec la joyeuse ambiance du Train des 1000. Passé le portail portant cyniquement l’inscription Arbeit macht frei (le travail rend libre), des bâtiments de brique s’alignent. Il flotte dans l’air une senteur de lilas. « Un petit village ! », commente un élève.

Un petit village dont ils perçoivent vite l’organisation toute rigoureuse et  inhumaine. Ici, les chiffres s’alignent : 1,1 million de Juifs venus de toute l’Europe, 140000 Polonais, 23000 Tziganes, 15000 Soviets… Là, des vitrines réunissent valises, vêtements, chaussures, lunettes, prothèses, casseroles, brosses à dents… volés à ces hommes, ces femmes et ces enfants débarqués pour un voyage sans retour.

Dans la pénombre, deux tonnes de cheveux de 440000 femmes, retrouvés après la libération des camps. Revendus, les cheveux servaient à confectionner du tissu ou du matériel de bourrage. « Hallucinant et inhumain, réagit Pauline, en rhéto à l’Institut Notre-Dame, à Bertrix. « Jusqu’où pouvait aller la folie ! Les gens étaient utilisés comme du bétail, pour produire des biens de consommation ! »

Sophie, en 5e à l’Institut Saint-Joseph, à Jambes, ajoute : « En rasant la tête des détenues, à leur arrivée dans le camp, on leur ôtait une personnalité, un style choisi… Elles se ressemblaient toutes ».

C’est en effet la même expression de peur et d’égarement qu’on lit sur la plupart des visages alignés sur les murs. Des hommes, des femmes, des enfants photographiés de face et de profil, portant un numéro et un triangle de couleur désignant le motif de leur arrestation (Juifs, asociaux, témoins de Jéhovah,…). Comme Róźa Kuźma, n°27270, Polonaise, arrivée le 16 décembre 1942, décédée le 13 mars 1943…

L’émotion monte d’un cran encore au vu des conditions de vie des détenus sélectionnés pour le travail, puis de la descente dans les sous-sols du « bloc de la  mort ». Parmi les cachots, des « cellules debout » de 90 centimètres sur 90 renfermaient jusqu'à quatre détenus, pendant plusieurs jours parfois.

Le silence, troublé seulement par le crissement des pas, accompagne encore la marche des élèves vers la chambre à gaz, la seule restée intacte. Quelque 75% des personnes débarquées des trains, jugées inaptes au travail, s’y rendaient directement et docilement, rêvant d’un bain après un trajet exténuant…

« En voyant les traces des ongles sur les murs pour tenter de s’agripper là où l’air était encore respirable, on peut vraiment s’imaginer ce qu’ils ont dû vivre ! C’est important de venir ici pour le ressentir, de marcher sur leurs traces, » réagit Émile, en 6e au Lycée Saint-Jacques, à Liège.

Le récit des rescapés

Ces traces, les voyageurs du Train des 1000 les retrouvent le lendemain au camp de Birkenau, où furent déportés et exterminés la majorité des Juifs et Tziganes de toute l'Europe. Beaucoup parcourent la Judenrampe - la rampe des Juifs -, sur laquelle marchèrent les déportés, triés au préalable, jusqu'en mai 1944. La création d’un embranchement ferroviaire permit ensuite l'accès des convois directement à l'intérieur du camp.

À perte de vue, des cheminées, vestiges de centaines de baraquements. Dans ceux qui subsistent encore, construits sans fondations et, pour la plupart, sans plancher, c’est une plongée plus crue encore dans des conditions de vie des déportés. Ici, des latrines collectives laissent imaginer l’absence totale d’hygiène et d’intimité. Là, s’alignent des châlits à trois étages sur lesquels dormaient, à chaque niveau, huit prisonniers.

Des centaines de prisonniers s’y entassaient. Mahé, en 6e à l’Institut technique provincial, à Court-Saint-Étienne, a repéré sur les murs, à côté des lits, les traces de nombreux bâtonnets destinés à égrainer les jours. «  Dans des conditions de vie horribles, les prisonniers essayaient de garder des repères et de l’espoir… »

La voie ferrée mène vers les chambres à gaz et les fours crématoires. Ces bâtiments ont été détruits par les Nazis avant l'arrivée de l'armée rouge à Auschwitz le 27 janvier 1945, pour tenter d’effacer les traces de leurs crimes. Mais ils revivent par le récit des rescapés des camps qui accompagnent des élèves. Les bâtiments seuls et (surtout) la foule présente sur les deux sites laissent parfois trop peu de place aux émotions.

« Alberto Israël nous a raconté qu’il marchait au même endroit que nous avec ses parents. Je n’ai pu retenir mes larmes », confie Juliette, en 5e à l’Institut des Dames de Marie, à Bruxelles. Mégane, en 5e à l’Ecole secondaire provinciale d’Andenne rapportera : « Paul Sobol nous a dit qu’il a fallu très peu de temps pour se retrouver dans la peau d’un prisonnier et très longtemps pour se reconstruire ».

Nouvelle escale dans le bâtiment dit « Sauna », où les Juifs polonais, sélectionnés pour le travail, étaient désinfectés, tondus, tatoués... Et dépouillés de tout, y compris de leur passé : sur le Mur du Souvenir s’alignent des centaines de clichés qui content les naissances, les fêtes, les moments heureux,… de familles décimées.

Je serai un passeur

Sur l’une des dalles commémoratives du Mémorial, parmi les fleurs déposées par chaque jeune voyageur du Train des 1000, un petit message anonyme écrit sur un fragment de papier : « Je serai un passeur. Votre histoire est devenue la nôtre ».

Car cette plongée dans l’univers concentrationnaire laissera des traces partagées. Plusieurs élèves commenteront : « Au retour, dans le train, nous avons eu plus de contacts en quelques heures avec des élèves d’autres écoles et d’autres pays que durant tout le trajet aller. Sans doute parce qu’ayant vécu la même chose, c’est plus facile de partager nos impressions et nos émotions ».

Catherine MOREAU

À la rencontre de la mémoire

Le Train des 1000 est un voyage mémoriel organisé par l’Institut des Vétérans, la Fondation Auschwitz - Mémoire d’Auschwitz ASBL et la Fédération internationale des Résistants.

Du 5 au 10 mai 2015, près de 1000 élèves de 5e et 6e secondaire de vingt-six écoles belges (dont quinze écoles francophones) ont visité les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz I et II (Birkenau).

Des jeunes de neuf autres pays européens (France, Grand-Duché de Luxembourg, Allemagne, Italie, Hongrie, Portugal, Croatie, Slovénie et Estonie) les ont rejoints.

Pourquoi mille participants ? Parce que de 1942 à 1944, quelque 25 267 hommes, femmes et enfants ont été déportées vers Auschwitz au départ de la Caserne Dossin, à Malines, en vingt-cinq convois d’un millier de personnes…

http://www.traindes1000.be

En amont et en aval du voyage

Ce voyage mémoriel nécessite un ensemble de choix pédagogiques. Et ouvre d’autres pistes. La parole aux enseignants participants.

Un moteur citoyen

L’engagement dans le projet du Train des 1000 repose essentiellement sur la motivation personnelle des enseignants ; plusieurs se sont déjà rendus dans ces lieux de mémoire et ont suivi des séminaires organisés par la Fondation Auschwitz, la Fondation Merci ou l’Institut Yad Vashem (à Jérusalem).

En outre, ce voyage à Auschwitz s’inscrit souvent dans le cadre plus large de l’apprentissage de la citoyenneté à l’école. « Il fait suite à de nombreux projets, notamment la visite de la Maison d’Anne Franck,à Amsterdam, de l’exposition L’art dégénéré selon Hitler », précisent Emmanuelle Henroteaux et Michaëlle Richard, enseignantes à l’Institut technique provincial de Court-Saint-Étienne.

Bousculer le programme

Cela suppose aussi de former les élèves pour qu’ils puissent comprendre la situation, ses enjeux, ses implications. Au risque de changer les habitudes. Catherine Dombrecht, professeure d’histoire au Lycée Émile Jacqmain, à Etterbeek : « La Seconde Guerre mondiale est au programme de la 6e secondaire. Cette année, j’ai expliqué la montée du nazisme dès la fin du premier conflit mondial, sa progression et la chute du 3e Reich à mes élèves de 5». L’enseignante a également expliqué l’histoire du conflit israélo-palestinien à ces élèves qui ont aussi participé, en avril, à un voyage en Israël.

Sa collègue de morale, Huguette Devillé, enchaine : « J’ancrais habituellement mon cours dans des thèmes puisés chez les grands philosophes de l’Antiquité. Cette fois, je l’ai vraiment axé sur les valeurs démocratiques, le vivre ensemble avec des liens directs vers des faits bien actuels comme la montée de l’extrême droite, par exemple ».

Se sont ajoutés, pour bien des élèves, des visites (Fort de Breendonk, Caserne Dossin, exposition Déportation et génocide), des rencontres avec des témoins,…

Pour Florence Clossen, qui enseigne l’histoire à l’Athénée royal, à  Neufchâteau, « consacrer beaucoup d’heures à ces faits historiques, c’est un choix que l’on prend, quitte à être en retard dans d’autres chapitres ».

Ancrer dans le concret

Visiter Auschwitz ancre les apprentissages dans le concret. C’est particulièrement important selon Eric Bonnaye, qui enseigne notamment l’éducation sociale à l’Institut Le Tremplin (enseignement professionnel spécialisé de type 1), à Mouscron. « Pour mes élèves, qui intègrent souvent difficilement des notions spatio-temporelles, mettre l’accent sur les chiffres des victimes, sur la localisation des camps a peu de portée. Il faut partir de choses venant d’eux-mêmes, miser sur l’émotionnel, le ressenti, le parler vrai ».

Beaucoup de bénévolat

Tous les enseignants le souligneront : la préparation du projet est chronophage. Tout spécialement là où les jeunes participants, sélectionnés sur la base d’une lettre de motivation, proviennent de classes de 5e et 6e et d’options différentes.

Au Centre scolaire Saint-Joseph-Saint-Raphaël, à Remouchamps, trois enseignantes, Géraldine Mertens, Justine Voss (français) et Céline Dumoulin (langues modernes) ont écrit le texte d’une pièce de théâtre sur la déportation à Auschwitz à partir de livres et de témoignages de survivants. Elles l’ont montée ensuite avec des élèves, y consacrant la plupart des mercredis après-midi. Cette création a été présentée à l’école avant le départ dans le Train des 1000.

Un travail multidisciplinaire

Dans la majorité des écoles participantes, la préparation des élèves est le fruit d’un travail multidisciplinaire. Ainsi, par exemple, les élèves du Lycée Saint-Jacques, à Liège, ont créé des valises-miroirs contenant un travail de recherche sur un témoin, victime ou résistant, de la période nazie, et une situation actuelle évoquant en miroir le parcours de la personne choisie. Ce travail a impliqué les professeurs d’histoire, de français, de langues modernes, de religion, d’informatique et d’art.

Pour préparer le voyage,  une autre voie est possible. Ainsi, Maggy Godard, professeure de langues modernes à l’Athénée Nestor Outer, à Virton, a demandé à la Fondation Merci d’assurer l’encadrement historique de sa classe de 5e technique gestion et comptabilité.

Élargir le propos

Évoquer la Shoah en 2015 demande une vision élargie. « Dans la bouche de certains élèves, j’ai entendu la réaction Pourquoi toujours parler des Juifs ?, explique Carine Hermal, professeure de religion et communication à l’Institut Saint-Joseph, à Jambes. Il faut à la fois entendre ce ras-le-bol, évoquer d’autres génocides et les dérives possibles des nationalismes ». Bon nombre d’enseignants l’ont compris en évoquant le génocide arménien ou, comme à l’Institut des Filles de Marie, à Saint-Gilles, en invitant en classe un rescapé du massacre des Tutsis au Rwanda en 1994.

Gérer l’émotion

La gestion des émotions peut être un écueil. «C’est important de ne pas laisser toute la place à l’émotion, d’aider les élèves à la dépasser, rappelle Anne Fachinat, professeure d’histoire au Collège Notre-Dame de Bonne-Espérance, à Veillereille-les-Brayeux. Pour cela, c’est indispensable de leur faire comprendre le contexte historique et de les rendre critiques. Et éviter le « plus jamais ça » moralisateur. Car s’il est nécessaire de s’émouvoir sur le sort des victimes, il est crucial et bien plus difficile de faire comprendre à quel point il est facile de se transformer en bourreau, à quel point il faut être vigilant.

Parler mieux du génocide

L’expérience vécue a ouvert des pistes pour les enseignants. « Cette visite à Auschwitz m’apporte une autre manière de parler des camps à mes élèves, explique Sandrine Célis, qui enseigne le français et l’histoire à l’École secondaire provinciale, à Andenne. Cela me rend plus crédible. Je vais aussi accorder davantage de place aux récits des rescapés. Mes élèves ont suivi les pas de deux d’entre eux, Paul Sobol et Alberto Israël, qui ont apporté des regards différents. C’est important pour leur donner une vision plus nuancée ».

Un tremplin pour des projets futurs

Les informations et les émotions engrangées lors du voyage mémoriel seront mises à profit à court ou à moyen terme. Sous des formes très variées : témoignages apportés aux élèves non participants et aux autres classes, reportages, expositions, pièces de théâtre,… Des projets plus insolites, parfois : à l’Institut Félicien Rops, à Namur, les images, les émotions engrangées par les vingt élèves de 5e Arts plastiques déboucheront, l’an prochain, sur des créations individuelles ou collectives.

Catherine MOREAU

Le Train des mille

Focus sur deux projets menés tout au long de l’année 2014-2015 avec des élèves de Liège et de Bruxelles qui ont participé au Train des Mille, ce voyage vers Auschwitz et Birkenau évoqué dans notre version « papier ».

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