Magazine PROF n°26
Coté psy
Passer pour une « gonzesse » : la honte !
Article publié le 01 / 06 / 2015.
Défis, provocations, transgressions, conduites à risques : certains adolescents cultivent des « rites de virilité » pour être valorisés dans le regard de leurs pairs.
Garçons et filles apprennent souvent tôt leur « rôle social ». Par des attitudes, par des remarques, par des encouragements, parents et proches peuvent les orienter, inconsciemment parfois, vers des modèles et des valeurs.
En primaire, de façon assez stéréotypée, on conseille aux petits garçons, par exemple, de « ne pas se laisser faire », de « relever les défis », « de réprimer la douleur ». Et si l’on observe une cour de récréation où l’espace commun n’a pas été organisé, on voit vite qu’ils occupent, au milieu, beaucoup d’espace. Ils ont des rapports hiérarchisés où la domination physique joue un certain rôle. Cela n’empêche pas de trouver, évidemment, bon nombre de garçons calmes et conciliants et de filles hyperactives, parfois agressives.
Être à la hauteur
L’adolescence est une période sensible pour revendiquer une identité de genre. Là aussi, mille nuances sont possibles selon les milieux sociaux, les modèles culturels, les normes, les interdits intériorisés.
Sociologue et anthropologue, David Le Breton vient de consacrer un ouvrage aux rites de virilité à l’adolescence (1). Il le constate : dans les classes moyennes ou privilégiées, les garçons ont tendance à valoriser la réussite plutôt que la force. Les « valeurs viriles » sont plutôt considérées comme de la vanité, du machisme, voire de la violence. Et « de plus en plus, les valeurs féminines investissent l’identité masculine », note le sociologue Pascal Duret (2).
Par contre, dans des milieux plus populaires et/ou précarisés, les adolescents voient dans la virilité une valeur essentielle. Et cela d’autant plus s’ils cumulent des difficultés affectives et sociales sans trouver à leur côté des adultes structurants. « Cela peut entrainer une exacerbation des rôles de genre et une surenchère des stéréotypes, explique M. Le Breton. Ainsi, ces garçons semblent vouloir échapper au sentiment de manquement par rapport à ce que l’on attend traditionnellement d’un homme, (emploi, argent, sécurité, …) ». Et de préciser : à la différence des rites de passage des sociétés traditionnelles, ces rites adolescents relèvent plus de l’intronisation dans le groupe des pairs que d’un passage à l’âge d’homme.
Car le regard du groupe de pairs est essentiel. Il est source de protection et de pouvoir. Le groupe est un lieu fort d’identité. Ses membres partagent un même langage, des habitudes identiques (une certaine démarche, le fait de se saluer en se frappant le poing de manière démonstrative…).
C’est ce regard qui fait exister, qui justifie les défis, les provocations, les affrontements, les transgressions. Il s’agit se s’identifier aux autres, d’être reconnu par eux, pour montrer que l’on est « à la hauteur », pour ne pas « passer pour une gonzesse », une poule mouillée.
Ainsi, explique ce sociologue, « le garçon construit son héroïsme, sa légende personnelle, en s’opposant aux formes d’autorité incarnées par les adultes (parents, police, enseignants, …) ». Sous le regard des pairs, refuser l’autorité d’un enseignant, être en échec à l’école peut être vu comme un signe d’excellence, un « brevet de virilité ». Même si, sans diplôme, ils hypothèquent un avenir dans lequel ils ne se projettent pas.
Le journaliste Luc Bronner ajoute même que « passer pour un bouffon, un intello, un bolos (une victime) est une forme de condamnation sociale, beaucoup plus lourde à porter que d’éventuelles punitions venues du monde scolaire ou judiciaire » (3).
Des conduites à risques
Un corollaire de ces « rites virils », c’est que les adolescents qui n’adoptent pas les modèles ambiants en ayant des comportements dits féminins (émotifs, studieux ou peu sportifs) sont jugés très négativement. Ils peuvent être victimes d’insultes homophobes. Des insultes auxquelles échappent bien davantage les filles qui adoptent un comportement « traditionnellement masculin ».
Dans des cas extrêmes, ces rites de virilité peuvent déboucher sur des conduites à risques. David Le Breton différencie ces conduites chez les garçons et chez les filles. Chez ces dernières, elles prennent souvent des formes discrètes, silencieuses (des troubles de l’alimentation ou des scarifications, par exemple). Elles n’entrainent pas directement les personnes qui les entourent.
Chez les garçons, par contre, elles sont exposition de soi, souvent sous le regard des pairs : suicides, violences, délinquances, provocations, défis, alcoolisation, vitesse sur les routes, toxicomanies. Cela prend la forme d’un acharnement contre des personnes-cibles qui sont jugées susceptibles d’être méprisées ou dominées. La volonté, voire le plaisir, de s’affirmer empêche le sentiment d’empathie. Cela peut aussi prendre la forme de jeux dangereux (tabassages,…) parfois partagés sur les réseaux sociaux.
« Là aussi, explique M. Le Breton, l’objectif, c’est de montrer qu’on en est, qu’on ne s’est pas dérobé, qu’on est digne du regard des pairs masculins ».
Catherine MOREAU
(1) LE BRETON D., Rites de virilité à l’adolescence, Yapaka, coll. Temps d’arrêt, 2015.
(2) DURET P., Les jeunes et l’identité masculine, Paris, PUF, 1999.
(3) BRONNER L., La loi du ghetto, Paris, Pocket, 2010.
Pour en savoir plus
• LE BRETON D., En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie, Paris, Métailié, 2007.
• LE BRETON D., Conduites à risques. Deux jeux de mort au jeu de vivre, Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2002.
• LE BRETON D, Adolescence et conduites à risques, Yapaka, 2014, coll. Temps d’arrêt, n°76. http://www.yapaka.be (> Livres, vidéos, podcasts…)
• JAMOULLE P., Des hommes sur le fil. La construction de l’identité masculine en milieu précaire ; Paris, La Découverte, 2008.
• QUENTEL J.-C., L’adolescence aux marges du social, Yapaka, 2011, collection Temps d’arrêt, n° 49.
• « Adolescence sous influence », dans Docs Sciences, CRPP Académie de Versailles, numéro hors série, décembre 2013. http://www.bit.ly/1dor3Ag
• Sur http://www.yapaka.be, on peut trouver des mini-conférences de David Le Breton à propos des rites de passage, des conduites à risque, de la quête de l’identité à l’adolescence.
• Parmi les nombreux outils pour aborder avec les jeunes les questions de genre, d’égalité hommes-femmes, d’homophobie, d’hypersexualisation,…, on citera la Mallette genre créée par des services bruxellois d’Aide en milieu ouvert. Les activités proposées peuvent susciter la réflexion sur les stéréotypes, la discrimination… http://www.itineraires-amo.be Contact : mallettegenre@gmail.com
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