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Magazine PROF n°31

 

L'info 

Pédagogie interactive.
On n’apprend pas tout seul

Article publié le 01 / 09 / 2016.

La Ville de Liège diffuse depuis dix ans dans ses écoles l’approche interactive, dont l’idée maitresse est que les savoirs se construisent mieux grâce aux interactions entre élèves. Explications et témoignages.

L’approche interactive vise à améliorer l’apprentissage pour tous les élèves, en s’appuyant sur l’idée que les savoirs peuvent naitre ou se construire grâce aux interactions.

Selon les constructivistes et les interactionnistes, on n’apprend pas tout seul (1). L’enfant n’apprend véritablement à résoudre les problèmes qu’il se pose (2) que dans son activité consciente et volontaire. Il y est aidé par les chocs des pensées des uns et des autres, entre pairs, entre adultes ou entre enfants et adultes. Et si on lui laisse le temps d’expérimenter une logique de pensée.

Créer les conditions des interactions

Cette démarche suppose que les enseignants créent des conditions d’apprentissage telles que les enfants, dès le plus jeune âge, puissent trouver eux-mêmes leurs stratégies. Et ils y parviennent, le cas échéant par des chemins non prévus par les enseignants. Ceux-ci, en retrait, se donnent du temps et des outils d’observation fine de la situation et des échanges entre enfants, idéalement au sein d’un dispositif collectif. Petit à petit, ils peuvent appliquer cette approche à tout apprentissage.

Outre les bénéfices en termes d’apprentissages, l’approche interactive profite à la confiance en eux des élèves, reconnus et valorisés dans leurs découvertes.

Née en France (3) et reconnue au niveau international (4), l’approche interactive est au centre du projet Maternelle (lire « Marianne Hardy : " Redonnons de la place aux initiatives des enfants" » ) qui, à Liège, mobilise les départements pédagogiques de la Haute École de la Ville et des écoles fondamentales de la Ville de Liège.

Dès la maternelle

Parmi ces dernières, celle de Glain, école à encadrement différencié, dont de nombreux élèves n’ont pas le français comme langue maternelle. Nous y étions le 14 avril 2016, et plus précisément dans la classe de 3e maternelle de Sylvie André. Ses 17 élèves s’assoient devant des feuilles collées au tableau. Sur chacune, le dessin d’une maison à deux étages et de pions dont la somme égale 10 : « Nous réalisons des ateliers au cours desquels les élèves décomposent le nombre 10. Ils cherchent les suites de deux nombres dont le total est 10 ».

Avant d’entamer l’atelier, l’institutrice crée un temps de réflexion et de vérification du travail déjà fait. « Les décompositions sont-elles toutes différentes ? » Réponse d’Elvan : « 4+6 et 6+4, c’est la même chose ». Après débat, le groupe tient compte du fait que l’ordre des deux chiffres est différent et valide ces deux propositions.

Mme André les relance : « On cherche les trois décompositions qui manquent, ou on essaie de trouver des propositions pour utiliser celles qu’on à déjà ». Les enfants préfèrent la première solution. Deux tablées se mettent alors à chercher en manipulant des pions alors que deux autres travaillent de façon plus autonome dans des ateliers différents.

Comme support, ils utilisent les pions de Logix, un jeu logique de chez Nathan. Au départ, le défi était d’en retrouver la règle. À la place, les enfants ont démonté et remonté le jeu et se sont particulièrement intéressés aux douze jetons. Horizontalement, verticalement, cela fait toujours 12... Et la classe a continué à travailler sur le nombre et ses décompositions.

Les enfants en avant-plan

Dans l’atelier interactif, Elvan fait plusieurs essais et les vérifie au tableau. Enfin, elle trouve 2+8. Et d’autres enfants trouvent deux autres décompositions. Pendant ce temps, l’institutrice, en retrait, n’interrompt pas ses élèves, elle les observe. Elle intervient quelques fois : « On écoute la proposition de l’autre ». « Qu’en pensez-vous ? »

Entre le « On n’entend que toi », lancé par son accompagnatrice à ses débuts, le silence après l’énoncé des consignes, Mme André a « trouvé un équilibre ».

Un accompagnement

Cette accompagnatrice, Martine Chantraine, fait partie du dispositif mis en place par la Ville de Liège. Une matinée par semaine dans la classe, pendant trois ans, elle filme. Un regard supplémentaire, encore plus fin quand la vidéo est analysée entre adultes. « J’ai pu découvrir des stratégies que je n’aurais pu saisir dans le feu de l’action, explique Mme André ». Pas facile d’accepter quelqu’un dans sa classe - « J’avais peur du possible jugement » -, mais « ma collègue fonctionne en soutien et en témoin. Cela me procure une reconnaissance énorme ».

Des résultats

Les enfants apportent leurs solutions. Mme André : « Le temps des ateliers, flexible, dépend du fonctionnement des enfants ». Ensuite, les élèves vérifient si leurs propositions sont conformes à la consigne. Chouette, le défi est relevé !

Mme André : « Comment pourrait-on utiliser nos résultats ? ». Elvan : « J’ai fait une nouvelle maison : 2 + 3 = 5 ». Otman renchérit : « Je veux faire une autre maison sur le 7 ». L’institutrice embraie : « Sur quelles maisons pourrions-nous encore travailler ? » La liste s’allonge, de 1 à 10. Puis Azra propose 100 et Aminata « l’infini ». Mme André : « C’est quoi l’infini ? ». Réponse : « C’est beaucoup ! ». Réplique : « Alors, dans un premier temps, on va peut-être s’arrêter à 10… »

« Les adultes peuvent lancer des propositions d’activités, avec leur programme en tête, commente Mme Chantraine. Mais surtout, ils placent les enfants dans les conditions de faire des propositions, à leur rythme, qui font progresser l’apprentissage. Ceux-ci abordent toutes les questions et dépassent les barrières parfois figées des adultes ».

Ne viennent à l’atelier interactif que les volontaires. « Au bout du compte, ils y passent tous, explique Mme André. Ils sont fiers de trouver une solution : le regard de l’adulte et des autres change. Et le leur, sur eux-mêmes. Et, sur le plan cognitif, j’arrive au même niveau qu’avant ».

De meilleurs rapports sociaux

Le projet fonctionnait déjà à l’entrée en fonction du directeur, Mario Musso. « J’y ai adhéré. Les enfants trouvent des stratégies auxquelles je n’aurais jamais pensé. Et en janvier déjà, j’observe un changement de comportement, alors que la plupart ont des difficultés avec la langue de scolarisation. Ils sont plus sereins, plus respectueux les uns des autres, plus concentrés ».

Des progrès dans leurs apprentissages donc, mais aussi en socialisation. « C’est visible en classe, ajoute Mme André, et à la maison ! ». Cela rejoint l’objectif du pouvoir organisateur : assurer à chacun les moyens d’apprendre tout en offrant un accompagnement professionnel soutenu à ses équipes pédagogiques du fondamental.

« Mais cela demande aussi remise en question et formation, ajoute-t-elle. Il y a quatre ans, après vingt ans d’enseignement, je voulais un nouveau défi. La formation continuée proposée par le PO a été une belle opportunité ».

Patrick DELMÉE

(1) CRESAS, On n’apprend pas tout seul : interactions sociales et construction des savoirs, Paris, ESF, 1987.
(2) HARDY M., PLATONE F., STAMBAK M., (sous la coordination de), Naissance d'une pédagogie interactive, Paris, ESF, 1991.
(3) Sous l’égide du Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation scolaire. http://www.inrp.fr/politique/unite/cresas
(4) Avec le soutien de l’Institut Européen pour le Développement des Potentialités de tous les Enfants, iedpe1989@gmail.com

 

Marianne Hardy : « Redonnons de la place aux initiatives des enfants »

La chercheuse française Marianne Hardy, très impliquée dans l’approche interactive, a participé à une journée d’échange et de réflexion des équipes impliquées dans le projet Maternelle. Rencontre.

Les coordonnateurs du projet Maternelle de la Haute École de Liège organisaient ont organisé une journée d’échanges et de réflexions en approche interactive avec les équipes accompagnées (Écoles communales maternelles des Rivageois, d’Angleur, de Xhovémont, de Glain). La chercheuse Marianne Hardy (1) participait à ce travail fondé sur les recherches du Centre de Recherche sur l’Éducation Spécialisée et l’Adaptation Scolaire (2). Elle a réagi aux vidéos prises lors des ateliers menés avec les élèves.

PROF : Comment définir l’approche interactive ?
Marianne Hardy :
Elle favorise les besoins innés d’agir et de communiquer. Ainsi, elle peut impliquer tous les enfants dans les apprentissages. Pour cela, il est nécessaire d’organiser des conditions pédagogiques adaptées à leurs démarches. C'est par l'entrée méthodologique que les professionnels s'approprient les fondements de cette approche.

Initiés à une démarche qui va leur permettre, dans le cours de la formation, d'expérimenter, d'observer et d'analyser en équipe des situations qu’ils implantent dans leurs classes, ils vont réussir à mobiliser la réflexion de tous leurs élèves. Des voies pour aller vers des pratiques d'enseignement moins sélectives sont ainsi explorées au cours d’ateliers « réflexifs » qui évoluent au cours de l’année sous l’impulsion des enfants.

Que nous apprennent les vidéos des ateliers ?
Dans l’une d’elles, on voit deux enfants faire la même chose en parallèle. Pourtant, ils ne travaillent pas en solitaires : ils combinent leurs idées, en s’observant ; l’intérêt qu’ils se portent stimule leur attention. Laissez aux élèves le temps d’aller au bout de leurs propositions, ils ne se contentent pas de trouver une solution, ils veulent la vérifier, la consolider, la partager. Ainsi, ils recommencent, à l’identique ou en variant les procédures, pour s’assurer de la démarche comme du résultat.

Dans une autre, on constate que la consigne ne suffisait pas à détacher l’attention des enfants de l’aspect affectif de la tâche. L’observation donne une piste de réajustement.

Dans une troisième – le jeu du magasins –, un enfant, sous couvert d’expliquer son calcul à l’autre, se l’explique sans doute aussi à lui-même. Cette communication dans l’action permet de suivre la pensée de l’élève jusqu’à son terme. On voit que ce type d’activité convient à des groupes « hétérogènes » : entre eux, les enfants se situent dans une « zone proximale de développement », ce qui leur permet de traiter leurs problèmes ensemble, chacun selon son avancée.

Comment réagir lorsque les enfants font une erreur ?
Plutôt que de se focaliser sur le résultat, on suit la réflexion, qui se construit dans le temps. Tout apprentissage se fait par de multiples essais, à encourager. Des formules comme « Débrouillez-vous », « Qu’en pensez-vous ? » sont magiques pour soutenir les échanges, maintenir l’implication.

Une situation qui parvient à favoriser l’exploration, la participation de tous est à proposer fréquemment, en y apportant des variations, progressivement. Au fur et à mesure, l’enseignant veille à la transposition des acquis, et à leur formalisation.

Donner et réorganiser le temps est essentiel. Du début de la maternelle à la fin du fondamental, les enfants ont dix ans pour apprendre : pourquoi se presser ? L’ordre de leurs acquisitions ne correspond pas à celui des programmes : pourquoi ne pas les adapter ?

Le plus souvent, l’adulte guide l’enfant pas à pas…
Ce sont le plus souvent les consignes qui posent problème, pas les capacités de l’enfant. Et puis le guidage correspond à la démarche de l’adulte plus qu’à celle de l’enfant.

L’enseignant doit réfréner son envie d’intervenir à tout prix. Son intervention sera d’autant mieux ciblée qu’il aura saisi ce qui se passe dans un groupe donné. Et d’autant plus efficace qu’il en aura observé les répercussions pour, le cas échéant, réorienter la réflexion.

Supporter de ne pas savoir précisément où les élèves vont en venir, tolérer le désordre – fut-il apparent –, demande de faire confiance aux enfants. Cela suppose de concevoir un « cadre organisateur » qui les oriente clairement, tout en les incitant à cheminer librement, à prendre en charge leur activité à leur façon. L’effet ? Les enseignants accroissent la maitrise de ce qu’ils font.

Notons que si les adultes mettent un temps à entrer dans l’approche interactive, les enfants font de même. Ils peuvent être déstabilisés avant d’expérimenter la liberté et le temps qui leur sont laissés.

Cette approche aurait aussi une dimension citoyenne…
Notre société induit compétition et individualisme. L’approche interactive amène les enfants à négocier et coopérer à travers un ensemble de règles. Par exemple, quand le travail en atelier aboutit à une proposition, un résultat, l’enseignant demande à connaitre ceux qui ont été rejetés. En les mettant en débat, il montre que, juste ou fausse, aussi bizarre puisse-t-elle paraitre, chaque contribution, si elle est prise en compte, peut être source de réflexion.

Même si les comportements perturbateurs diminuent fortement, ils demeurent. Quand ils en prennent conscience, les enfants se montrent capables de prendre de la distance et de proposer des pistes pour les améliorer.

Les enfants développent ces attitudes respectueuses et coopérantes dans tous les domaines. L’enseignant peut alors s’aider du groupe pour faire avancer un enfant en difficulté.

Propos recueillis par
Patrick DELMÉE

(1) Ancienne chercheuse du Cresas et de l’Institut national de la recherche pédagogique (INRP), mar.hardy@orange.fr
(2) Mis sur pied en 1969 par l’Éducation nationale française, le Cresas a été intégré en 2003 à l’INRP, http://www.inrp.fr/politique/unite/cresas.

De la maternelle aux futurs enseignants

Initié en 2011 au sein de la Haute École de la Ville de Liège, le projet Maternelle a déjà touché vingt-deux classes maternelles liégeoises, 410 instituteurs maternels et primaires, et 260 futurs enseignants.

Pour entrer dans ce projet, « la lecture d’un article sur l’approche interactive n’y suffit pas », explique Florence Capitaine, pédagogue, formatrice de futurs enseignants. C’est elle qui coordonne ce projet depuis la Haute École de la Ville de Liège, en collaboration avec l’inspection et les écoles fondamentales liégeoises.

Le dispositif constitue un maillage complet : les enseignants des écoles fondamentales volontaires suivent un module de formation continuée animé par la Haute École. Durant trois ans, ils sont accompagnés en classe par deux institutrices maternelles que la Ville de Liège a détachées à cet effet à mi-temps. Et la Haute École initie les futurs enseignants, dans les sections préscolaire et primaire.

Pour Mme Capitaine, outre les bénéfices pour les écoles accompagnées, ce dispositif fait prendre conscience aux futurs enseignants des enjeux importants de l’approche interactive, et leur donne un outil supplémentaire pour agir contre l’échec scolaire.

De plus, « de nombreux collègues de la Haute École s’intéressent au projet et les directeurs des établissements liégeois en parlent entre eux, en termes positifs. Enfin, la collaboration avec la Fondation Roi Baudouin (1) a donné au projet une certaine visibilité. Et d’autres catégories pédagogiques demandent à être initiées ».

(1) Dans le cadre du projet L’École maternelle, une chance à saisir. http://bit.ly/29DIrli

Pour en savoir plus

• HARDY M., ROYON C., « Une pédagogie coopérative et interactive pour la réussite de tous les élèves. L'expérience menée à l'école ouverte des Bourseaux », Innova, juin 1998. http://bit.ly/2a3bH7G

• HARDY M., « Pratiquer à l’école une pédagogie interactive », dans Revue française de pédagogie, 1999, volume 129, N° 1, pp. 17-28. http://bit.ly/2bhIG6d

• HARDY M., PLATONE F., On n'enseigne pas tout seul. À la crèche, à l'école, au collège et au lycée, ENS Editions, 2000.

• HARDY M., HUGON M.-A., « Susciter des dynamiques de découverte et de changement », dans Recherche & formation, n°51, 2006. http://bit.ly/2brCVRG

• STAMBAK M., « Donner à tous envie d'apprendre. Cheminement et découvertes de l'équipe du Cresas », dans Revue française de pédagogie, 1999, volume 129, N° 1, p. 7-16. http://bit.ly/2bqXH8k

• HUGON M.-A., VIAUD M.-L., « L'éducation nouvelle et l'enseignement secondaire français », dans Informations sociales, 2004, n° 116, p. 114-124.

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