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Magazine PROF n°31

 

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L’école maternelle, d’un pays à l’autre....

Article publié le 01 / 09 / 2016.

Cette rubrique donne la parole à un expert, sur une question d’éducation. Pascale Garnier s’interroge sur la pression qui s’exerce sur l’enseignement maternel, « de plus en plus centré sur les apprentissages scolaires ». Un regard français qui trouve écho chez nous.

Aujourd’hui, une des questions de fond que pose l’évolution des systèmes d’éducation des jeunes enfants est celle de leurs rapports avec la scolarité obligatoire. Dans de nombreux pays, la pression des résultats scolaires se fait sentir sur le curriculum (ou programme) qui devient de plus en plus centré sur les apprentissages scolaires (en particulier le langage oral et écrit, les savoirs mathématiques et scientifiques) et/ou au niveau d’un abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire.

Pascale Garnier : « L'entrée en maternelle s’avère pénalisante pour les jeunes enfants confrontés à de multiples ruptures avec leur environnement familial ».
Pascale Garnier : « L'entrée en maternelle s’avère pénalisante pour les jeunes enfants confrontés à de multiples ruptures avec leur environnement familial ».
© Pascale Garnier

C’est par exemple le cas en Suisse où l’école enfantine est devenue obligatoire à partir de 4 ans. Sans nul doute, y participent l’audience croissante des classements internationaux, au premier titre les enquêtes PISA (Program for International Student Assessment Pupils), ainsi que l’évolution des formes de gouvernance et de régulation des systèmes éducatifs. Ce mouvement international de « schoolification » (scolarisation) de l’éducation préscolaire prend une importance et des formes variables selon les traditions éducatives et les politiques publiques de chaque pays.

La pression des attentes de l’école élémentaire sur l’école maternelle

En France, un nouveau programme pour l’école maternelle est entré en vigueur en septembre 2015, dont j’ai coordonné le projet en 2014 pour le Conseil supérieur des programmes (CSP), créé en 2013 par la loi de refondation de l’école. Votée en 2013, cette loi constitue d’emblée une forte rupture en affirmant que l’école maternelle constitue un cycle unique d’apprentissages avant la scolarité obligatoire. Elle met fin à l’intégration de la dernière année de maternelle (grande section) et des deux premières années de l’école élémentaire dans un même « cycle des apprentissages fondamentaux ».

Mise en place en 1989, cette politique entendait assurer une forte continuité entre les écoles maternelles et élémentaires et une souplesse du point de vue l’avancée de la scolarité des élèves. Outre que cette politique n’a pas porté les résultats escomptés en termes de continuité des apprentissages, de fluidité des parcours scolaires, de coopération entre les enseignant(e)s, elle a sans doute renforcé la pression de la scolarité obligatoire sur la maternelle. En particulier, le fonctionnement de la grande section s’est pour partie aligné sur celui de la première année d’école élémentaire et le « travail » sous forme de fiches écrites s’est généralisé à tous les niveaux, rendant l’accueil des enfants de moins de trois ans tout particulièrement problématique.

Le souci d’efficacité vis-à-vis de la scolarité ultérieure conduit à augmenter l’emprise des apprentissages scolaires sur l’éducation des jeunes enfants. Elle se focalise sur les apprentissages qui sont les plus directement rentables et visibles, évaluables, au détriment d’une attention portée à la globalité de leur développement et à ses dimensions nécessairement familiales et sociales.

Cette pression scolaire sur la maternelle se manifeste aussi par le développement de l’évaluation des élèves, mise en place en 1990 sous la forme d’un « livret de compétences » à acquérir au cours de chaque cycle, qui suit l’élève au fil de sa scolarité. Devenu « livret scolaire » en 2008, s’y sont adjoints des outils et des dispositifs d’évaluation à la fin de la maternelle.

Cette place grandissante d’une évaluation formelle pèse à la fois sur le travail des enseignants, qui ont le sentiment de passer leur temps à évaluer les élèves, sur leurs relations avec les enfants et leurs parents. Loin d’être un outil participatif au service des apprentissages des enfants et d’un véritable dialogue entre parents et enseignants, l’évaluation cristallise leurs tensions et devient un moyen de classer aussi bien les établissements que les élèves.

Une réaffirmation de la spécificité de l’école maternelle

Le nouveau programme de 2015 s’efforce de trouver un nouvel équilibre entre trois missions de l’école maternelle à la fois différentes et complémentaires dont l’importance et les définitions respectives ont varié historiquement depuis la création de l’institution au XIXe siècle : l’accueil des jeunes enfants, leur éducation, une préparation à leur scolarité ultérieure.

C’est ce dernier rôle qui est devenu progressivement trop exclusif, au niveau de son organisation comme de son curriculum quand, à partir des années 1970, l’école maternelle est apparue comme un moyen de lutter précocement contre les inégalités sociales de réussite scolaire. Tout en réduisant l’autonomie de la maternelle relative vis-à-vis de la scolarité obligatoire, cette scolarisation n’a pas résolu pour autant les difficultés constatées. Au contraire, dès leur entrée en maternelle, elle s’avère particulièrement pénalisante pour les jeunes enfants qui y sont confrontés à de multiples ruptures avec leur environnement familial.

S’imposait donc la recherche d’une nouvelle dynamique entre ses fonctions scolaires et ses fonctions plus largement éducatives et d’accueil des enfants et de leurs parents. Par exemple, la place du jeu a été revalorisée, même si le texte final reste en deçà des ambitions du projet qui soulignait la capacité des enseignant(e)s à accompagner les enfants dans leur activité ludique, au lieu d’une simple opposition entre jeu libre et jeu dirigé, à s’ouvrir à l’imprévu et rebondir sur les propositions ludiques des enfants.

Autre exemple, au niveau de l’évaluation, le projet indiquait des « attendus de fin de cycle » pour mettre en valeur l’implication des enseignants aux côtés des enfants. Mais, à travers le terme de « compétences » qui a été retenu en continuité avec les programmes précédents et les autres niveaux de scolarité, c’est une logique de responsabilité individuelle imputée aux seuls enfants qui a prévalu dans le texte final.

Au total, un des principaux enjeux du nouveau programme n’est pas seulement celui d’une école particulièrement « bienveillante » envers les enfants, mais celui des dynamiques entre développement et apprentissage qui sont cruciales à cet âge. Il valorise également une conception des enfants comme « tous capables », considérés dans la plénitude de ce qu’ils sont, « interlocuteur à part entière » de l’enseignant(e), au lieu de les regarder à travers leurs défaillances. Il demande de considérer l’enfant avant l’élève. En outre, l’école ne saurait être une fin en soi : elle n’est qu’un moyen pour que chaque enfant puisse développer, avec les autres, son « propre pouvoir d’agir et de penser ». 

Une affaire à suivre...

Le nouveau programme a recueilli un large assentiment : fin 2015, 78% des enseignant(e)s s’y sont montré(e)s favorables ou très favorables selon un sondage commandé par le syndicat professionnel majoritaire.

Mais un texte n’a pas la vertu magique de changer l’école maternelle du jour au lendemain. D’où l’importance d’une formation initiale et continue pour l’école maternelle qui est aussi une demande forte des enseignant(e)s. L’élévation du niveau de recrutement des professeurs des écoles au master, puis la création des ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), sont encore loin d’avoir remédié à la disparition progressive d’une formation spécifique pour la maternelle.

Pèse aussi un taux d’encadrement des enfants très défavorable : 25,8 par enseignant(e) en 2015. Paradoxalement, ce ratio diminue à mesure que les enfants grandissent, alors que le meilleur « retour sur investissement » en matière d’éducation, c’est la période de la petite enfance. En outre, le budget et les personnels de service qui sont mis à disposition des écoles maternelles par les communes varient considérablement, redoublant de fortes ségrégations territoriales.

Enfin, la Charte des programmes adoptée par le CSP prévoit que chaque nouveau programme devrait faire l’objet d’une évaluation, de modalités adaptées de régulation et d’actualisation. Elle appelle aussi à une réflexion prospective, liant la formation des professeurs au développement de la recherche. Il y a là un impératif, tant les recherches sur l’école maternelle sont peu développées en regard des autres niveaux d’enseignement. C’est encore plus vrai dans le domaine des recherches sur l’organisation, le contenu, la pédagogie et l’évaluation dans les systèmes éducatifs étrangers que prévoit la Charte.

Cet effort de recherche au niveau national et international doit être développé en prenant en compte les perspectives des acteurs de première ligne que sont les enseignants, les parents et les enfants. Ceux-ci ne sont pas trop petits pour être véritablement des interlocuteurs des chercheurs et parties prenantes des politiques qui les concernent.

Pascale Garnier,
Professeur en Sciences de l’éducation

En deux mots

Docteur en sociologie, Pascale Garnier est professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris 13. Ses recherches privilégient une sociologie pragmatique des débats et des pratiques relatifs aux enfants et à leur éducation.

Le PGarnier est co-directrice du laboratoire Experice (Centre de recherche interuniversitaire Expérience Ressources Culturelles Éducation), qui s’intéresse particulièrement aux apprentissages et à l’éducation hors de l’école en mettant l’accent sur les situations les moins formelles, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes.

Publications récentes :

• GARNIER P. (2016). Sociologie de l’école maternelle. Paris, PUF.

• GARNIER P., RAYNA S., BROUGÈRE G., RUPIN P., (2016), À 2 ans : vivre dans un collectif d’enfants. Crèche, école maternelle, classe passerelle, jardin maternel. Toulouse, Erès.

• GARNIER P. (2009). « Préscolarisation ou scolarisation ? L’évolution institutionnelle et curriculaire de l’école maternelle », Revue française de pédagogie, n° 169, pp. 22-36. http://rfp.revues.org/1278

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