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Magazine PROF n°39

 

Droit de regard 

Thomas Gunzig : « On apprend par la passion, la curiosité »

Article publié le 31 / 08 / 2018.

L’écrivain scénariste Thomas Gunzig invite les enseignants à communiquer leur passion et leurs émotions à leurs élèves.

Une petite table contre le mur du fond, dans un bar bruxellois. Chaque matin, l'agitation, le bruit des conversations y aident l'écrivain Thomas Gunzig à se concentrer. Rencontre.

© Hannah Gunzig

PROF : Vous êtes écrivain mais aussi professeur dans deux hautes écoles. C'est un atout ? C'est complémentaire ?
Thomas Gunzig :
Eh bien, cela dépend des moments. Parfois, je me dis que je préférerais consacrer mon temps à l’écriture. Et d'autres où j’observe que j’aime faire parler la littérature  aux étudiants. Cela m'aide à voir clair, à organiser ma pensée, à me documenter, à mettre des mots sur des choses pas si évidentes que ça : ce qu’est la littérature, la création d'une ambiance, d'un décor, d'un code narratif.... Mais avoir une totale liberté sur le contenu de mes cours est vital pour moi. Si je devais suivre un programme, je n’en serais pas capable et j’arrêterais.

Vous accordez une place importante aux auteurs belges dans vos cours ?
Non. Je n’aime pas la segmentation en catégories. Je n’ai pas de formation en littérature et l’écriture est quelque chose que j’ai vraiment apprise sur le tas. Alors, je construis mes cours comme un cochon qui cherche des truffes, qui repère les odeurs, les parfums. À mes étudiants, je parle des auteurs, des livres qui m'ont donné du plaisir. L'émotion ressentie, c'est peut-être plus important que le contenu du cours. Plus qu’une série de connaissances apprises par cœur, à retenir, à répéter à l’examen. Ce qui reste des études, ce sont les émotions que l’enseignant a transmises à ses élèves.

Dès cette rentrée scolaire, les élèves à besoins spécifiques ont le droit de bénéficier d’aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire, fondamental et secondaire. Une bonne chose ?
Oui. J'ai été déclaré « handicapé de la langue » dès les maternelles » La dyslexie, je n’ai jamais bien su ce que ça voulait dire. C’est un super mot valise qui qualifie et disqualifie un peu tout ce qu’on veut, une mauvaise orthographe, une mauvaise façon de calculer ou un problème d’attention ou de nervosité. Alors, je suis allé dans l'enseignement spécialisé, mêlé à des élèves avec des problèmes très différents, lourds parfois. Impossible d’avancer si dans un jogging on aligne un champion d’athlétisme et un aveugle.

Et là, j'étais le premier, sans me fouler. Je n’ai jamais étudié. Puis, j’ai réintégré l’enseignement ordinaire avec des lacunes énormes, en maths, en français, en néerlandais, que je n’ai jamais rattrapées. N'ayant jamais travaillé je me suis ramassé. Je crois que les enfants ont une faculté d'adaptation que les parents n'imaginent pas et qu'il ne faut pas tout de suite les mettre sur un rail. Il faut leur donner leur chance même si on a l'impression qu'ils ne sont pas bons. Il vaut mieux qu'ils aient des difficultés dans l'enseignement ordinaire qu'être mis sur une voie de laquelle ils auront du mal à sortir.

Alors oui, l'inclusion, c'est une très belle idée, mais ça m'inquiète aussi. Les enfants peuvent être cruels. Est-ce que les élèves « particuliers » ne vont pas souffrir des moqueries dans la classe ordinaire ? Et puis, cela va sans doute augmenter la charge des enseignants qui ont déjà des difficultés à gérer des classes. Cette inclusion devrait aller de pair avec une meilleure formation des professeurs et bien plus de moyens pour l'enseignement !

Faible en orthographe, vous avez conquis un diplôme universitaire et vous êtes devenu écrivain. Que pensez-vous de la place donnée à l’orthographe dans le cursus des élèves ?
C'est vrai qu'à partir de la 4e secondaire où on cesse de ne faire que de la grammaire et de l'orthographe pour étudier des textes, j'ai adoré. Mais avant, je me suis pris des kilos de mépris, d’ironie, de remarques acerbes. 
En fait, la langue, c'est est un outil génial, mais ça n’a rien avoir avec l’orthographe. La langue et l’orthographe, ce sont deux choses tellement différentes ! La langue est vivante, elle porte plein de choses merveilleuses; l'orthographe, elle, sert à la codifier. Elle est pénalisante, excluante : ce qui reste dans les esprits, c'est que si vous n’avez pas une bonne orthographe, c’est que vous êtes idiot. 
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’apprendre : c’est un outil ingrat qu'il faut l’apprendre de la meilleure façon possible, par exemple en montrant qu'elle a varié au cours des siècles, comme le montrent bien les créateurs du spectacle La Convivialité (1) Pas en la présentant comme le mètre-étalon de la brillance ou de la non-brillance d’un élève. Combien de jeunes ont envie d’écrire plein de choses et n’osent pas parce qu’ils ont une mauvaise orthographe ?

Vos personnages sont souvent des antihéros ; vos livres traduisent une critique de la société. L’école d’aujourd’hui prépare-t-elle les jeunes à y trouver leur place ?
Non, je pense qu'elle essaye de faire des élèves prêts pour le monde du travail, la vie dans l’entreprise. Alors qu'elle devrait les ouvrir à la curiosité, aux arts, aux sciences... On apprend par la passion, la curiosité, pas en reproduisant des connaissances acquises avec ou sans plaisir. C’est peut-être une des causes de tant de décrochages et d’échecs. Et qu'on arrête de dire que les jeunes ne trouveront pas de travail ! Les gens passionnés par une matière sont plus prêts à s’intégrer que ceux qui sont performants Pourquoi ne pas allonger le nombre d'années passées à l’école ? Sortir du système de la succession de cours de cinquante minutes ? Et pourquoi forcer des enfants à rester assis, à se concentrer, à apprendre pendant huit heures, alors que ce sont des boules d’énergie ? Quand j'écris, j'ai des difficultés à me concentrer plus de deux heures d'affilée. 

Le Pacte pour un Enseignement d’excellence propose un parcours d’éducation à la créativité et aux arts  durant tout le parcours scolaire. Avec, notamment, de la pratique artistique, des rencontres avec des artistes. Un signe que la créativité et l’imaginaire seront davantage favorisés ?
Un premier pas intéressant.  Mais il faut consacrer du temps à ces activités- là. Des blocs de cinquante minutes, cela ne suffit pas. Faire venir des auteurs en classe, c'est bien mais il faut aussi permettre aux élèves d'aller dans les lieux culturels, de sortir des classes. Il y a tellement de choses à faire en dehors !

Vous maniez un humour décalé, caustique, parfois noir. Quelle place l’humour peut-il occuper à l’école ? Quelles limites ?
À manier avec prudence. Si on se moque des faibles, c’est de la maltraitance. Dans mes chroniques matinales, je me moque de gens infiniment plus puissants que moi. C’est une sorte d’hygiène démocratique. 

Quel message adresseriez-vous aux enseignants à la rentrée ?
Courage ! Vous faites un métier proche de la création : parfois, on ne trouve pas les mots, on n'arrive pas à susciter l’attention. Le professeur, il ne peut pas arriver en classe avec son sac à dos de problèmes. Pour les élèves, avant d'être quelqu’un, c’est un prof. Et un élève, c'est chaque fois particulier, c'est chaque fois une pochette surprise. Moi, j’ai eu de la chance de m'en sortir ; j’ai beaucoup travaillé et certains enseignants m'ont encouragé. On n’imagine pas l’effet que cela fait sur un enfant quand un enseignant lui dit, avec sincérité : « C’est bien ! ». Ce sont des déclarations importantes, des choses qui touchent.

Propos recueillis par
Catherine MOREAU

(1) Lire « L'orthographe ; tabou ou enjeu démocratique ? »  http://www.enseignement.be/index.php?page=27203&id=2251

En deux mots

Licencié en sciences politiques, Thomas Gunzig est l’auteur de nombreux romans et nouvelles dont Mort d'un parfait bilingue, prix Rossel 2001, et Manuel de survie à l'usage des incapables, Prix triennal du roman de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2016. Il écrit aussi pour le cinéma et pour le théâtre. Le Tout Nouveau Testament, film co-écrit avec Jaco Van Dormael a reçu le Magritte du meilleur scénario 2016.

Il enseigne la littérature dans les écoles supérieures artistiques de La Cambre et de Saint-Luc, à Bruxelles, et est aussi chroniqueur dans l'émission radio Matin Première (RTBF), où il propose un billet sur l’actualité dans son Café serré.
 

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