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Magazine PROF n°43

 

Libres propros 

Dites, l’immersion,
ça marche ?

Article publié le 02 / 09 / 2019.

Cette rubrique invite un expert à faire part d’un message qu’il juge important dans le contexte actuel. Philippe Hiligsmann expose les résultats d’un projet multidisciplinaire et interuniversitaire sur les conditions favorisant l’apprentissage des langues en général et, en particulier, en immersion.

On lit et entend souvent que l’enseignement des langues en Belgique francophone est mauvais et que l’immersion est la méthode d’enseignement idéale. Ces affirmations n’étant la plupart du temps pas étayées scientifiquement, des chercheuses et chercheurs de l’UCLouvain et de l’UNamur (1) ont étudié dans le cadre d’un large projet multidisciplinaire les conditions qui favorisent l’apprentissage des langues en général et en immersion en particulier (2).

L’objectif de cette recherche était d’étudier l’impact de l’apprentissage des langues sur le fonctionnement cognitif, linguistique et socio-affectif des apprenants du néerlandais et de l’anglais, tant dans l’enseignement traditionnel qu’en immersion.

Le projet de recherche, qui a débuté en 2014, a été réalisé en partenariat avec 22 écoles primaires et secondaires présentes en Wallonie. Au total, plus de 900 élèves ont été suivis du début de la 5e à la fin de la 6primaire et du début de la 5e à la fin de la 6e secondaire.

Les données récoltées au cours des deux années scolaires au sein des écoles, ainsi qu’à deux reprises de manière centralisée à l’UCLouvain, sont composées de questionnaires (pour les aspects socio-affectifs), de tests standardisés (pour les aspects cognitifs et linguistiques) et de tâches de production (pour les aspects linguistiques). Des données qualitatives ont également été récoltées lors de focus-groupes et d’observations en classe. Enfin, les parents des élèves, les directions des écoles participantes et le corps enseignant ont également été associés au projet (questionnaires et entretiens).

Pas d’impact négatif
sur la maitrise du français

L’image qui colle à la peau de l’immersion est qu’il s’agit d’un enseignement élitiste, alors qu’il n’y a en principe pas de conditions d’accès, ni de critères de sélection pour inscrire son enfant dans un parcours immersif. Sur la base du plus haut diplôme décroché par la mère des enfants en tant qu’indicateur prédictif des résultats scolaires, il apparait clairement que, comparé au public de l’enseignement traditionnel, l’immersion attire un public privilégié au niveau socio-économique, culturel et familial. Ceci est particulièrement le cas pour le néerlandais. Quasiment 50% des mamans des élèves inscrits en immersion ont un diplôme universitaire, contre moins de 25 % pour les mamans des élèves inscrits dans le traditionnel.

Une des préoccupations (légitimes) des parents qui souhaitent inscrire leur enfant dans un parcours immersif porte sur le niveau de la langue de scolarisation, en l’occurrence le français. Ici, très clairement, tous les résultats de la recherche concordent : à la fin du parcours scolaire (en primaire et en secondaire), l’immersion n’a pas d’impact négatif sur la maitrise du français. Que ce soit au niveau du vocabulaire réceptif, de la lecture à voix haute, de l’orthographe, des productions écrites, ainsi qu’au niveau des résultats au CEB/CESS (qui se font uniquement en français), les élèves en immersion obtiennent des résultats identiques, voire meilleurs que les élèves non immergés.

De bonnes performances en langue étrangère

Quant aux performances en langues étrangères (anglais et néerlandais), il s’avère sur la base de tests standardisés prévus pour des locuteurs natifs que les élèves de 5secondaire immersion (donc à l’âge de +/- 16 ans) disposent d’un vocabulaire réceptif équivalant à celui d’un enfant néerlandophone de 11 ans, alors que les élèves de 5secondaire de l’enseignement traditionnel atteignent le niveau d’un enfant néerlandophone de 7 ans (gain de 4 ans).

On retrouve également une différence significative, quoique moindre, entre les deux groupes d’apprenants de l’anglais : en 5secondaire immersion, les élèves disposent d’un vocabulaire réceptif identique à celui d’un enfant anglophone de 9,3 ans, contre 6,5 ans pour les élèves en 5secondaire du traditionnel (gain d’un peu moins de 3 ans).

Au niveau des tâches écrites effectuées par les élèves du secondaire, comme indiqué ci-dessus, aucune différence n’a été constatée entre les deux groupes d’apprenants pour le français. Par contre, les rédactions produites en langue étrangère par les élèves en immersion sont d’un point de vue linguistique plus complexes (plus grand nombre de phrases/mots par texte, phrases plus longues, plus grande diversité lexicale) que celles produites par les élèves de l’enseignement traditionnel. Ces différences sont plus prononcées pour le néerlandais que pour l’anglais.

Outre les mesures de complexité, une attention particulière a été portée à la phraséologie (combinaisons de mots, telles que op reis gaan, de tafel dekken, at the airport, in addition to) et aux intensifieurs (brand new, bloedserieus). Ici aussi, on constate un vocabulaire phraséologique plus large (fréquence) et plus varié (diversité) en immersion que dans l’enseignement traditionnel, ainsi qu’une utilisation des intensifieurs plus proche de celle des locuteurs natifs par les élèves en immersion.

Par ailleurs, le nombre d’erreurs phraséologiques est moindre en immersion que dans l’enseignement traditionnel, avec une différence importante entre l’anglais et le néerlandais. Le calcul du ratio entre le nombre d’erreurs phraséologiques par rapport au nombre de combinaisons produites montre en effet que les élèves en immersion anglais produisent 5% d’erreurs ; les élèves du traditionnel, 10 %. En néerlandais, les pourcentages s’élèvent à 14 % en immersion et à 22 % dans le traditionnel.

L’anglais : plus attrayant et plus facile

Pour ce qui concerne les aspects socio-affectifs, sans surprise, l’anglais est considéré comme une langue plus attrayante et plus facile que le néerlandais, tant en immersion que dans le traditionnel. Il faut toutefois noter que l’attrait du néerlandais chute de manière significative entre le début de la 5et la fin de la 6primaire.

Tous les élèves s’avèrent par ailleurs être motivés, à l’exception des élèves du secondaire traditionnel qui suivent le néerlandais. Globalement, les élèves en immersion ont des profils socio-affectifs plus favorables, les différences avec l’enseignement traditionnel se marquant plus en secondaire et plus pour le néerlandais. L’immersion ne compense en fait que partiellement les idées reçues relatives au néerlandais.

Au terme de cette recherche, il apparait que plusieurs facteurs présents en immersion favorisent l’apprentissage des langues et que les gains obtenus ne sont pas nécessairement dus à l’immersion en tant qu’approche pédagogique. Parmi les facteurs favorables à l’apprentissage, on peut citer l’apport en langue étrangère plus important, des contacts accrus avec les locuteurs natifs, des enseignantes et enseignants enthousiasmants, ainsi qu’une intégration accrue entre l’enseignement des matières et celui des langues.

Philippe Hiligsmann

(1) L’équipe de recherche était composée de Ph. Hiligsmann (UCLouvain), A. Bulon (UCLouvain-doctorante), A. De Smet (UCLouvain/UNamur-doctorante), B. Galand (UCLouvain), I. Hendrikx (UCLouvain-doctorante), L. Mettewie (UNamur), F. Meunier (UCLouvain), M. Simonis (UCLouvain-doctorante), A. Szmalec (UCLouvain), Kr. Van Goethem (UCLouvain), L. Van Mensel (UNamur-post-doctorant).
(2) Les publications scientifiques liées au projet sont accessibles via le lien
https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/ilc/recherche.html
La vidéo de la présentation des principaux résultats de la recherche est aussi disponible :
https://www.youtube.com/playlist?list=PLd5KCIp7jmqdgzZwCl3y8sj8fC67qG3GJ

En deux mots

Licencié en philologie germanique et docteur en philosophie et lettres de l’Université de Liège, Philippe Hiligsmann est le porte-parole de la recherche multidisciplinaire sur l’immersion linguistique. Il est chercheur et professeur ordinaire en langue et linguistique néerlandaises à l’Université catholique de Louvain et responsable académique du certificat universitaire Didactique de l’enseignement en immersion.

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