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Magazine PROF n°46

 

Droit de regard 

Thierry Michel: « Le lieu de base de l’apprentissage de la démocratie, c’est la classe »

Article publié le 02 / 06 / 2020.

Avec L’École de l’impossible, le cinéaste Thierry Michel cosigne un nouveau documentaire sur une école. Ici, une école secondaire offrant à ses élèves précarisés un cadre bienveillant.

En 2017, Thierry Michel a réalisé avec Pascal Colson le film Enfants du hasard, multi-primé et encore régulièrement projeté dans nos écoles (1). Il a consacré un deuxième documentaire à la vie d’une école, en encadrement différencié, L’École de l’impossible, co-écrit avec Christine Pireaux. Terminé en décembre, il devait sortir en salles en avril. Les circonstances en ont décidé autrement. Il parle ici de ce film, sur lequel PROF reviendra à sa sortie.

Prévue en avril, la sortie du nouveau film de Thierry Michel a évidemment été reportée.
Prévue en avril, la sortie du nouveau film de Thierry Michel a évidemment été reportée.
© Les Films de la Passerelle

PROF : Comment est né L’École de l’impossible ?

Thierry Michel : Après avoir fait Enfants du hasard sur des petits-enfants de mineurs, dans le nord de Liège, j’avais envie de faire un film sur les enfants de sidérurgistes, dans le sud de Liège, à Seraing, commune emblématique de la sidérurgie wallonne.

Le hasard a aussi joué, car c’est en filmant la démolition du haut-fourneau de Seraing pour un film sur l’histoire industrielle liégeoise que j’ai fait la connaissance du Collège Saint-Martin. L’école jouxtait ce haut-fourneau et son directeur nous a permis d’installer une caméra dans une des classes. Ainsi, au départ d’un film sur le passé, je me suis lancé dans un film sur le présent, à travers une génération qui m’interpelle beaucoup, celle des adolescents.

J’ai découvert que les élèves du Collège Saint-Martin n’étaient pas des enfants de sidérurgistes, et rarement de travailleurs. Dans cette zone de déshérence industrielle, la plupart sont en effet issus de familles en situation précaire, au chômage ou dépendant de l’aide sociale. Comment ces jeunes se situent-ils, comment vont-ils se construire et en quoi l’école, qui est un milieu de culture collective, va pouvoir les aider ? Ces questions étaient à l’origine du film.

Comme dans Enfants du hasard, le film plonge le spectateur à la fois dans la vie de l’école et dans celle des élèves…

Dans les deux cas, les élèves sont saisis à des moments importants de l’existence, et ce dans le cadre de l’univers scolaire. L’univers des Enfants du hasard est celui d’une petite école au public assez homogène, issu de l’immigration turque venue travailler dans les mines de charbon, et de sa classe de 6e primaire constituée d’élèves à un âge charnière. C’est un peu un film sur la fin de l’enfance, de l’innocence de l’enfance…

Dans ce film-ci, on est dans une école avec quelque 400 jeunes de dix-sept nationalités différentes, provenant pour beaucoup d’immigrations récentes, vivant dans des quartiers défavorisés, avec des problèmes familiaux et des parcours scolaires difficiles, et qui viennent à l’école avec quelque chose de lourd dans leur bagage. Ce sont des adolescents en pleine maturation, avec leurs conflits identitaires et leurs espérances, ayant à se construire comme jeunes adultes.

Donc à un « carrefour de vie » ?

Oui, c’est une belle formule, elle est prononcée par un professeur de l’école au cours du film. Il confronte un élève à ses défaillances et lui dit : « Écoute, tu es à un carrefour de vie ! » Et je pense qu’à ce moment, le film montre combien l’école est essentielle, encore plus pour ces enfants qui ne sont pas ceux de classes aisées.

D’autant que cette école apparait comme une de celles de « la dernière chance » ?

Oui, c’est une école qui accueille ce qu’elle-même appelle des « bras cassés ». Elle accepte une population dont beaucoup d’autres ne veulent plus et essaie d’offrir des perspectives d’orientation à des jeunes disposant au départ de peu de chances. Certains y sont parce que l’enseignement est obligatoire ; d’autres, ayant dépassé l’âge de l’obligation scolaire, y vont car il en va de leur dernière chance de décrocher un diplôme.

La manière d’agir avec les jeunes de cette école est celle d’une approche bienveillante, attentive à la situation de chacun, tout en les cadrant et les éduquant au respect de règles collectives. Cela ne réussit pas pour tous les élèves : il y en a aussi dont l’école a dû se séparer.

Thierry Michel: Je pense que le film montre combien l’école est essentielle, encore plus pour ces enfants qui ne sont pas ceux de classes aisées.
Thierry Michel: Je pense que le film montre combien l’école est essentielle, encore plus pour ces enfants qui ne sont pas ceux de classes aisées.
© Les Films de la Passerelle

Faire de l’école de l’impossible celle du possible, c’est tout l’enjeu ?

Oui, on voit bien dans le film qu’il y a des jeunes pour qui l’école va être une planche de salut, un tremplin pour se construire. C’est notamment le cas d’une des élèves parmi ceux que j’ai plus particulièrement suivis. Elle a tous les handicaps pour ne pas réussir - un drame familial terrible, deux ans de privation de scolarité - mais elle veut surmonter, réussir son parcours scolaire et aller à l’université.

À un professeur qui a eu un rôle important dans son évolution, elle dit vouloir quitter le collège pour un établissement plus renommé. Il l’encourage, puis souligne en conseil de classe ce qui fait problème : « Si les bons élèves nous quittent, il nous restera les autres… » Cela dit bien qu’il y a des inégalités scolaires qui sont loin d’être résolues.

Pourquoi avoir terminé le film par cette citation du pédagogue français Philippe Meirieu, « La pédagogie est un sport de combat contre la fatalité et l’injustice » ?

Cela m’est apparu, en voyant le directeur, les professeurs et les éducateurs se confronter tous les jours à cette dure tâche d’essayer de créer un esprit collectif, mais surtout de donner du sens à la vie de ces jeunes, et de les aider à sortir du marasme, dans des conditions difficiles.

On voit dans le film que pour les élèves aussi, l’école est « sport de combat ». Même au sens littéral puisque certains pratiquent la boxe…

Et ce sont des filles, en plus… Ce film casse aussi une série de stéréotypes. C’était pour moi une découverte : ces filles qui font des sports de combat, qui affirment leur homosexualité, c’est quand même d’une force incroyable… Donc, on voit bien qu’il y a une énergie et que tous ces jeunes portent en eux quelque chose – que l’école ne soupçonne pas toujours.

Le terrain est fertile, mais il faut creuser, c’est ça qui est difficile pour les professeurs : comment, à la fois, tenir compte des individualités, aller chercher chez chacun quel est son ressort pour faire se déclencher une dynamique positive mais en même temps, garder l’idée du collectif, une discipline et une solidarité aussi, basée sur l’écoute réciproque. Le lieu de base de l’apprentissage de la démocratie, c’est la classe.

Il y aussi des séquences dans le film où l’on sent chez les élèves des frustrations ou des pulsions destructrices…

Cette violence latente resurgit à deux moments. À l’occasion du cambriolage d’une station-service qui aboutit à la mort d’un des agresseurs, ils s’identifient à cet agresseur parce que c’est un ancien de leur école, un garçon de leur génération…

L’autre séquence, c’est au cours d’un débat qu’un professeur organise à propos de deux policières tuées à Liège par un ex-détenu radicalisé, où l’on voit qu’aucun élève ne marque de l’empathie pour les victimes. S’exprime là une rancœur profonde, non vis-à-vis de l’école mais de la société, et le professeur doit recadrer ses élèves. Mais heureusement l’école est là pour que le débat ait lieu, pour que la parole puisse se dire et pour que le travail pédagogique sur les valeurs fondamentales d’une société puisse s’exercer.

Propos recueillis par
Monica GLINEUR

(1) Accessible en streaming via www.laplateforme.be, la vitrine de promotion des films de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui propose un catalogue important de films belges, tous genres confondus, produits de 1980 à aujourd'hui. Les enseignants peuvent s’y inscrire gratuitement.
 

En deux mots 

Thierry Michel est cinéaste, photographe et journaliste.

Entré à la RTBF en 1976, il y a réalisé de nombreux reportages de par le monde, puis passera au cinéma avec des longs-métrages de fiction et documentaires, dont Enfants du hasard et une série de documentaires réunis dans la Collection Congo-Zaïre, 1990-2015 (Mobutu, Roi du Zaïre ; Congo River ; Katanga business ; L’homme qui répare les femmes ;…), éditée par Les films de la Passerelle.

Ancien professeur à l’Institut des Arts de Diffusion, il enseigne le « cinéma du réel » à l’université de Liège. Il est l’auteur de livres de photos/texte sur l’Afrique et dirige, à travers le monde, des séminaires sur l’écriture et la réalisation documentaire.


 

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