Magazine PROF n°5
Souvenirs d'école
Les yeux vers les avions
Article publié le 01 / 03 / 2010.
Des studios du JT à l’Afghanistan, Hadja Lahbib maitrise ses sujets. Elle qui « réalise ses rêves, si petits soient-ils, pour en construire d’autres », nous explique comment l’école l’a amenée là.
PROF : Du Borinage à Bruxelles, quel est votre parcours ?
Hadja Lahbib : Je suis née à Boussu-Bois, d’origine algérienne. Ma famille s’installe rapidement à Saint-Josse : j’ai un an et demi. J’y fais mes maternelles. Puis nous bougeons encore vers un immeuble du boulevard Jacqmain que j’appelais la tour Coca-Cola. Je suis les cours de l’École fondamentale du Canal, une école avec 99% d’immigrés.
Je démarre mes secondaires à l’Institut De Mot. La directrice, vu mon milieu et l’école d’où je venais, m’inscrit en technique. Peu manuelle, je déteste les cours de couture et de repassage. Mais une jaunisse me cloue plusieurs mois à la maison et me sauve. Septembre suivant, je vais m’inscrire seule à l’Athénée Émile André. Le soir, sur mon journal de classe, je lis l’en-tête… de l’Institut Saint-Thomas, une école catholique. Mon sens de l’orientation a dû me jouer un tour. Mais, je resterai là, … par timidité, je m’en-foutisme ou inconscience d’ado.
À côté des Marolles et de la gare du Midi, j’y rencontre un beau mélange de profils différents : skinhead, comédien à la recherche du CESS... Dans cette « école de la dernière chance », nos professeurs prennent le temps.
Vous vous réconciliez avec l’école ?
J’y ai trouvé des cours qui me correspondaient plus : le français, les langues. J’y ai comblé mes lacunes, mais ne me parlez pas des mathématiques. Notez que cette découverte de sujets que je connais moins ou pas du tout, je la pratique encore quotidiennement. Journaliste, c’est un état de curiosité permanente et d’envie de vivre des pages d’histoire qui s’écrivent.
Jusqu’en 3e rénovée, le conseil de classe, divisé, me laisse passer. Le professeur de mathématiques se demande toujours comment je réussissais à faire mes équations au cours de biologie et pas au sien. Il faut dire aussi que j’endosse la toge d’avocat à la première occasion ou que j’amuse la galerie, pour un oui ou pour un non. Les zygomatiques de la classe s’en souviennent, tout comme aujourd’hui, ceux de mes proches et de mes collègues.
Mais mes résultats progressent et les trois années suivantes passent vite.
Et puis, l’université ?
La philologie romane à l’ULB, dans une ambiance monothématique et fort « stijf », n’était pas ma tasse de thé. Et l’idée d’affronter des élèves comme celle que j’avais été non plus. J’ai vite rejoint la section journalisme. Autre choc : l’anonymat au sein d’un auditoire de 600 personnes où règne le « struggle for life ». Après l’écrémage des premières années, cela se passe mieux.
Un Érasmus dans une école de théâtre parisienne m’écarte de cours plus centrés sur la télévision. Le tirage au sort du stage de fin d’études me ramène à RTL. Je le termine avec un engagement de pigiste.
Des rencontres vous ont-elles marquée ?
Plusieurs. Parmi elles, mon instituteur, Eddy Étienne. J’ai pris chez lui l’écriture de BD, la rédaction d’articles de journal, le trac et la gorge sèche des histoires racontées devant la classe. Il poussait chacun à utiliser le meilleur de soi. Tout enseignant se rend-il compte du pouvoir qu’il a – positif ou négatif – et de ce qu’il représente pour ses élèves ? Il faisait des cours avec des diapositives ramenées d’Inde ou de l’Ile de Pâques. Il a initié à la découverte la petite Maghrébine, élève du quartier « Chicago ». Et, le soir, je regardais les avions, dans le ciel, en me disant qu’un jour je partirais.
Propos recueillis par
Patrick DELMÉE
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