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Magazine PROF n°56

 

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Sophie Maes : « Comment vont nos adolescents aujourd’hui ? »

Article publié le 05 / 12 / 2022.

Cette rubrique invite un⸱e expert⸱e à faire part d’un message jugé important dans le contexte actuel. Pédopsychiatre, la Dre Sophie Maes invite à nous mobiliser en faveur de la santé mentale de nos jeunes.

Dre Sophie Maes, pédopsychiatre au centre hospitalier Le Domaine-ULB.
Dre Sophie Maes, pédopsychiatre au centre hospitalier Le Domaine-ULB.
© PROF/FWB

La santé mentale des jeunes, des 13-25 ans, a été très fortement impactée pendant la pandémie au COVID-19. Le nombre de jeunes en décompensation psychique a été tel qu’il a complètement saturé les systèmes de soin de santé mentale pendant deux ans : les délais d’attente pour obtenir une consultation ou une hospitalisation étaient de 4 à 6 mois. Les soins n’étaient plus disponibles dans des délais acceptables, le système des soins de santé mentale a été en faillite. Les familles et les professeurs se sont retrouvés seuls face aux idées suicidaires et aux états de paniques de leurs enfants. De nombreuses écoles ont témoigné de la fréquence des crises d’angoisse chez leurs élèves, et les taux de décrochage scolaire n’ont jamais été aussi importants.

Comment vont nos adolescents aujourd’hui ? Cette question répond surtout à une demande de réassurance. Malheureusement, comme le souligne Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’ULouvain, dès que des chiffres alarmants diminuent un peu, même si la situation reste extrêmement tendue, cela entraine rapidement une perte d’intérêt dans les médias et la société. Aujourd’hui, les demandes recommencent à affluer dans les services de soin de santé mentale. Restons alertes et donnons-nous la possibilité de penser cette crise que nous avons traversée.

Revenir sur la crise COVID

Cet exercice est d’autant plus périlleux et nécessaire que nous n’avons justement pas eu le temps d’élaborer cette crise du COVID de manière collective, car l’étau de la pandémie se desserrait à peine que la peur de la guerre et de la crise énergétique venait remplacer la peur de l’hécatombe de nos ainés. Rappelons-nous : les images qui nous sont arrivées d’Italie en début de pandémie ont été effroyables, le transport de nuit de centaines de corps par camions militaires, la méconnaissance du virus, et l’absence de moyens pour y faire face, ont généré de la panique, mais a également mobilisé toute notre humanité pour protéger nos aînés.

Dans le monde entier, l’économie a été mise à l’arrêt pour sauver les plus âgés, pourtant considérés par le monde néolibéral comme n’étant plus productifs, et donc habituellement délaissés dans nos sociétés modernes.

Ce sursaut d’humanité a été très salutaire, mais les mesures qui ont été prises ont entraîné des dégâts collatéraux qui n’étaient pas audibles en pleine crise, tant la peur de la saturation de nos structures hospitalières a été prépondérant. Nous n’avons pas eu le temps d’un débat, d’une réflexion par rapport aux choix qui ont été posés et à la prise en compte de leurs conséquences, notamment sur la santé mentale de nos jeunes. Elle est encore délaissée aujourd’hui, sous la pression de nouvelles préoccupations énergétiques et économiques.

De plus, nous sommes, en tant qu’adultes, bercés par l’illusion de l’existence d’une grande capacité de résilience chez un jeune, comme si le jeune âge était en soi la solution. C’est oublier que l’âge est également un facteur de fragilité face au trauma. Pour exemple, en termes de dégâts psychiques, deux mois de harcèlement scolaire chez un enfant équivalent à 20 mois de harcèlement professionnel chez un adulte.

C’est également se laisser aveugler par la pervertisation de la notion de résilience que pratique notre société centrée sur la rentabilité et le profit. La résilience est une notion que Boris Cyrulnick a largement vulgarisée, mais qui vient à l’origine des sciences de la physique : elle décrit la capacité d’un corps déformé à retrouver sa forme d’origine une fois que les forces déformantes cessent leur action. Exemple : un élastique s’étire, et retrouve sa forme d’origine une fois relâché. En psychologie, la résilience décrit la capacité d’un individu à retrouver un équilibre psychique satisfaisant après un trauma. Encore faut-il que les facteurs de stress cessent ! B. Cyrulnick a également insisté sur l’importance du lien à l’autre pour soutenir les capacités de résilience d’un individu. Enfin, ce processus demande du temps.

Auprès de nos jeunes

Les capacités de résilience existent chez nos jeunes et sont solides, mais nécessitent un contexte favorable pour qu’elles puissent s’exprimer : un allègement des facteurs de stress, le soutien à la reprise des liens, et la mise en place d’un temps d’élaboration.

Au-delà des facteurs traumatiques, la crise du COVID a eu un effet seuil. Elle a fait évènement pour nombre de personnes : nombre d’entre nous avons été saisis par des questions de type existentiel portant sur notre mode de vie, nos choix de carrière, nos choix d’habitation. Les démissions et les déménagements ont été multiples à la sortie de crise.

Dans le monde de l’enseignement, cette crise d’identité suscite aujourd’hui plus de départs que de nouvelles vocations. L’enjeu est le besoin de trouver du sens à notre existence. La proximité de la mort pendant cette crise a conduit nombre d’entre nous à une prise de conscience de notre unicité et de l’urgence de vivre notre vie.

Les adolescents ont également été impactés par cette crise dans leur rapport au monde, et à l’école. Leur école a été transformée en lieu de contrôle sanitaire déshumanisé. L’école était un lieu de savoir et de rencontre avec l’altérité ; pendant la crise, le savoir a été dispensé par les cours en distanciel et l’école est devenue plus encore qu’avant un lieu de stricte évaluation, où la rencontre avec l’autre était bâillonnée.

Comment nos adolescents peuvent-ils revenir à l’école sereins aujourd’hui après de telles expériences ? Le questionnement existentiel serait-il devenu l’apanage des adultes ? Est-il possible de se dire que les jeunes ont traversé cette crise sans qu’eux aussi soient impactés et transformés dans leur rapport à l’enseignement ? À la levée de la crise, les adultes se sont réveillés en attendant tout à coup autre chose de leur vie, plus de qualité et plus de sens. Les élèves eux aussi attendent maintenant autre chose de leur école et de leurs professeurs, en termes de qualité humaine et de mise en sens.

Toutes les écoles n’ont pas été affectées de même manière pendant la crise COVID. Certaines ont mieux résisté, tant du côté des élèves que des professeurs : ce sont celles qui ont tenté d’appliquer les mesures sanitaires avec intelligence en préservant la bienveillance et le vivre ensemble, ce sont celles qui privilégient la mise en sens de la matière, qui veillent à la qualité de la rencontre entre l’élève et le savoir, et qui s’appuient sur la dynamique du groupe classe pour soutenir les apprentissages de manière collective et solidaire. Ce sont celles qui privilégient le rythme d’apprentissage aux dépens du strict respect du programme établi. Ce sont celles qui adoptent la philosophie de grands pédagogues tels que Decroly, Freinet et Meirieu.

N’attendons pas une réforme de l’enseignement venant d’en haut : nous sommes tous susceptibles de donner du sens à notre pratique, de nous engager auprès de nos jeunes et de changer le monde par un envol de colibris.

Sophie MAES

En deux mots

Pédopsychiatre et thérapeute de famille, la Dre Sophie Maes est responsable clinique de l'équipe mobile pédopsychiatrique du Centre hospitalier Le Domaine–ULB, à Braine-l’Alleud.

Elle a été le médecin fondateur de l’Équipe mobile pédopsychiatrique du Brabant Wallon et a participé à la création du Centre de jour pour adolescents Pass@do de l’hôpital de Tubize. Elle est formatrice dans le cadre des Certificats en cliniques psychothérapeutique orientation infanto-juvénile de l’ULB.

Responsable d’une équipe de liaison mise en place suite à la crise COVID-19 en milieu pédiatrique au sein du CHIREC de Braine-l’Alleud, elle a participé aux débats durant l’année 2021 sur la situation de la santé mentale des jeunes.

Elle apporte aussi son éclairage dans le film documentaire du Centre d’Action Laïque Tout va s’arranger (ou pas), réalisé par Pierre Schonbrodt.

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