Magazine PROF n°11
Dossier École et jeunes en danger
École et jeunes en danger
Article publié le 01 / 09 / 2011.
Que faire comme enseignant, éducateur, directeur ou agent de CPMS face à un élève en difficulté ou même en danger ? Au moment où les articulations entre l’école, la justice et l’aide à la jeunesse se font plus nombreuses et où le rapport entre les différents acteurs évoluent, PROF découvre quelques réponses.
Selon Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, « la famille contemporaine postmoderne a rompu avec l’univers de normes de la période moderne, car il apparaissait comme un obstacle à la liberté de l’enfant. Habitué à négocier, celui-ci considère les normes obsolètes, voire absurdes. On veut, dans la conception actuelle, qu’il devienne un sujet autonome » (1).
Cette conception, axée sur plus de liberté et d’épanouissement, s’accompagne d’une individualisation des valeurs et d’un estompement de la norme commune, peut-être plus facilement transgressée. Un signe ? Les enfants qui fréquentent les instituts de protection de la jeunesse, pas plus nombreux qu’avant, s’y retrouvent plus jeunes, comme s’ils testaient plus vite les limites. Un autre ? Les acteurs scolaires et sociaux s’inquiètent aujourd’hui de l’accessibilité de l’école pour les enfants des familles qui subissent les inégalités sociales (2).
M. Pourtois et Mme Desmet estiment que l’autorité traditionnelle des parents sur leur enfant ayant tendance à disparaitre, le parent éducateur doit faire preuve d’une autorité « médiatrice » qui va articuler « l’être soi » – l’enfant dans sa quête individuelle – et « l’être ensemble ». Force est de constater qu’il s’en décharge au moins en partie sur l’école. Est-elle capable de l’y aider ? Perméable à la société, elle en est en partie le miroir et la reproduit en partie. Et, pour le philosophe Bernard Defrance, « c’est bien l’école, à l’échelle planétaire, qui produit et reproduit la mafia dirigeante et la masse exclue. Si l’on prétend lutter contre l’exclusion par les moyens mêmes qui la produisent, il ne faut pas s’étonner des résultats ! En réalité, le « mauvais élève » est nécessaire à la bonne marche de l’école, de même que l’exclu est nécessaire à la bonne marche de nos sociétés et de la mondialisation » (3).
Un couple infernal
Face à cette mission d’éducation, l’école pourrait être tentée, légitimement, de se replier sur elle-même et sur les apprentissages, sa première mission. Mais l’apprentissage de la vie en société n’est-il pas le premier d’entre eux ? Dans ce milieu structuré et régenté, l’enseignant l’oublie peut-être, pour enseigner les disciplines. C’est directement perceptible et rassurant. Autre difficulté, « Entrer dans la classe, explique M. Defrance, c’est d’emblée se trouver pris dans un rapport de forces, et c’est d’abord la peur, tout simplement, aussi bien du côté des enseignants et des enseignés, qui va guider les comportements » (4).
Certains jeunes s’adaptent, sans heurts. Mais que faire avec ceux qui, de façon chronique ou définitive sont en difficulté, en danger, en crise ou en révolte ? Pour eux, ne faut-il pas ouvrir l’école à l’extérieur, aux partenaires ? « L’élève et l’école forment un couple, répond Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant. Or, pour que tout couple fonctionne et ne devienne pas infernal, une triangulation est nécessaire : les enfants, les amis, un voyage,… ».
Cette voie n’est pas sans difficultés pour le chef d’établissement. En effet, sa charge de travail n’est pas mince. Par ailleurs, « le fait que l’État prend en charge de plus en plus de situations et de difficultés spécifiques a induit la multiplication des acteurs spécialisés, explique le chercheur Bernard Petre. Cette multiplication et cette spécialisation des intervenants ne facilitent pas la tâche des directeurs… Et les facteurs qui rendent la situation de certains enfants très complexe (dans le cadre de l’autorité parentale) et/ou qui mettent les enfants en danger (dans le cadre de la maltraitance) ont tendance à se cumuler » (5).
Selon lui, une série de nœuds compliquent fort les relations entre ces acteurs. Vivant dans des temps et des espaces différents, ils ne sont pas confrontés de la même façon au secret professionnel. Et comment savoir déléguer ou partager l’information suffisamment tôt ?...
L’école doit aussi faire avec une pression juridique. En juin dernier, par exemple, une information judiciaire a été ouverte à l’égard d’un chef d’établissement, afin de vérifier pourquoi des faits graves n’avaient pas été signalés plus tôt au Parquet. De façon plus globale, en 2006, le ministère de l’Intérieur visait à accroitre la collaboration police-école, avec à la clé un débat parfois houleux (lire « Partager les infos sans trahir le secret »).
Des atouts
« Face à ces tendances qui lui sont plutôt défavorables, l’école bénéficie d’un atout extraordinaire, c’est la créativité », rétorque M. Petre. C’est certainement le cas des établissements qui ouvrent des sas internes ou des écoles de la citoyenneté, par exemple. Autre atout, le cadre administratif et politique évolue, depuis 15 ans. Le décret Missions avait amené l’obligation automatique de signalement des 20 demi-jours d’absence. Cela a cristallisé un malentendu. Les écoles ne comprenaient pas que cette démarche n’amenait pas automatiquement une action du SAJ pour un retour du jeune sur le banc.
Les travailleurs sociaux ne mettaient des mesures en œuvre que s’ils considéraient l’enfant en difficulté ou en danger, avec une lecture des faits peut-être comprise différemment par les uns et les autres.
À la même époque, des acteurs des différents secteurs s’émeuvent de cette situation et commencent à se rencontrer, à parler d’accrochage scolaire, comme à Huy et dans d’autres arrondissements. Selon Michel Noël, directeur général-expert de l’Aide à la jeunesse, ces acteurs sont passés d’une logique de vis-à-vis à celle du côte-à-côte. Les administrations de l’enseignement obligatoire et de l’aide à la jeunesse ne sont pas en reste (voir ci-contre). Le politique adopte des mesures qui vont dans ce sens. C’est le cas du plan d’actions visant à garantir les conditions d’un apprentissage serein (2009). Parmi ses mesures, le numéro vert Assistance-école fonctionne depuis septembre 2011. Et un Guide pratique relatif à la prévention et à la gestion des violences en milieu scolaire devrait paraitre en janvier 2012 à destination des professionnels de l’enseignement obligatoire.
Le défi est important. Des réponses se dessinent. Cela se confirme : il n’y a pas non plus d’animal qui soit capable d’aussi grand amour que l’homme pour l’homme.
Patrick DELMÉE
(1) POURTOIS J.-P., DESMET H., « La norme et l’enfant » dans La Santé de l’homme, n° 400, mars-avril 2009, sur https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-sante-de-l-homme-mars-avr-2009-n-400-petite-enfance-et-promotion-de-la-sante
(2) Comment contribuer à la réduction des inégalités sociales dans le champ socio-éducatif ? Problématisation et recommandation, juin 2011, Délégué général aux droits de l’enfant, http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=3504
(3) DEFRANCE B., Le droit dans l’école, Castells, Labor, 2000, p. 14. http://www.bernard-defrance.net
(4) Ib., p. 11.
(5) PETRE B., « École, aide à la jeunesse : justice : une recherche-action », dans École, aide à la jeunesse, justice : quelles collaborations ? FédeFoC, 2010.
Articuler Aide à la jeunesse et Enseignement
Liliane Baudart, responsable de la Direction générale de l’Aide à la jeunesse, a une expérience de 30 ans dans son secteur. Un de ses soucis est la nécessaire articulation entre l’école et les travailleurs sociaux. Il y a 10 ans, elle a participé à la naissance de la Commission Crochets, à Huy (lire « Tisser des liens, pour aider les jeunes »). Dans la foulée, elle suit la recherche-action menée par Ghislain Plunus. « Il met autour de la table des représentants des écoles, des CPMS, de la Justice et de l’Aide à la jeunesse pour discuter de l’accrochage scolaire dans un territoire déterminé. C’est très important de soutenir les opérateurs de terrain par une conceptualisation bénéficiant d’une aide extérieure. Sans le soutien des politiques ou de l’administration, les initiatives de terrain, nombreuses, déclinent en raison de changements de boulot ou de l’usure des acteurs ».
Cette articulation, Mme Baudart la pratique au sein de l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec son homologue Lise-Anne Hanse, en charge de la Direction générale de l’Enseignement obligatoire : « Depuis quelques années, nous nous concertons trois fois par an ». C’est d’ailleurs d’un commun accord que Mmes Baudart et Hanse attendent la rentrée scolaire 2011 et des décisions de leurs ministères respectifs à propos de la recherche-action : leurs deux administrations préconisent de soutenir et d’élargir ce type de concertation à Bruxelles et à toute la Wallonie, avec une injonction à leurs agents d’y participer. « Le plus facile serait d’utiliser une circulaire commune. Payée conjointement par les deux secteurs, une personne référente piloterait ce dispositif, pour organiser la logistique et réceptionner les questions. Un comité éditorial l’aiderait à valider les bonnes pratiques à placer sur un site ».
Pa. D.
Partenaire particulier cherche…
Une grosse partie des problèmes de l’individu surgissent à l’adolescence. Pour Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant, la situation a évolué depuis 10-15 ans, pour ne pas laisser l’école seule face à cela. Les partenaires ont frappé à sa porte. Parfois avec bonheur, parfois pas : « La temporalité n’est pas la même : la rencontre d’un professeur se fait sur le temps de midi ou après 16h30. L’école valorise les savoirs, pas assez les savoir-faire ou les savoir-être. Elle manque de stratégie de remédiation : les enfants issus des milieux précarisés ont plus de chances d’avoir des difficultés scolaires. Elle n’est pas assez inclusive. Et, lorsqu’elle demande l’aide d’un acteur social, celui-ci a souvent le sentiment insatisfaisant d’être le dépanneur de service et non un partenaire à part entière. Elle a du mal à s’y retrouver entre les différents partenaires possibles, mais y consacre-t-elle le temps nécessaire ? »
Ainsi M. De Vos plaide-t-il pour créer respect et confiance, dans des projets menés en commun, avant le dépannage. « Comme pour l’opération Thermos : des élèves procurent des vivres pour les SDF. Mais ils effectuent une série d’apprentissage au cours pour s’y préparer ». Il propose aussi que les acteurs scolaires discutent de leurs règles de vie en commun lors d’un temps à la rentrée. « Et pourquoi pas une journée annuelle de rencontre entre l’école et tous ses partenaires pour savoir qui est qui et qui fait quoi, y compris la police ? Par contre, abrogeons la circulaire PLP41 (lire « Vingt-deux, les v’là »). Sur sa base se produisent des opérations anti-drogue avec chiens et fouilles dans les écoles, sur lesquelles je reçois des dizaines de plaintes par an. De plus, l’appel à confidences de certains policiers prête à confusion ».
Pa. D.
Vingt-deux, les v’la...
En 2006, peu après la mort de Joe Van Holsbeek, le ministère de l’intérieur lançait la circulaire PLP41 (1) demandant aux zones de police de créer des points de contacts et de signer des conventions de collaboration avec les écoles, « pour créer un environnement scolaire plus sûr ». En 2009, sur les 196 zones de police, 143 avaient des points de contacts et 48 des conventions (2) balisant leur collaboration avec les directions d’établissements scolaires (3).
Pour Dominique Willockx, qui dirige les relations avec les zones de police au sein de la Direction générale de soutien de la police fédérale, « la relation et le partenariat avec divers acteurs peut être un objectif stratégique inscrit dans le plan zonal de sécurité, préparé en concertation, avec le bourgmestre, le chef de zone, le procureur du Roi, le directeur de la police fédérale de l’arrondissement. Les écoles, c’est un problème social qui dépasse le cadre policier. Le partenariat avec un établissement dépend très fort de sa direction. Tant qu’elle considère le transfert de l’information comme de la délation, les relations seront difficiles ».
Mme Willockx compare la sécurité à une chaine, dans laquelle l’école a sa place, de même que la police ou les travailleurs sociaux : « On doit travailler en confiance et en partenariat, chacun à sa place. Le ministère de l’Intérieur veut développer des plans locaux de sécurité (qui compléteront les plans zonaux). Ils ne sont pas faits par la police. Chaque acteur social a une action sur ce plan, élaboré par la commune. Les objectifs policiers seront liés à ces objectifs-là ».
Pa. D.
(1) Lire à ce sujet la circulaire 1721 http://www.enseignement.be/circulaires
(2) MESKENS J., DORZEE H., « La police et les écoles collaborent de plus en plus », dans Le Soir du 29 mai 2009.
(3) Les circulaires 3596, 3628, 3660, 3665 évoquent cette collaboration et la prudence dont les directions doivent faire preuve lors de la rédaction d’une éventuelle convention.
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