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Magazine PROF n°14

 

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Autorité : crise ou érosion ?

Article publié le 01 / 06 / 2012.

Dans cette rubrique, nous donnons la parole à un spécialiste de l’éducation, en lui demandant de faire part à nos lecteurs d’un message qu’il estime important à leur transmettre aujourd’hui. Eirick Prairat évoque ici la question de l’autorité éducative.

Eirick Prairat : « Nous vivons dans des sociétés où le temps - investi, habité, valorisé - s’est rétréci à la dimension du présent ».
Eirick Prairat : « Nous vivons dans des sociétés où le temps - investi, habité, valorisé - s’est rétréci à la dimension du présent ».
© Eirick Prairat

Faut-il parler d’une crise de l’autorité éducative ? Dans son acception la plus commune, l’idée de crise se définit comme une situation aiguë, un point de cristallisation, ayant souvent des conséquences durables. Tout moment crisique est suivi d’une période critique qui, comme l’adjectif l’indique, appelle des choix, des décisions (Krisis). Il est préférable, nous semble-t-il, de parler d’érosion (notion liée à l’idée d’une temporalité plus lente). Nous proposons trois lectures pour comprendre l’érosion de l’autorité éducative.

Une lecture sociologique : la perte de confiance

Elle consiste à montrer que l’affaiblissement de l’autorité des maitres est une conséquence ; elle découle de la perte de crédit que connait aujourd’hui l’institution scolaire, comme instance de promotion. Il n’y a pas si longtemps, l’obtention du baccalauréat ouvrait la porte des études supérieures et permettait, presque à coup sûr, l’accès à un emploi moyen ou supérieur. La promesse d’emploi que faisait l’école d’hier (promesse par procuration, car c’est le marché du travail qui crée les emplois), l’école actuelle a plus de difficulté à la faire. Il y a un affaiblissement de la valeur instrumentale de l’école, produisant, pour certains élèves, un décalage entre les contraintes - ce qui est exigé - et ce qu’ils peuvent raisonnablement espérer en termes socioprofessionnels. L’enseignant chahuté y est au titre de représentant d’une institution qui déçoit.

Cette perte de confiance est ressentie, de manière particulièrement aiguë, par les familles les plus modestes qui, en un siècle, ont inversé leur rapport à l’école. À la charnière du 19-20e, au moment où l’école républicaine prend son essor, les classes sociales les plus paupérisées sont dans un rapport d’espérance vis-à-vis de l’institution. Elles attendent, pour leur enfant, un accès à la culture et une inscription dans des positions sociales plus valorisées.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; il y a une sorte de désenchantement à l’endroit de l’école. La réponse dans un tel scénario est une réponse politique. Toutes les stratégies qui parient sur l’inventivité pédagogique ou le talent didactique des maitres ne sont que de vaines stratégies. Il importe de revitaliser le projet politique de l’institution scolaire en garantissant une véritable égalité des chances.

Une lecture philosophique : le télescopage axiologique

L’affaiblissement résulte ici de la pénétration des valeurs constitutives de l’idéal démocratique (la liberté et l’égalité) au sein des sphères prépolitiques. On a coutume d’appeler, à la suite d’Hannah Arendt, sphères prépolitiques des lieux marqués par des relations dissymétriques en raison même de leur vocation formatrice. L’école et la famille sont, par définition, par excellence, des espaces prépolitiques.

Si l’école traditionnelle entendait former à un métier et donner à chacun une place dans une société stable et hiérarchisée, l’école moderne vise à faire advenir un sujet responsable qui saura s’orienter au sein d’une communauté d’égaux, en perpétuel mouvement. « Je veux lui donner un rang qu’il ne puisse perdre, un rang qui l’honore dans tous les temps ; je veux l’élever à l’état d’homme ».

Mais il faut bien comprendre que la liberté et l’égalité revendiquées par Rousseau ne sont plus seulement constitutives d’un horizon mais sont devenues - ou tendent à devenir - les modalités même de l’exercice éducatif. L’avancée des valeurs démocratiques au sein des sphères prépolitiques a engendré non seulement un effacement des rapports d’altérité mais également un affaiblissement des relations d’autorité car, historiquement, les relations d’autorité se sont adossées à des rapports d’altérité (adulte-enfant, maitre-élève, …).

Notre école est aujourd’hui mise au défi d’inventer un mode de régulation plus conforme aux aspirations démocratiques sans pour autant estomper la particularité du lieu scolaire. Vrai défi, car il s’agit in fine d’articuler des modalités hétérogènes et à priori peu compatibles : la discipline et le droit. Mariage de la carpe et du lapin, car la discipline code les conduites et les comportements ; elle fonctionne à la dissymétrie et est sous-tendue par l’utopie orthopédique de la mise en forme, alors que le droit, mû par l’utopie libérale de la communauté d’égaux, se contente de poser des limites à l’action des hommes.

Il s’agit, on le voit, de bricoler, à nouveaux frais, une régulation qui assure une sorte d’égalité morale entre éducateurs et éduqués tout en préservant la dissymétrie symbolique constitutive de la relation éducative. Telle est, nous semble-t-il, une des orientations les plus originales et les plus crédibles pour tenter de dissiper « l’aporie de l’égalité » qui travaille l’école contemporaine.

Une lecture anthropologique : la tyrannie du présent

D’un point de vue anthropologique, l’érosion de l’autorité est liée à l’importance qu’a pris le présent dans les sociétés post-modernes. Nous sommes dans des sociétés où le temps - investi, habité, valorisé - s’est rétréci à la dimension du présent. Omniprésence du présent, nous sommes coincés entre un passé qui n’est pas oublié mais qui ne nous parle guère, et un avenir vidé des grandes espérances séculières qui ont longtemps structuré la première modernité.

Ce sacre du présent fragilise l’autorité des éducateurs et des maitres. Car si l’espace est la matrice du pouvoir, le temps est celle de l’autorité. Si l’éducateur ou le magister font autorité, c’est parce qu’ils viennent de plus loin ; c’est leur antériorité, leur antécédence qui leur donne autorité. À proprement parler, ils ne sont pas au-dessus mais en avance.

L’érosion de l’autorité apparait ici comme le revers d’une difficulté dans notre capacité à transmettre. Car lorsque le présent devient l’ultime référence, lorsque le présent et ce qui l’accompagne (la mode, la consommation, la publicité,…) s’imposent aussi fortement, la culture des pères et des mères cède le pas devant le culte des pairs et la transmission tend à s’effacer devant l’imitation.

Alors que faire lorsque plus aucune forme de transcendance ne semble disponible ? Que faire pour re-légitimer le professeur ? Que faire lorsque l’épaisseur historique du temps n’en impose plus ? Il reste une voie, celle qui noue attitude individuelle et orientation politique. Attitude individuelle : il n’y a d’autorité pour le professeur que dans l’attachement ostentatoire à quelques grands principes (moraux et intellectuels). La vertu de constance temporalise l’action en une action éducative. Engagement collectif : il n’y d’autorité pour le professeur que dans et par la promotion de formes collectives de travail.

Eirick PRAIRAT,
Université de Lorraine

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