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Magazine PROF n°17

 

Libres propros 

Les difficultés des élèves et le métier d’enseignant

Article publié le 01 / 04 / 2013.

Notre rubrique Libres propos donne la parole à un spécialiste de l’éducation, en lui demandant de faire part à nos lecteurs d’un message, important selon lui, à leur transmettre aujourd’hui. Bernard Rey évoque ici l’éprouvante difficulté d’être confronté aux difficultés des élèves.

Parmi les nombreuses contraintes qui pèsent sur la condition de l’enseignant, il en est une qui, sans être nécessairement la plus spectaculaire, n’en est pas moins terriblement éprouvante : c’est d’être confronté aux difficultés des élèves. Malgré les efforts pédagogiques qu’on peut déployer, beaucoup d’élèves répètent toujours les mêmes erreurs, donnent des réponses inadéquates à des questions pourtant élémentaires, font des contre-sens sur des textes simples, interprètent mal ou incomplètement les consignes, n’arrivent pas à démarrer dans des tâches auxquelles pourtant on pensait les avoir entraînés, etc. C’est sans doute là un des aspects les plus lancinants du métier d’enseignant.

Que savons-nous aujourd’hui sur les causes de ces difficultés ?

Bernard Rey : « Si les élèves sans difficulté savent, comme une évidence, que les activités que l’enseignant leur fait faire visent des savoirs, en revanche d’autres ne le soupçonnent pas ».
Bernard Rey : « Si les élèves sans difficulté savent, comme une évidence, que les activités que l’enseignant leur fait faire visent des savoirs, en revanche d’autres ne le soupçonnent pas ».
© Bernard Rey

Des idées préconçues

Il faut rappeler d’abord un des apports majeurs des didactiques contemporaines : l’élève, avant même d’entrer dans une matière scolaire particulière, a des idées préconçues sur les sujets qu’on va lui faire aborder et parmi ces idées certaines constituent des obstacles à la compréhension du savoir et à la construction des compétences.

Ainsi des études ont montré que, dans l’esprit de beaucoup d’enfants de cinq ou six ans, plus une chose est grande, plus est grand le mot écrit qui la désigne. Autrement dit, ils sont convaincus que le mot « train » doit être plus long que le mot « locomotive » ou que « Frédéric », nom d’un petit garçon, est nécessairement plus court que « Luc » le nom de son papa. Une telle idée préconçue constitue évidemment un obstacle à la compréhension de notre système d’écriture.

De la même manière lorsqu’on parle, aux élèves du début du secondaire, en cours de biologie, de la croissance des plantes, certains ont du mal à prendre en compte le rôle du gaz carbonique (dioxyde de carbone) parce que, dans la vie courante, dans les soins qu’on donne aux plantes, on s’occupe de leur apporter de l’eau et de la lumière, mais non pas du gaz carbonique.

De même, lorsqu’un élève apprend une langue étrangère, il a une forte tendance spontanée à reporter sur celle-ci les structures syntaxiques de sa propre langue. Et en cours d’Histoire, on perçoit combien les élèves ont tendance à percevoir les évènements du passé en fonction des traditions politiques de leur famille ou des appartenances communautaires.

Un des intérêts de ces recherches est qu’elles apportent un regard nouveau sur les erreurs des élèves. Dans la tradition scolaire, on a tendance à considérer les erreurs commises à l’oral et à l’écrit comme des signes de carence : manque d’attention ou manque de connaissance, manque de sérieux, de travail, de réflexion, etc. Or nous savons aujourd’hui que beaucoup d’erreurs d’élèves proviennent de ces idées préconçues très tenaces. Si l’on veut aider les élèves à ne pas les refaire indéfiniment, il est essentiel de les repérer et de mettre en place des activités qui conduisent à leur éviction.

Le sens des activités scolaires

À ces travaux déjà anciens sur les préconceptions des élèves, s’ajoutent des recherches récentes qui portent sur le sens qu’ont pour les élèves les activités scolaires. Tout au long du cursus, on demande aux élèves d’accomplir, en classe ou à la maison, différentes activités : lire des textes, tracer des figures, observer des objets ou des phénomènes, souligner des mots ou des expressions, chercher des informations, rédiger des textes, effectuer des calculs, etc.

Pour l’enseignant, il est évident que ces activités ne se bornent pas à l’acte matériel, mais qu’elles ont un rapport avec des savoirs à acquérir : par exemple, si on demande à des élèves de tracer des cercles, ce n’est pas seulement pour que des cercles soient tracés, c’est pour leur faire saisir certaines propriétés géométriques du cercle. De même si on leur demande de lire un texte, l’activité ne s’épuise pas dans la simple lecture. On lit en vue de l’acquisition d’un savoir ou d’une compétence : par exemple on lit un texte argumentatif pour s’entrainer à comprendre ce type de texte, ou bien on lit un texte pour y repérer l’usage des temps des verbes, ou bien encore on lit un texte parce qu’il relate tel évènement historique, ou bien parce qu’il décrit tel phénomène biologique, etc. Toute activité scolaire a un sens « second » qui renvoie à un savoir.

Or si les élèves sans difficulté savent, comme une évidence, que les activités que l’enseignant leur fait faire visent des savoirs, en revanche d’autres ne le soupçonnent pas. Ayant à tracer des cercles, ils vont se focaliser sur la qualité du tracé et ne pas porter attention aux propriétés géométriques. Ayant, dans un cours de langue étrangère, à réunir des informations sur un sujet afin d’en parler devant les autres, ils seront attentifs à l’exactitude de ces informations plutôt qu’à la qualité linguistique et à la fluidité de leur expression. Ces élèves exécutent les opérations demandées, mais sans percevoir les enjeux de savoir dont elles sont porteuses.

Ce sont les mêmes élèves qui, la plupart du temps, ne perçoivent pas non plus les enjeux d’apprentissage de ces mêmes activités. Ils sont dans la docilité : ils accomplissent strictement ce qui leur est demandé afin d’obéir au maitre et de se mettre en règle avec l’institution. Au contraire, les élèves qui réussissent ne cherchent pas d’abord à obéir, mais obéissent parce qu’ils estiment que l’activité demandée va contribuer à leur apprentissage. De ce fait, ils se sentent responsables de leur apprentissage et hiérarchisent les différents aspects de l’activité en fonction de ce qu’ils jugent le plus important pour apprendre. Les élèves qui ne voient pas cet enjeu sont dans la stricte obéissance à la consigne sans se poser de question sur l’utilité de l’exercice. Ils attendent en fait que l’apprentissage s’opère en eux, sans qu’ils en soient acteurs, par le seul fait de la conformité aux directives.

La conséquence pédagogique, c’est qu’il est indispensable de faire formuler par les élèves eux-mêmes (et tout particulièrement par ceux qu’on sait être en difficulté) les raisons pour lesquelles telle activité est à accomplir.

Ces recherches, les plus anciennes, sur les préconceptions des élèves ou les plus récentes sur le sens des activités scolaires, permettent à l’enseignant de mieux orienter sa pédagogie. Mais plus globalement et profondément, elles peuvent les conduire à envisager une nouvelle modalité de leur rapport avec les élèves et, plus précisément, avec ceux qui sont en difficulté scolaire.

Elles impliquent en effet que lorsqu’un élève commet des erreurs ou ne comprend pas ce qu’on lui demande de faire, ce n’est pas toujours du fait de son manque de travail ni de sa désinvolture vis-à-vis des activités scolaires.Beaucoup d’erreurs ou d’incompréhensions sont des effets d’idées préconçues ou d’une saisie au premier degré des tâches scolaires. À ce titre, elles relèvent d’une certaine logique, même si celle-ci est erronée ou non adaptée aux attentes scolaires et doit évidemment être dépassée. Elles ne sont pas les signes de déficiences morales ou intellectuelles qu’il faudrait soigner et combler. Elles témoignent au contraire, même si c’est encore d’une manière inadéquate, de l’effort d’un jeune humain pour interpréter la réalité et les activités auxquelles on le contraint. C’est précisément la noblesse du métier d’enseignant d’avoir à reconnaître et à accompagner cet effort.

Bernard REY

En deux mots

Ancien professeur du secondaire et ancien formateur d’enseignants (au Québec et en France), Bernard Rey est depuis 1995 professeur à l’ULB,dont il a dirigé le service des sciences de l’éducation jusqu’en 2007. Ses recherches portent sur les particularités des apprentissages en milieu scolaire et leurs conséquences sur les difficultés des élèves et sur les pratiques des enseignants. Il est l’auteur, entre autres, de :
Faire la classe à l’école élémentaire, Paris, ESF, 2003.
Discipline en classe et autorité de l’enseignant, Bruxelles, De Boeck, 2004.
• Avec V. Carette, Savoir enseigner dans le secondaire, Bruxelles, De Boeck, 2011.

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